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Les Rougon-Macquart tome 14 sur 20

Marie-Ange Voisin-Fougère (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253008873
533 pages
Le Livre de Poche (01/01/1997)
3.98/5   1750 notes
Résumé :
Quatrième de couverture : Le peintre Claude Lantier, personnage central de « L'Oeuvre », déjà apparu dans le « Ventre de Paris », ne voit pas seulement peser sur lui une hérédité qui le condamne à rester un « génie avorté ». Il est témoin, acteur et victime du profond bouleversement qui secoue l'art français à partir de l'impressionnisme. En outre - tout comme l'écrivain Sandoz, autre personnage majeur du roman - l'artiste angoissé exprime les questions que Zola se ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (122) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1750 notes
L'Oeuvre est sans doute l'un des plus sombres et des plus désespérants des tomes de la série des Rougon-Macquart. C'est Claude Lantier, l'un des fils de Gervaise que l'on retrouve l'âme en peine à Paris. Il avait eu la chance de bénéficier des bontés d'un homme que ses dessins d'enfant avait séduit, et qui lui permit de suivre des études au collège de Plassans.

C'est à Paris qu'il essaiera de sortir du lot, de devenir un artiste reconnu, vivant en attendant des années de vaches maigres et de doute. Sa rencontre fortuite avec la belle Christine, sera -t-elle la cause de sa gloire ou de sa déchéance?

C'est le portrait d'un peintre maudit, qui malgré son talent ne parvint pas à faire valoir ses dons. A la recherche d'une perfection illusoire, ne craignant pas de bousculer les standards classiques, il devient vite aigri, alors qu'il est en train de lancer un courant au sein duquel il ne parviendra pas à s'imposer.
.Alternant les épisodes de création intense et d'abandon (notre homme serait-il bipolaire?), Il entraine dans sa chute son épouse et son fils.

Les descriptions de Paris sont encore ici nombreuses, éclairées de l'oeil de l'artiste.

Le texte est également bien documenté sur les courants picturaux , les techniques et l'ambiance du milieu artistique, avec des allusions via les amis de Claude à la musique et à la sculpture .

La théorie de la dégénérescence est encore bien présente, illustrée par le petit Jacques, le fils de Claude mais aussi par d'autres personnages mal lotis.


Ce n'est pas mon préféré de la série, les perpétuelles tergiversations de héros m'ont lassée, d'autant que l'on entrevoit rapidement la grande probabilité d'une fin tragique.

