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Les Rougon-Macquart tome 3 sur 20

Armand Lanoux (Autre)
EAN : 9782253005629
502 pages
Le Livre de Poche (01/09/1971)
4.06/5   2391 notes
Résumé :
Pris sur les barricades, Florent a été condamné au bagne de Cayenne. Il s'en évade et retourne à Paris, aux Halles, où il espère se cacher et revoir son frère. Ce dernier, un gros charcutier, a épousé la belle Lisa. Le couple lui procure une place d'inspecteur aux Halles et essaie de l'engraisser. Mais Florent, au pied des montagnes de viande, de légumes et de beurre, reste maigre. Il n'a faim que de justice. Généreux, tendre, persuadé que l'homme est bon et honnête... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (228) Voir plus Ajouter une critique
4,06

sur 2391 notes
Présenté comme une sorte de grande bataille du gras contre le maigre, le Ventre de Paris est, chronologiquement, le troisième roman des fameux Rougon-Macquart de Zola.
À plus d'un titre, il présente un caractère innovant dans la progression du cycle. Tout d'abord, c'est la première fois que le protagoniste principal n'est pas un membre direct de la famille Rougon-Macquart, puisqu'il s'agit de Florent, beau-frère de Lisa Macquart, devenue Lisa Quenu dans la charcuterie du même nom.
C'est aussi la première fois qu'Émile Zola ne traite que des classes ouvrières ou des petits patrons à leur compte.
C'est aussi dans ce volume qu'il commence à exploiter à fond la Symbolique, en tant que procédé littéraire, et qu'il donne à un lieu, en l'occurrence les halles centrales de Paris, un rôle de personnage à part entière.
La conviction politique de Zola est également beaucoup plus clairement exprimée à partir de cet ouvrage.
L'histoire est assez simple : Florent, utopiste républicain, envoyé au bagne suite au coup d'état de Napoléon III, a réussi à s'enfuir après plusieurs années passées au bagne de Guyane et autant à rentrer en France par des voies détournées.
D'une maigreur effrayante, il rejoint son frère qui, lui, est gras à éclater dans sa charcuterie triomphante.
Le contraste de toute cette nourriture déployée dans les halles et de la maigreur des humbles est l'un des piliers du roman ; peut être pas le meilleur car l'auteur gonfle tellement le trait que cela frise la caricature.
Ses descriptions pléthoriques de nourriture sont assez " gavantes " à la longue.
Néanmoins, les descriptions très précises des Halles, ancêtre de Rungis, construites selon les plan de Baltard (cf. le dernier vestige de ces halles qui s'appelle d'ailleurs le pavillon Baltard) en lieu et place de l'actuel quartier " des halles " à Paris revêtent désormais une valeur documentaire.
Le volet le plus intéressant du roman me semble être d'une part la vision prémonitoire sur l'émergence de la société de consommation (le livre est écrit en 1873, ne l'oublions pas, thème qu'il reprendra dix ans plus tard dans Au Bonheur Des Dames) au travers d'une lumineuse comparaison où il reprend presque mot pour mot la formule de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris et son fameux "ceci tuera cela" quand Hugo prétendait que le livre tuerait la pierre.
Ici Zola écrit : " C'est une curieuse rencontre, disait-il, ce bout d'église encadré sous cette avenue de fonte... Ceci tuera cela, le fer tuera la pierre, et les temps sont proches..."
Au travers de la bouche de Claude Lantier, le peintre pauvre, futur héros de L'Oeuvre, l'auteur nous offre une vision pénétrante de la mutation introduite par la révolution industrielle : " Depuis le commencement du siècle, on n'a bâti qu'un seul monument original, un monument qui ne soit copié nulle part, qui ait poussé naturellement dans le sol de l'époque; et ce sont les Halles centrales, entendez-vous Florent, une oeuvre crâne, et qui n'est encore qu'une révélation timide du XXè siècle..."
L'autre volet prophétique du livre est la description quasi millimétrique du comportement du français moyen de Paris durant la période d'occupation allemande sous le régime de Vichy.
Tout est dit : les collaborations diverses sous des allures parfaitement honnêtes, les conflits d'intérêts, les alliances de façade, etc. le tout concourra ici à faire tomber Florent, qui, bien naïvement, essaie de monter une insurrection pour faire triompher la justice et le droit des opprimés.
L'auteur nous livre aussi tous les écueils qui s'opposent naturellement à toute forme de socialisme et conclut son livre, toujours par la bouche de Claude Lantier avec un : " Quels gredins que les honnêtes gens ! " très lourd de sens.
Mon coup de coeur personnel va indubitablement à Mademoiselle Saget, vieille commère venimeuse quémandeuse imbuvable qui colporte les ragots qu'elle invente elle-même comme personne et qui laisse derrière elle une trainée de poudre apte à semer la zizanie à n'importe quel coin des Halles.
Zola devait affectionner tailler de beaux costumes pour l'hiver à ces femmes, car on en rencontre souvent disséminées çà et là dans les Rougon-Macquart, toutes aussi venimeuses et malfaisantes.
Personnellement, j'adore quand Émile Zola exhume les côtés les plus hideux et puants des humains, les met sur le grill pour empester les voisins et rajoute de grosses gousses d'ail pour roter d'une haleine féroce, mais bien sûr, ce n'est là que mon avis, une bien piètre victuaille oubliée sur l'étal, autant dire, pas grand-chose.
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Sans doute le meilleurs Zola à lire pendant la période de Noel. En effet on y croise pâtés, boudins, côtelettes panées, et autres mets décrit de façon magistrale. L'auteur est arrivé a me donner l'eau à la bouche à certains moment. Je me suis surprise a aller chercher sur internet une recette (que je ne ferais pas au vu de la complexité). Après il faut avouer aussi que l'excès nous conduit vers une overdose de charcuterie.. un peu comme au lendemain d'un réveillon trop chargé

