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Critique de colimasson


La crise économique, la misère, les grèves, les mines… Abordant des sujets a priori lourds, qui nécessitent une entière disposition de l'esprit, ce Germinal fait craindre de retrouver le désespoir d'une situation qui ressemble, à certains égards, à celle d'aujourd'hui. Ajoutons à cela un discours politique et social qui nous paraîtra encore plus obscur que celui que l'on entend déjà au quotidien, du fait d'un ancrage fort dans un passé qui nécessite d'être contextualisé, et l'appréhension est à son comble. La barrière temporelle peut effrayer, à juste cause.

A cette première crainte vient s'ajouter le fait que Germinalest le 13e roman de la série des Rougon-Macquart, écrite par Zola entre 1871 et 1893. Je ne le savais pas avant d'entamer ma lecture, mais je me suis rendue compte assez rapidement que je m'embarquais dans un milieu dans lequel les personnages avaient déjà pris leurs aises depuis un petit moment… L'arbre généalogique des Rougon-Macquart est dense, et il ne faut pas sauter trois lignes des premiers chapitres sous peine de perdre le fil des liens qui unissent (ou séparent, d'ailleurs, le plus souvent) les familles et les individus. A condition de tolérer cette impression première d'être enseveli sous un flot de données civiles, Germinal constitue une lecture autonome, au même titre, peut-être, que les autres romans de la série.

Dans Germinal, le point de départ est constitué par Etienne Lantier. Parce qu'il se retrouve au chômage, il décide de partir dans le nord de la France. Là-bas, il se fait embaucher dans les mines de Montsou. La mécanique est huilée, mais les conditions de travail sont réputées pour être effroyables. Pas assez, toutefois, pour y mourir, ce qui est peut-être le pire. On se contente d'y agoniser, parfois jusqu'à un âge très avancé, alors que la vieillesse frappe à peine la quarantaine atteinte.
En dehors du travail aux mines, Etienne fait la connaissance de la famille des Maheu. Il s'éprend de la jeune fille, Catherine, brutalisée au travail mais aussi dans la vie privée (si tant est que cette notion ait un sens dans le contexte) par Chaval, un époux brutal et manipulateur. Pour ne pas semer la discorde dans la vie et l'esprit de Catherine, Etienne se fait discret sur ses sentiments, et la vie continue, jusqu'au jour où la Compagnie des Mines décrète une baisse de salaire... Vilaine bête qui vient saboter le rouage d'un système mis en place et accepté depuis longtemps, Etienne fait prendre conscience aux ouvriers de l'injustice de la situation. Pour lutter contre, il unit les exploités et les pousse à faire la grève, leur transmettant par là le germe (nous y venons…) de son rêve d'une société qui reconnaisse enfin les droits primordiaux des travailleurs. le seul espoir, c'est celui-ci. Les ouvriers qui suivent le mouvement, enthousiastes à leurs débuts, ne restent pas dupes très longtemps des illusions que nourrit Etienne. Ils déchantent rapidement, réalisant que la grève ne mène à rien. S'ils continuent toutefois à la mener jusqu'à ce que la situation devienne vraiment catastrophique, ce sont pour les mêmes raisons qui les avaient jusque là forcés à l'immobilisme et à l'esclavage. La grève, au lieu de permettre aux ouvriers d'accéder à un statut plus digne, détruit leurs dernières forces. Après Etienne, le paysage n'est plus qu'un vaste champ d'os… Aucune nouvelle disposition n'aura été prise par le patronat pour améliorer le sort de ses ouvriers. Toutefois, derrière cet apparent immobilisme, les mentalités de tous, exploitants comme exploités, ne pourront plus se défaire des idées qu'Etienne aura essayé de mettre en place.

Pas très ragoûtante cette histoire ? Elle laisse craindre les pires développements théoriques sur des sujets politiques et sociaux dans lesquels on craint de s'étouffer. D'ailleurs, Zola lui-même semblait parfois avoir du mal à se retrouver parmi ses références (une ou deux confusions de théories politiques dans le roman) mais son talent consiste à démontrer son point de vue personnel en l'élaborant sur toute la longueur du roman, de façon à ce qu'il apparaisse en filigrane derrière toute la structure du récit. Aucune allusion sociale ou politique de l'écrivain ne sera directement faite dans le texte, mis à part lorsqu'elles seront placées naturellement dans le discours des personnages. Grâce à cet ensemble de propos fictifs, de situations et de caractères, le point de vue de Zola se retrouve totalement synthétisé à la fin de la lecture de Germinal sans qu'il n'ait jamais eu besoin de partir dans des développements théoriques alambiqués.

Place nous est donc laissée libre pour le déploiement d'une écriture singulière qui s'attarde à décrire les conséquences sociales de la crise économique. Loin d'une froideur théorique, tout est organique chez Zola : la mine de Montsou, monstre avide, engloutit les hommes sans prendre le temps de les digérer. Ceux-ci sont recrachés, abasourdis, le corps vidé de toute matière leur permettant de penser. Leur carrière se devine sous les séquelles gardées par leur corps suite au travail éreintant. La seule joie, le seul étourdissement, sont fournis par la copulation frénétique qui n'a d'autant plus rien à voir avec le plaisir qu'elle perpétue au contraire le crime d'une vie misérable, faisant voir le jour à de nouveaux futurs mendiants qui se lamenteront toute une vie pour pichenette.
L'intérêt d'une écriture aussi organique est de rendre la thèse politique et sociale plus réaliste. Trop souvent coupée de cette réalité primaire, on aurait pu craindre qu'elle ne s'incarne sous des propos froids et distants. Dans Germinal, au contraire, elle se rapproche de la vie des hommes-bestiaux de Montsou. Tout est brutalité et cruauté parmi les pauvres, tandis que les propriétaires se laissent dériver au gré des toiles délicates et veloutées des fauteuils de leurs grands salons. Au moins, les mineurs, à travers leur grève, parviendront-ils à semer leurs propres terreurs dans les vies minutieusement réglées de leurs dirigeants. le germe, encore et toujours… Malgré cette propagation des sentiments, Zola s'attarde peu sur la psychologie de ses personnages. Etienne et Catherine échappent, dans une certaine mesure, à ce jugement, mais les autres personnages du livre ne se décrivent pas par la puissance de leurs doutes ou de leurs affres existentiels. Normal : ils ont d'autres chats à fouetter. Pris dans le mouvement politique, ils se distinguent en actes et en paroles, et cette description suffit à faire d'eux des personnages cohérents, éloignés de tout stéréotype.

D'une austérité formelle, Germinal ne se laisse pas aborder facilement. Impression plutôt injustifiée. En effet, si Zola s'attarde peu sur l'individu, s'il livre souvent un point de vue distancié pas toujours évident à suivre pour le lecteur d'aujourd'hui, il parvient toutefois à animer son récit d'une écriture vivante et singulière. Doué aussi pour retranscrire l'atmosphère pouilleuse des mines de Montsou, entre mort et renouvellement infini des générations, Zola bâtit au fil des pages la description d'un système vorace qui survit par la destruction modérée de ses composants. L'horreur surgit d'un univers purement pragmatique. Ainsi, Germinal convainc par la force de ses idées et charme par la description d'un monde dont le réalisme si terre-à-terre finit par prendre des allures de conte macabre.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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