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Mon désir de lecteur se transforma, un jour il y a quelques années, dans un voyage qui continue de m'emporter depuis lors dans ce fleuve impétueux et indomptable que représente l'oeuvre des Rougon-Macquart.
Émile Zola a imaginé et construit cette immense fresque bâtie sur vingt romans pour décrire et aussi décrier un certain univers social sous le Second Empire.
Je continue de cheminer pas à pas et de manière chronologique, dans cette saga puissante, et me voici parvenu au quatorzième roman, qui s'appelle justement L'Oeuvre.
L'ouvrage nous entraîne dans le monde de l'art et des artistes, à travers le portrait d'un peintre maudit et raté, Claude Lantier et celui de son ami et écrivain, Pierre Sandoz qui semble ressembler trait pour trait à ce cher Émile Zola. C'est donc un roman d'amitié qui nous accueille autour de l'art dans ses premières pages.
Combien de fois n'ai-je pas trouvé dans l'écriture d'Émile Zola, dans sa manière de narrer une histoire, tout le talent d'un peintre. Peintre de l'âme humaine, de la vie sociale, de ses ambitions et de ses affres, peintre de la dégénérescence d'une famille sous le Second Empire...
Ici justement, il est question de peinture, mais pas seulement... Il est question d'art, mais pas seulement non plus...
Dans ce roman, Zola a décidé d'incarner l'art à travers la destinée de deux amis, un peintre et un écrivain.
Dans ce roman, il est surtout pourtant question d'humanité avant tout, c'est du moins ce que j'ai ressenti.
Claude Lantier est le fils de Gervaise Macquart et d'Auguste Lantier, qui nous ramène à une lecture précédente, très forte pour moi, celle de L'Assommoir. Oui Gervaise, la célèbre Gervaise, cette femme dont la destinée m'avait bouleversée... Vous souvenez-vous d'elle ?
Claude Lantier est l'ami d'enfance du romancier Pierre Sandoz. J'aime à rencontrer Zola dans ses romans, ici il est présent plus que jamais dans ce personnage de Pierre Sandoz.
Avec l'appui de son ami Sandoz et d'autres peintres ou sculpteurs, Claude Lantier lutte et se bat pour imposer une nouvelle forme de peinture, bien éloignée des canons néo-classiques qui ont la faveur des expositions officielles. Si certains d'entre eux réussissent finalement à s'imposer, Claude Lantier va pour sa part d'échec en échec, demeurant incompris du public et souvent de ses propres amis.
Ce roman est aussi une histoire d'amour. Claude Lantier a rencontré un soir de pluie, sous le porche de son immeuble, une jeune femme prénommée Christine, avec qui il partagera sa vie et ses échecs. Ils vont habiter à la campagne, où Claude trouve d'abord le soulagement. Ils ont un enfant, mais celui-ci, hydrocéphale, mourra à l'âge de douze ans. Entre-temps, le couple est revenu vivre à Paris, où Claude retrouve à la fois ses amis et le sentiment de son échec. Il finit par se détacher de sa femme pour passer son temps dans un grand hangar où il a entrepris une oeuvre gigantesque...
Ce roman a pour cadre le monde artistique et foisonnant du XIXème siècle. Mais comme toujours la force d'Émile Zola est de nous écrire des histoires presque intemporelles. Alors je vous laisse imaginer en quoi il est intemporel...
Claude Lantier porte le poids d'une fatalité dont on pressent déjà une fin tragique.
Sombre, la tragédie de cette fatalité est déjà écrite aux premières pages.
C'est un drame autour de la création, comment pousse une oeuvre d'art dans les soubresauts de l'âme qui la porte comme une graine prête à germer.
L'art est prétexte ici à évoquer un drame autour d'une passion.
Zola ici ne cherche pas forcément à peindre le monde des arts. Ce n'est qu'un prétexte. Il veut peindre une tranche d'humanité. C'est la passion d'un artiste pour son art et la passion d'une femme pour cet homme qui la dédaigne et qui lui préfère son oeuvre. L'art vole à cette femme l'homme qu'elle aime.
Dans le tableau que peint Claude Lantier, - la représentation d'une femme nue « aux cuisses énormes », comment ne pas voir tous ces tragiques personnages féminins de l'oeuvre des Rougon-Macquart. Sans qu'elles soient nommées, elles défilent pourtant ici brusquement sous mes yeux de lecteur fasciné, comment ne pas reconnaître ici Gervaise, Nana, Pauline... Ce sont les mères, les filles et les soeurs qui ont étreint de manière poignante le fil de la destinée des Rougon-Macquart.
L'Oeuvre est un roman empli d'humanité, abordé ici sous l'angle de l'art. Quelle magnifique passerelle en effet ! L'art convoqué comme chemin pour dire, pour dessiner, pour protéger l'humanité... L'art dressé comme un rempart contre les barbaries.
Oui, l'art est humanité.
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Le talent d'Emile Zola se déploie ici dans une brillante synthèse de ses capacités à capter en quelques centaines de pages les vies d'une poignée de personnages, à en restituer les dilemmes intérieurs, fondements de leurs particularités psychologiques, et à les relier à cet ensemble de données économiques, politiques, culturelles et historiques qui constituent le paradigme d'une époque.