Mais si Zola est un conteur hors pair, il reste le maître en la matière en ce qui concerne les descriptions. J'ai adoré me pencher sur les adjectifs qu'il utilise. En effet, tout est décrit de façon positive et hop d'un coup un seul on passe du côté négatif à cause d'un seul petit mot qui inspire un immense dégoût.
Sans bien sûr oublier le côté social de l'oeuvre de Zola. Les Halles sont décrits en détails (mais est ce encore besoin de le préciser chez Zola), et où les prémices d'une société de consommation se dévoilent.

C'est aussi un roman ou l'on sent poindre la colère de Zola face a l'injustice sociale et juridique.. mais le sujet est pour l'instant juste survolé.

Que dire de plus sauf qu'une fois encore je me suis régalée en visitant l'univers de Rougon Macquart.
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C'est au coeur des Halles Baltard, que nous retrouvons Lisa, la fille d'Antoine Rougon, ce dernier s'étant fait remarquer par sa fainéantise et son alcoolisme à Plassans, alors que la république était renversée par le coup d'état de décembre 1852.

Lisa est une travailleuse, et une ambitieuse . Et elle a vite pignon sur rue , dans la charcuterie de son mari, dans ce quartier foisonnant où convergent tous les producteurs de marchandises alimentaires destinées à approvisionner la capitale. C'est dire que le roman regorge de descriptions de légumes, fruits, viandes, poissons riches en couleurs et en parfums, ceux des fleurs compensant ceux de la marée. Zola ne se prive pas de détailler les étals, au risque même d'oublier qu'il y a des saisons et qu'au 19è siècle, il est peu probable que les potirons aient côtoyé les asperges, et que l'on ait pu acheter du lilas blanc en hiver!

Outre ces tableaux grouillants de l'activité commerciale du lieu, l'intrigue se noue autour de Florent, un bagnard évadé, demi-frère de Quenu, le mari de Lisa. Accueilli à bras ouverts par les charcutiers, il fera peu à peu l'objet de ragots et de commérages, et même pour ainsi dire de fake-news, qui ne portaient alors que le nom de rumeurs et qui se propageaient à l'époque très bien via des réseaux sociaux non numériques! Il suffisait d'une commère aigrie et acariâtre pour que les réputations se fassent et se défassent comme une triante de poudre.

On y croise aussi Claude Lantier, un peintre qui traine ses guêtres et son désabusement à travers le quartier.

Beaucoup de personnages, une peinture colorée des lieux, une bonne intrigue, encore un plaisir immense pour cette lecture.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Comme dans les précédents, le roman commence sur un évènement : l'arrivée de Florent, échappé du bagne et son premier contact avec Paris, qui a beaucoup changé et sa rencontre avec sa famille et déjà, tous les personnages nous sont décrits. Ensuite, l'auteur revient sur la généalogie des protagonistes, leur histoire, ce qui sert de canevas au thème du roman.