L'histoire qui relie Claude et Christine prend sens dans sa confrontation perpétuelle à la peinture, cette maîtresse irréelle qui est pire que toutes les nudités affriolantes des modèles de pose. D'abord cristallisation de leur liaison, la peinture donne au couple une raison de se vivre ensemble quelles que soient les conditions de vie –souvent misérables- qu'elle leur impose. Mais si la peinture représente pour Christine un divertissement facultatif, Claude semble surtout avoir choisi de vivre avec Christine en croyant que cette épouse en prototype de Muse lui permettrait d'accéder plus rapidement à la grâce de son idéal artistique. Ce n'est pas le cas et la peinture s'échappe sans cesse. L'impossibilité de l'union à trois conduit à la dégradation de l'union à deux. Comme toujours, l'histoire d'amour ne peut se satisfaire d'elle-même, et c'est à cause de cette tendance irréfrénable à la complexité que le bonheur s'échappe.


Et si l'histoire de L'oeuvre était encore plus tragique que cela ? Il faudrait, par exemple, que les ambitions artistiques de Claude ne soient pas vraiment siennes. Il faudrait que son existence entière ait été faussée par la poursuite d'idéaux qui lui auraient été infligés par la société, ce fameux ensemble de déterminations qui obsède Emile Zola. Arthur Schopenhauer avait affirmé que l'amour était subordonné à la Volonté et que les individus n'étaient rien d'autre que des machines à assurer la régénération de l'espèce humaine ; Emile Zola semble croire que l'art est subordonné à une autre forme de puissance qui condamne les individus à sacrifier leur santé et leur bonheur à l'accomplissement de projets (ici artistiques) qui permettent uniquement de faire évoluer la Culture.


Essayant peut-être d'échapper à cette détermination fatale, Emile Zola fait surgir, au milieu de sa troupe de peintres réalistes, le personnage de l'écrivain qui constitue la représentation non dissimulée de Zola lui-même. Sacrifié aussi aux besoins de la Culture, on remarquera cependant que c'est le seul artiste qui parvient à trouver une portion de succès sans y condamner son existence. Emile Zola n'avait sans doute pas tort : son Oeuvre est grandiose.
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♬ Cézanne peint
Il laisse s'accomplir la magie de ses mains
Cézanne peint
Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n'voient rien... ♬

Dans ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, Émile Zola nous plonge dans le milieu artistique.
Claude Lantier et ses amis sont peintres, sculpteurs, ou écrivains comme Pierre Sandoz à qui l'auteur prête l'intention suivante : « Je vais prendre une famille, et j'en étudierai les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent, les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte… ». Joli clin d'oeil, non ?

Fils aîné de l'inoubliable Gervaise de L'assommoir, Claude Lantier est animé d'un puissant désir de création et d'une volonté de réussir à tout prix un tableau exceptionnel. Il ressent au plus profond de lui le besoin impérieux de produire un chef-d'oeuvre.
Zola nous montre l'engrenage psychologique infernal dans lequel il se laisse prendre et comment il glisse de la persévérance à l'acharnement puis à l'obstination et enfin, tombe dans l'obsession.
La persévérance est une belle qualité, mais l'obsession vous aigrit, vous ronge de l'intérieur et vous coupe du monde extérieur.
L'obsession vous fait agir de façon irrationnelle, vous dépossède de la maîtrise de vous-même et vous rend complètement dépendant tel le joueur compulsif qui après chaque perte n'a qu'une idée en tête : rejouer pour se refaire.

Claude est accaparé par sa peinture qui l'éloigne de tout et de tous, y compris de sa femme qu'il aime pourtant, mais qu'il finit par ne plus voir que comme un modèle pour ses toiles.
De son côté, celle-ci se met à haïr la peinture qui est pour elle est pire qu'une maîtresse : une rivale de chair et de sang, ça peut se combattre, mais comment lutter contre un bouillonnement intérieur, une envie irrépressible ?
La lutte est tellement inégale qu'on la sent perdue d'avance.