Zola choisit de ce roman de s'intéresser au peuple avec d'un côté les commerçants nantis qui roulent sur l'or, exhibant leurs produits et leurs toilettes pour ces dames qui mangent beaucoup et sont tous « gras ». de l'autre, on a les petits, qui tirent le diable par la queue et sont bien-sûr maigres ce qui n'inspire pas confiance : ils ont forcément quelque chose à cacher.

On a donc la querelle des gras et des maigres comme on a eu la querelle des Anciens et des Modernes. En gros, il y d'un côté les « Maigres » qui ont conservé un idéal révolutionnaire et rêvent de renverser le régime, dont il faut se méfier et qui ne peuvent que disparaître et de l'autre les « Gras » qui ne pensent qu'à s'enrichir, se remplir au propre comme au figuré, profitant du système, c'est-à-dire l'Empire, les grands travaux, ici la construction des Halles.

Notre Florent est un idéaliste qui parle bien, avec des envolées presque lyriques, de la république, de l'égalité, de la révolution, mais il reste dans les idées, peu dans l'action.

Zola est sans pitié avec les commères du quartier, qui espionnent tout le monde, embellissant l'histoire chaque fois qu'elles la raconte à une autre personne, la Mère Saget, à elle seule est une horreur, une vraie caricature, toujours à l'affut, cachée derrière un mur ou observant de sa fenêtre, elle connaît tout sur tout le monde. Il fustige la calomnie, la délation et on ne peut s'empêcher de penser que ces femmes auraient fait un tabac pendant l'Occupation !

Le personnage central de roman, celui qui le fait vivre, ce sont les Halles, cette ville dans la ville, un monstre avec des tentacules, qui est le ventre de Paris, dont on entend le coeur qui pulse, ou les borborygmes de la digestion, aussi vivant donc que les protagonistes du roman. Monstre qui deviendra le pavillon Baltard.

On sent que Zola est fasciné par ce bâtiment, et ce qui se passe dans ses entrailles : on l'imagine, arpentant pendant des heures le monstre ! Ce qui se traduit par des descriptions grandioses : un florilège de couleurs, de senteurs, de sons, en égrenant toutes les variétés de légumes, de fromages, de charcuteries, de poissons et de fleurs : il est lyrique quand il nous parle de l'odeur de prune de la marchande de fruits, de son jupon qui sent la fraise, ou au contraire, l'odeur de marée de la poissonnière.

Il égratigne au passage, les dessous de cette surabondance, avec la puanteur des déchets, les caves où les animaux sont entassés, les pigeons qu'on gave. La société de consommation est déjà en place, les orgies se succèdent, de nourriture et aussi de sexe.

On croise un autre personnage, haut en couleurs, le peintre Claude Lantier que l'on retrouvera dans « L'oeuvre » et auquel on doit quelques propos très forts. C'est un ami de Florent, qui ne le suivre pas sans la politique, mais qui a bien cerné tous ces gens et leur méchanceté. Lantier qui tente de peindre le monstre et également un petit couple de tourtereaux, Cadine et Marjolin qui font partie du monstre, tant ils l'habitent, l'escaladent en tous sens.

Lantier dit fort joliment en parlant des Halles « c'est une curieuse rencontre, ce petit bout d'église encadré sous cette avenue de fonte… ». Ce qui fait penser, pour moi du moins, à une autre construction gigantesque : « Notre Dame de Paris » donc peut-être un clin d'oeil à Victor Hugo, d'autant plus qu'un des protagoniste, Marjolin fait penser à Quasimodo…

Au début ce roman m'a moins plu que les précédents par la surabondance de détails autant que de marchandises, mais je me suis accrochée et l'exercice a fini par me plaire.

Zola nous met l'eau à la bouche au début, avec cette luxuriance de descriptions mais très vite arrive l'écoeurement devant tant d'opulence. Les envolées lyriques finissent par lasser et on est bien content quand il se passe enfin quelque chose… j'ai fait une overdose de bouffe et j'ai une envie pressante de nourritures spirituelles.
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Le « ventre » de Paris, ce sont ses Halles, un «géant de fonte», une «Babylone de métal», un «organe central battant furieusement» qui ingurgite une profusion de denrées pour les recracher mâchées à ses deux millions d'habitants. Zola les décrit dans leur globalité, des toits aux sous-sols, en s'attardant sur chaque commerce d'alimentation et de bouche. Après avoir étudié les affairistes et les spéculateurs dans la Curée, il choisit d'analyser les petits commerçants qui s'enrichissent paisiblement sous le Second Empire. La charcutière Lisa symbolise cette classe. Elle mène une existence rangée, soucieuse de son confort. Elle soutient l'Empire et l'Église qui confortent son égoïsme tranquille. L'arrivée de son beau-frère qui s'est échappé du bagne va bousculer la mollesse de ses habitudes et la vie du quartier. le gros système digestif se trouve indisposé, fiévreux.

La charpente des « Rougon-Macquart » transparait nettement dans ce volume mais j'avoue être peu sensible à la fresque sociale et politique du Second Empire et aux questions d'hérédité. Et puis il y a cette volonté de l'auteur de vouloir tout dire et tout montrer au risque de surcharger son récit.
Par contre, j'ai apprécié Zola le peintre qui parvient à décrire un amoncellement de légumes, un étalage de charcuterie, une vitrine de bijoutier, les mannes d'un poissonnier ou l'architecture d'un pavillon avec un sens pictural extraordinaire. Il utilise dans ses descriptions une palette de couleurs et il sait jouer avec les lumières. Il parvient à faire ressentir l'atmosphère épaisse et lourde d'un espace fermé, la tiédeur d'un souffle, la touffeur d'une cave. le lecteur suffoque dans les remugles de vieux fromages ou la puanteur des resserres où les volailles sont entassées. Zola se sert d'images délicates ou brutales. Les choux-fleurs figurent des bouquets de mariée, les poissons des bijoux barbares. Les charcutiers sont décrits tout en ventre ou en gorge et sont dotés des attributs des porcs : groin ou couenne. Les rues, les murs, les eaux transpirent de graisse. Outre les images, il y a les juxtapositions qui sont riches en significations : les pavillons Baltard tout en vitres et en zinc s'opposent à l'église Saint-Eustache sombre et grise, à l'architecture surannée ; les ramiers des Tuileries s'ébrouent dans le parc quand des pigeons sont égorgés par centaines dans les caves des Halles.
J'ai aimé la mise en scène de cette comédie sociale résumée par cette saillie célèbre de Claude Lantier : « Quels gredins que les honnêtes gens ! » Dans la petite société des Halles, tout n'est que médisances, commérages, jalousies, trahisons. C'est le règne de la cupidité drapée de vertu.
Enfin, le roman nous rappelle tout un monde perdu : les légumes sont cultivés à Nanterre, on se retire à Clamart pour sa retraite, on cherche la campagne à Romainville, et les rues de Paris sont encombrées de charrettes de marchande des quatre-saisons…