L'aspect romanesque du livre est extrêmement plaisant : l'histoire est captivante, les personnages vivants et terriblement attachants. C'est un régal qui se lit presque d'une traite.
Mais ce n'est pas tout.
Le roman offre une réflexion passionnante sur les joies et les malheurs qui accompagnent la vie d'un artiste.
Claude Lantier est peintre, mais Zola aurait pu choisir de le faire écrivain, musicien, sculpteur... peu importe : l'essentiel est l'art et le rapport avec la création artistique.
Avoir fait de son personnage principal un peintre est un choix très judicieux parce que la peinture, art visuel par excellence, permet à l'auteur de nous offrir de magnifiques descriptions, qu'il s'agisse des toiles de Claude ou des paysages dont il s'inspire.

Émile Zola nous gratifie de merveilleuses pages sur Paris et sur la campagne normande. Elles sont infiniment belles parce que l'écrivain voit les paysages à travers les yeux du peintre et nous les restitue ainsi.
Je me permets ici une petite parenthèse : si Zola revenait, il serait sidéré de voir dans quel état se trouve la ville autrefois splendide qu'il a si merveilleusement décrite dans nombre de ses romans. Ville enlaidie et saccagée à plaisir, le "spectacle" est à pleurer. Je ferme la parenthèse.

Si la vie d'artiste peut parfois faire rêver, si l'on s'imagine naïvement un monde exaltant et merveilleux de beauté et de créativité, Émile Zola nous en donne une tout autre image.
L'art est-il épanouissant pour celui qui le pratique ? À la lecture de ce roman, on en doute !
Chacun sait que certains artistes aujourd'hui reconnus ont eu des vies terriblement difficiles, qu'ils ont parfois vécu dans un grand dénuement, qu'ils n'ont pas connu la reconnaissance de leur vivant.
Après la lecture de L'oeuvre, je ne regarderai plus certains tableaux, ne lirai plus certains ouvrages, ni n'écouterai certaines oeuvres musicales de la même façon.
La gratitude que j'éprouve toujours pour les artistes qui nous régalent tant se trouve désormais décuplée.

"Au fond, la conscience tenace de son génie lui laissait un espoir indestructible, même pendant les longues crises d'abattement. Il souffrait comme un damné roulant l'éternelle roche qui retombait et l'écrasait ; mais l'avenir lui restait, la certitude de la soulever de ses deux poings, un jour, et de la lancer dans les étoiles."
Cet extrait résume tout le drame de la vie de Claude Lantier, et si pour Camus, "Il faut imaginer Sisyphe heureux", ce n'est pas du tout ce que Zola a envisagé pour son héros.

L'oeuvre m'a éblouie.
Émile Zola nous parle d'art mais avant tout il nous parle d'humanité.
Et c'est incroyablement beau.
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Ça commence à se bousculer sur mon podium des Rougon Macquart ! Mais il va bien falloir que l'Assommoir, La conquête de Plassans, la bête humaine et Germinal fassent un peu de place à l'oeuvre, tant celle-ci m'a littéralement embarquée de bout en bout.

Ce n'est pourtant pas l'action trépidante qui vous agrippe : le roman, que traverse toute la vie d'artiste de Claude Lantier, coule assez lentement. Mais il est d'une construction si parfaite qu'il envoûte tout du long, depuis la saisissante scène d'ouverture sous les toits parisiens balayés d'orage jusqu'à la fine pluie grise sur le cimetière dans la scène finale, en passant par l'énergie vivifiante et colorée de la campagne normande, les atmosphères de bohème des cafés parisiens jusqu'aux ateliers du peintre où toujours l'on revient.

Paris n'a jamais été si beau, si vivant que sous la plume de Zola dans cette Oeuvre dans laquelle on le découvre au firmament de son talent, écrivant comme on peint un Paris flambloyant de joie et de vie dans la jeunesse de Claude, s'ombrant de noirceurs à mesure que l'âge, l'insuccès, l'obsession et la folie le prennent. Paris, personnage du livre, théâtre d'une vie artistique à la fois luxuriante et galvaudée au tournant du dernier siècle, assistant indifférente à la descente aux enfers de l'artiste incompris, enfiévré de peinture vraie, utilisé par ses amis, délaissant peu à peu sa douce épouse pour la vision chimérique d'une femme – déesse impossible à peindre.

Un roman beau et terrible, où finit de sévir la malédiction des Lantier, la lignée gangrenée de vice des Rougon, alcoolisme chez la mère Gervaise et le fils Etienne, folie meurtrière chez le frère Jacques, folie créative chez Claude enfin, avec lequel meurent déjà les illusions du siècle en devenir. Splendide !

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Citations et extraits (217) Voir plus Ajouter une citation
Aujourd'hui, Christine seule existait. C'était elle qui l'enveloppait de cette haleine de flamme, où s'évanouissaient ses volontés d'artiste. Depuis le baiser ardent, irréfléchi, qu'elle lui avait posé aux lèvres la première, une femme était née de la jeune fille, l'amante qui se débattait chez la vierge, qui gonflait sa bouche grande et l'avançait, dans la carrure du menton. Elle se révélait ce qu'elle devait être, malgré sa longue honnêteté : une chair de passion, une de ces chairs sensuelles, si troublantes, quand elles se dégagent de la pudeur où elles dorment. D'un coup et sans maître, elle savait l'amour, elle y apportait l'emportement de son innocence ; et, elle ignorante jusque-là, lui presque neuf encore, faisant ensemble les découvertes de la volupté, s'exaltaient dans le ravissement de cette initiation commune. Il s'accusait de son ancien mépris : fallait-il être sot, de dédaigner en enfant des félicités qu'on n'avait pas vécues ! Désormais, toute sa tendresse de la chair de la femme, cette tendresse dont il épuisait autrefois le désir dans ses œuvres, ne le brûlait plus que pour ce corps vivant, souple et tiède, qui était son bien. Il avait cru aimer les jours frisant sur les gorges de soie, les beaux tons d'ambre pâle qui dorent la rondeur des hanches, le modelé douillet des ventres purs. Quelle illusion de rêveur ! À cette heure seulement, il le tenait à pleins bras, ce triomphe de posséder son rêve, toujours fuyant jadis sous sa main impuissante de peintre. Elle se donnait entière, il la prenait, depuis sa nuque jusqu'à ses pieds, il la serrait d'une étreinte à la faire sienne, à l'entrer au fond de sa propre chair. Et elle, ayant tué la peinture, heureuse d'être sans rivale, prolongeait les noces. Au lit, le matin, c'étaient ses bras ronds, ses jambes douces qui le gardaient si tard, comme lié par des chaînes, dans la fatigue de leur bonheur ; en canot, lorsqu'elle ramait, il se laissait emporter sans force, ivre, rien qu'à regarder le balancement de ses reins ; sur l'herbe des îles, les yeux au fond de ses yeux, il restait en extase des journées, absorbé par elle, vidé de son cœur et de son sang. Et toujours, et partout, ils se possédaient, avec le besoin inassouvi de se posséder encore.
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Écoute, le travail a pris mon existence. Peu à peu, il m’a volé ma mère, ma femme, tout ce que j’aime. C’est le germe apporté dans le crâne, qui mange la cervelle, qui envahit le tronc, les membres, qui ronge le corps entier. Dès que je saute du lit, le matin, le travail m’empoigne, me cloue à ma table, sans me laisser respirer une bouffée de grand air ; puis, il me suit au déjeuner, je remâche sourdement mes phrases avec mon pain ; puis, il m’accompagne quand je sors, rentre dîner dans mon assiette, se couche le soir sur mon oreiller, si impitoyable, que jamais je n’ai le pouvoir d’arrêter l’œuvre en train, dont la végétation continue, jusqu’au fond de mon sommeil… Et plus un être n’existe en dehors, je monte embrasser ma mère, tellement distrait, que dix minutes après l’avoir quittée, je me demande si je lui ai réellement dit bonjour. Ma pauvre femme n’a pas de mari, je ne suis plus avec elle, même lorsque nos mains se touchent. Parfois, la sensation aiguë me vient que je leur rends les journées tristes, et j’en ai un grand remords, car le bonheur est uniquement fait de bonté, de franchise et de gaieté, dans un ménage ; mais est-ce que je puis m’échapper des pattes du monstre ! Tout de suite, je retombe au somnambulisme des heures de création, aux indifférences et aux maussaderies de mon idée fixe. Tant mieux si les pages du matin ont bien marché, tant pis si une d’elles est restée en détresse ! La maison rira ou pleurera, selon le bon plaisir du travail dévorateur… Non ! non ! plus rien n’est à moi, j’ai rêvé des repos à la campagne, des voyages lointains, dans mes jours de misère ; et, aujourd’hui que je pourrais me contenter, l’œuvre commencée est là qui me cloître : pas une sortie au soleil matinal, pas une escapade chez un ami, pas une folie de paresse ! Jusqu’à ma volonté qui y passe, l’habitude est prise, j’ai fermé la porte du monde derrière moi, et j’ai jeté la clef par la fenêtre… Plus rien, plus rien dans mon trou que le travail et moi, et il me mangera, et il n’y aura plus rien, plus rien !