Le récit est gonflé par une ambition démesurée et les ficelles sont parfois un peu grosses. Mais Zola parvient à transfigurer la réalité grâce à ses descriptions pleines de poésie et à rendre parfaitement les caractères et les mœurs du peuple des Halles.
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Citations et extraits (221) Voir plus Ajouter une citation
Mais Claude était monté debout sur le banc, d’enthousiasme. Il força son compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C’était une mer. Elle s’étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des Halles, entre les deux groupes de pavillons. Et, aux deux bouts, dans les deux carrefours, le flot grandissait encore, les légumes submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte claire d’aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d’épinards, les paquets d’oseille, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu’aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c’étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l’éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l’aube changeait en des floraisons superbes, lie-de-vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. À l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil. Claude battait des mains, à ce spectacle. Il trouvait « ces gredins de légumes » extravagants, fous, sublimes.
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À l’étalage, les beaux fruits, délicatement parés dans des paniers, avaient des rondeurs de joues qui se cachent, des faces de belles enfants entrevues à demi sous un rideau de feuilles ; les pêches surtout, les Montreuil rougissantes, de peau fine et claire comme des filles du nord, et les pêches du Midi, jaunes et brûlées, ayant le hâle des filles de Provence.
Les abricots prenaient sur la mousse des tons d’ambre, ces chaleurs de coucher de soleil qui chauffent la nuque des brunes, à l’endroit où frisent de petits cheveux.
Les cerises, rangées une à une, ressemblaient à des lèvres trop étroites de Chinoise qui souriaient ; les Montmorency, lèvres trapues de femme grasse ; les anglaises, plus allongées et plus graves ; les guignes, chair commune, noire, meurtrie de baisers ; les bigarreaux tachés de blanc et de rose, au rire à la fois joyeux et fâché......
...... À côté, les prunes transparentes montraient des douceurs chlorotiques de vierge ; les reines-claudes, les prunes de monsieur étaient pâlies d’une fleur d’innocence ; les mirabelles s’égrenaient comme les perles d’or d’un rosaire oublié dans une boîte avec des bâtons de vanille.
Et les fraises, elles aussi, exhalaient un parfum frais, un parfum de jeunesse, les petites surtout, celles qu’on cueille dans les bois, plus encore que les grosses fraises de jardin qui sentent la fadeur des arrosoirs.
Les framboises ajoutaient un bouquet à cette odeur pure.
Les groseilles, les cassis, les noisettes, riaient avec des mines délurées ; pendant que des corbeilles de raisins, des grappes lourdes, chargées d’ivresse, se pâmaient au bord de l’osier, en laissant retomber leurs grains roussis par les voluptés trop chaudes du soleil.
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Enfin, une armoire s’ouvrit, en face de la fenêtre, entre la cheminée et le lit. Les quatre femmes poussèrent un soupir. Sur la planche du milieu, il y avait une dizaine de mille francs en pièces d’or, méthodiquement rangées par petites piles. Gavard, dont la fortune était prudemment déposée chez un notaire, gardait cette somme en réserve pour « le coup de chien ». Comme il le disait avec solennité, il tenait prêt son apport dans la révolution. Il avait vendu quelques titres, goûtant une jouissance particulière à regarder les dix mille francs chaque soir, les couvant des yeux, en leur trouvant la mine gaillarde et insurrectionnelle. La nuit, il rêvait qu’on se battait dans son armoire ; il y entendait des coups de fusil, des pavés arrachés et roulant, des voix de vacarme et de triomphe : c’était son argent qui faisait de l’opposition. La Sarriette avait tendu les mains, avec un cri de joie. – Bas les griffes ! ma petite, dit madame Lecoeur d’une voix rauque. Elle était plus jaune encore, dans le reflet de l’or, la face marbrée par la bile, les yeux brûlés par la maladie de foie qui la minait sourdement. Derrière elle, mademoiselle Saget se haussait sur la pointe des pieds, en extase, regardant jusqu’au fond de l’armoire. Madame Léonce, elle aussi, s’était levée, mâchant des paroles sourdes. – Mon oncle m’a dit de tout prendre, reprit nettement la jeune femme. – Et moi qui l’ai soigné, cet homme, je n’aurai rien, alors, s’écria la portière. Madame Lecoeur étouffait ; elle les repoussa, se cramponna à l’armoire, en bégayant : – C’est mon bien, je suis sa plus proche parente, vous êtes des voleuses, entendez-vous… J’aimerais mieux tout jeter par la fenêtre. Il y eut un silence, pendant lequel elles se regardèrent toutes les quatre avec des regards louches. Le foulard de la Sarriette s’était tout à fait dénoué ; elle montrait la gorge, adorable de vie, la bouche humide, les narines roses. Madame Lecoeur s’assombrit encore en la voyant si belle de désir. – Écoute, lui dit-elle d’une voix plus sourde, ne nous battons pas… Tu es sa nièce, je veux bien partager… Nous allons prendre une pile, chacune à notre tour. Alors, elles écartèrent les deux autres. Ce fut la marchande de beurre qui commença. La pile disparut dans ses jupes. Puis, la Sarriette prit une pile également. Elles se surveillaient, prêtes à se donner des tapes sur les mains. Leurs doigts s’allongeaient régulièrement, des doigts horribles et noueux, des doigts blancs et d’une souplesse de soie. Elles s’emplirent les poches. Lorsqu’il ne resta plus qu’une pile, la jeune femme ne voulut pas que sa tante l’eût, puisque c’était elle qui avait commencé. Elle la partagea brusquement entre mademoiselle Saget et madame Léonce, qui les avaient regardées empocher l’or avec des piétinements de fièvre.