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Tiens ! le père Ingres, tu sais s’il me tourne sur le cœur, celui-là, avec sa peinture glaireuse ? Eh bien ! c’est tout de même un sacré bonhomme, et je le trouve très crâne, et je lui tire mon chapeau, car il se fichait de tout, il avait un dessin du tonnerre de Dieu, qu’il a fait avaler de force aux idiots, qui croient aujourd’hui le comprendre… Après ça, entends-tu ! ils ne sont que deux, Delacroix et Courbet. Le reste, c’est de la fripouille… Hein ? le vieux lion romantique, quelle fière allure ! En voilà un décorateur qui faisait flamber les tons ! Et quelle poigne ! Il aurait couvert les murs de Paris, si on les lui avait donnés : sa palette bouillait et débordait. Je sais bien, ce n’était que de la fantasmagorie ; mais, tant pis ! ça me gratte, il fallait ça, pour incendier l’École… Puis, l’autre est venu, un rude ouvrier, le plus vraiment peintre du siècle, et d’un métier absolument classique, ce que pas un de ces crétins n’a senti. Ils ont hurlé, parbleu ! ils ont crié à la profanation, au réalisme, lorsque ce fameux réalisme n’était guère que dans les sujets ; tandis que la vision restait celle des vieux maîtres et que la facture reprenait et continuait les beaux morceaux de nos musées… Tous les deux, Delacroix et Courbet, se sont produits à l’heure voulue. Ils ont fait chacun son pas en avant. Et maintenant, oh ! maintenant…
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D'abord, au premier plan, au-dessous d'eux, c'était le port Saint-Nicolas, les cabines basses des bureaux de la navigation, la grande berge pavée qui descend, encombrée de tas de sable, de tonneaux et de sacs, bordée d'une file de péniches encore pleines, où grouillait un peuple de débardeurs, que dominait le bras gigantesque d'une grue de fonte ; tandis que, de l'autre côté de l'eau, un bain froid, égayé par les éclats des derniers baigneurs de la saison, laissait flotter au vent les drapeaux de toile grise qui lui servaient de toiture. Puis, au milieu, la Seine vide montait, verdâtre avec des petits flots dansants, fouettée de blanc, de bleu et de rose. Et le pont des Arts établissait un second plan, très haut sur ses charpentes de fer, d'une légèreté de dentelle noire, animé du perpétuel va-et-vient des piétons, une chevauchée de fourmis, sur la mince ligne de son tablier. En dessous, la Seine continuait, au loin ; on voyait les vieilles arches du Pont-Neuf, bruni de la rouille des pierres ; une trouée s'ouvrait à gauche, jusqu'à l'Ile Saint-Louis, une fuite de miroir d'un raccourci aveuglant ; et l'autre bras tournait court, l'écluse de la Monnaie semblait boucher la vue de sa barre d'écume. Le long du Pont-Neuf, de grands omnibus jaunes, des tapissières bariolées, défilaient avec une régularité mécanique de jouets d'enfants. Tout le fond s'encadrait là, dans les perspectives des deux rives ; sur la rive droite, les maisons des quais, à demi cachées par un bouquet de grands arbres, d'où émergeaient, à l'horizon, une encoignure de l'Hôtel de Ville et le clocher carré de Saint-Gervais, perdus dans une confusion de faubourg ; sur la rive gauche, une aile de l'Institut, la façade plate de la Monnaie, des arbres encore, en enfilade. Mais ce qui tenait le centre de l'immense tableau, ce qui montait du fleuve, se haussait, occupait le ciel, c'était la Cité, cette proue de l'antique vaisseau, éternellement dorée par le couchant. En bas, les peupliers du terre-plein verdissaient en une masse puissante, cachant la statue. Plus haut, le soleil opposait les deux faces, éteignant dans l'ombre les maisons grises du quai de l'Horloge, éclairant d'une flambée les maisons vermeilles du quai des Orfèvres, des files de maisons irrégulières, si nettes, que l'œil en distinguait les moindres détails, les boutiques, les enseignes, jusqu'aux rideaux des fenêtres. Plus haut, parmi la dentelure des cheminées, derrière l'échiquier oblique des petits toits, les poivrières du Palais et les combles de la Préfecture étendaient des nappes d'ardoises, coupées d'une colossale affiche bleue, peinte sur un mur, dont les lettres géantes, vues de tout Paris, étaient comme l'efflorescence de la fièvre moderne au front de la ville. Plus haut, plus haut encore, par-dessus les tours jumelles de Notre-Dame, d'un ton de vieil or, deux flèches s'élançaient, en arrière la flèche de la cathédrale, sur la gauche la flèche de la Sainte-Chapelle, d'une élégance si fine, qu'elles semblaient frémir à la brise, hautaine mâture du vaisseau séculaire, plongeant dans la clarté, en plein ciel [...].

La belle soirée élargissait l'horizon. C'étaient des lumières vives, des ombres franches, une gaité dans la précision des détails, une transparence de l'air vibrante d'allégresse. Et la vie de la rivière, l'activité des quais, cette humanité dont le flot débouchait des rues, roulait sur les ponts, venait de tous les bords de l'immense cuve, fumait là en une onde visible, en un frisson qui tremblait dans le soleil. Un vent léger soufflait, un vol de petits nuages roses traversait très haut l'azur pâlissant, tandis qu'on entendait une palpitation énorme et lente, cette âme de Paris épandue autour de son berceau [...].

"Ah ! Mon Dieu ! murmura-t-il, ah ! Mon Dieu ! Que c'est beau".
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Ah ! le trac, jeunes gens, vous croyez le connaitre, et vous ne vous en doutez même pas, parce que, mon Dieu ! vous autres, si vous ratez une œuvre, vous en êtes quittes pour vous efforcer d'en faire une meilleure, personne ne vous accable ; tandis que nous, les vieux, nous qui avons donné notre mesure, qui sommes forcés d'être égaux à nous-mêmes, sinon de progresser, nous ne pouvons faiblir, sans culbuter dans la fosse commune... Va donc, homme célèbre, grand artiste, mange-toi la cervelle, brûle ton sang, pour monter encore, toujours plus haut, toujours plus haut ; et si tu piétines sur place, au sommet, estime-toi heureux, use tes pieds à piétiner le plus longtemps possible ; et si tu sens que tu déclines, eh bien, achève de te briser, en roulant dans l'agonie de ton talent qui n'est plus de l'époque, dans l'oubli où tu es de tes œuvres immortelles, éperdu de ton effort impuissant à créer davantage !
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