– Merci, gronda la portière, cinquante francs, pour l’avoir dorloté avec de la tisane et du bouillon ! Il disait qu’il n’avait pas de famille, ce vieil enjôleur.
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C’était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. D’abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêlés de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche terminé par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon ; les boudins, noirs, roulés comme des couleuvres bonnes filles ; les andouilles, empilées deux à deux crevant de santé ; les saucissons, pareils à des échines de chantre, dans leurs chapes d’argent ; les pâtés, tout chauds, portant les petits drapeaux de leurs étiquettes ; les gros jambons, les grosses pièces de veau et de porc, glacées, et dont la gelée avait des limpidités de sucre candi. Il y avait encore de larges terrines au fond desquelles dormaient des viandes et des hachis, dans des lacs de graisse figée. Entre les assiettes, entre les plats, sur le lit de rognures bleues, se trouvaient jetés des bocaux d’achards, de coulis, de truffes conservées, des terrines de foies gras, des boîtes moirées de thon et de sardines. Une caisse de fromages laiteux, et une autre caisse, pleine d’escargots bourrés de beurre persillé, étaient posées aux deux coins, négligemment. Enfin, tout en haut, tombant d’une barre à dents de loup, des colliers de saucisses, de saucissons, de cervelas, pendaient, symétriques, semblables à des cordons et à des glands de tentures riches ; tandis que, derrière, des lambeaux de crépine mettaient leur dentelle, leur fond de guipure blanche et charnue. Et là, sur le dernier gradin de cette chapelle du ventre, au milieu des bouts de la crépine, entre deux bouquets de glaïeuls pourpres, le reposoir se couronnait d’un aquarium carré, garni de rocailles, où deux poissons rouges nageaient, continuellement.
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Le long des trottoirs, aux deux bords, des maraîchers étaient encore là, de petits cultivateurs, venus des environs de Paris, étalant sur des paniers leur récolte de la veille au soir, bottes de légumes, poignées de fruits. Au milieu du va-et-vient incessant de la foule, des voitures entraient sous les voûtes, en ralentissant le trot sonnant de leurs chevaux. Deux de ces voitures, laissées en travers, barraient la rue. Florent, pour passer, dut s’appuyer contre un des sacs grisâtres, pareils à des sacs de charbon, et dont l’énorme charge faisait plier les essieux ; les sacs, mouillés, avaient une odeur fraîche d’algues marines ; un d’eux, crevé par un bout, laissait couler un tas noir de grosses moules. À tous les pas, maintenant, ils devaient s’arrêter. La marée arrivait, les camions se succédaient, charriant les hautes cages de bois pleines de bourriches, que les chemins de fer apportent toutes chargées de l’océan. Et, pour se garer des camions de la marée de plus en plus pressés et inquiétants, ils se jetaient sous les roues des camions du beurre, des oeufs et des fromages, de grands chariots jaunes, à quatre chevaux, à lanternes de couleur ; des forts enlevaient les caisses d’oeufs, les paniers de fromages et de beurre, qu’ils portaient dans le pavillon de la criée, où des employés en casquette écrivaient sur des calepins, à la lueur du gaz. Claude était ravi de ce tumulte ; il s’oubliait à un effet de lumière, à un groupe de blouses, au déchargement d’une voiture. Enfin, ils se dégagèrent. Comme ils longeaient toujours la grande rue, ils marchèrent dans une odeur exquise qui traînait autour d’eux et semblait les suivre. Ils étaient au milieu du marché des fleurs coupées. Sur le carreau, à droite et à gauche, des femmes assises avaient devant elles des corbeilles carrées, pleines de bottes de roses, de violettes, de dahlias, de marguerites. Les bottes s’assombrissaient, pareilles à des taches de sang, pâlissaient doucement avec des gris argentés d’une grande délicatesse. Près d’une corbeille, une bougie allumée mettait là, sur tout le noir d’alentour, une chanson aiguë de couleur, les panachures vives des marguerites, le rouge saignant des dahlias, le bleuissement des violettes, les chairs vivantes des roses. Et rien n’était plus doux ni plus printanier que les tendresses de ce parfum rencontrées sur un trottoir, au sortir des souffles âpres de la marée et de la senteur pestilentielle des beurres et des fromages.
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