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Les Rougon-Macquart tome 2 sur 20

Henri Mitterand (Autre)Jean Borie (Autre)
EAN : 9782073060792
496 pages
Gallimard (04/04/2024)
3.89/5   2621 notes
Résumé :
A la fin d'une chasse, pendant la curée, les chiens dévorent les entrailles de la bête tuée. Pour le jeune Zola qui déteste son époque, c'est le coeur de Paris, entaillé par les larges avenues de Napoléon III, que des spéculateurs véreux s'arrachent. Ce deuxième volume des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire, est l'un des plus violents. Zola ne pardonne pas ces fortunes rapides qui inondent les allées du Bois d'attelage... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (251) Voir plus Ajouter une critique
3,89

sur 2621 notes
La Curée constitue le second volet du fameux cycle des Rougon-Macquart, où l'on poursuit, comme dans La Fortune Des Rougon, le cheminement mondain du rameau " Rougon " de la famille, avec la seconde génération, notamment trois enfants de Pierre Rougon.

Il s'agit principalement du dernier fils de Pierre Rougon, Aristide, qui change d'ailleurs son nom en Saccard, pour ne pas compromettre — au cas où — la réputation du frère aîné, Eugène, impliqué en politique (voir le tome 6, Son Excellence Eugène Rougon) et second personnage masculin important, dans l'ombre du premier, à moins que cela ne soit l'inverse.

On y fréquente enfin l'une des soeurs, Sidonie Rougon, personnalité ambiguë, entremetteuse, courtière, bref ombre grise très utile ou très dangereuse, c'est au choix. Émile Zola nous dépeint la farouche avidité au gain d'Aristide qui se morfond de n'être que ce qu'il est, lors de sa fort modeste arrivée à Paris et qui va encore ruminer sa pauvreté pendant un certain temps.

Cependant, son frère Eugène lui ayant dégoté une place peu rémunératrice — mais stratégique — dans l'administration de la voirie, Aristide va vite comprendre l'intérêt que peut revêtir ce poste et les merveilleux délits d'initié qu'il autorise, à savoir, connaître avant tout le monde l'emplacement des immeubles qui seront évacués pour le percement des célèbres grands boulevards Haussmanniens.

Évidemment, spéculations, magouilles et fortune seront au bout de chaque boulevard…Fortune née en un jour, croquée en deux heures, travers absolu d'un monde qui flambe sans compter. (D'ailleurs, est-ce si différent aujourd'hui ?) Mais rien n'eût été possible à Aristide sans les premiers capitaux indispensables aux premières spéculations mirifiques, et c'est dans la fin prématurée — et bienvenue — de sa première épouse que Saccard va trouver le filon, par l'entremise de sa soeur Sidonie.

Rattraper le crime d'une conception honteuse, en dehors des liens du mariage, par une jeune fille de bonne famille, voilà qui pourrait être dans les cordes d'Aristide, qu'en dites-vous ? Car ce n'est pas le tout, il faut vite, vite, vite unir la belle Renée avant que son ventre ne prenne des proportions par trop scandaleuses... et bling ! voici la fortune de Saccard livrée sur un plateau d'argent par la dot avantageuse de l'étourdie gravide...

Renée va vivre dans la débauche de millions, de toilettes inavouables et même, même, dans l'indicible inceste, dont je vous laisse découvrir la nature, car il ne faut point trop en dire…

Ce livre est, selon moi, annonciateur de la dépravation du neuvième tome, Nana, et le symétrique du volume 18, L'Argent. Ici est détaillée la vie de débauche et du grand luxe côté jardin (alors que dans Nana c'est plutôt côté cour), l'aliénation morale de la femme, mais peu les montages financiers, tandis que dans L'Argent, c'est le contraire.

En tout cas, un éclairage intéressant sur cette période de création du nouveau Paris, même si certaines descriptions et certains passages sur les bals et sur le luxe des pièces ou des vêtements sont un peu longs par rapport à d'autres opus plus toniques, tel l'ébouriffant Au Bonheur des dames.

En outre ce n'est, encore une fois, que mon avis, dont les entrailles vacilleraient si elles étaient données en pâture à une meute d'esprits sagaces. Et que resterait-il après la curée ? Réponse : pas grand-chose…

N. B. : Une fois encore, il s'agit d'une critique écrite il y a fort longtemps, qui m'a été effacée suite aux calamiteuses fusions d'éditions qui n'ont rien à voir. Quand cela cessera-t-il ?
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"La Curée" n'est pas le tome le plus épais des Rougon-Macquart mais c'est sans conteste l'un des plus étoffés.

Pour moi, il s'agit d'un tome capital, il aurait pu être le premier de la série si Zola n'avait pas choisi sa famille cobaye en province mais à Paris. "La Curée" se déroule intégralement dans la capitale impériale. Une capitale en plein bouleversement, percée de part en part par les nouveaux axes urbanistiques projetés par Rambuteau et Haussmann.

"La Curée", c'est un peu comme un immense plateau de Monopoly où Aristide Saccard s'ébat en joueur enragé et dévore les pâtés de maisons pour se créer une "grande fortune". Aimant jouer, détestant perdre, il est prêt à tout pour "arriver". Veuf et père de deux enfants, il épouse Renée, une jeune femme de bonne famille à la vertu compromise, qui lui permet de prendre pied dans le monde des enrichis.

"La Curée" annonce à la fois l'érotisme du "Bonheur des Dames", à coups de chiffons, de jupons et de pantalons de dentelle ; préfigure tout autant la sensualité moite et brutale de "Nana", ainsi que la quête d'esthétisme de "L'Oeuvre" ; enfin, il augure "L'Argent" et les futures magouilles spéculatives de Saccard.

"La Curée", c'est le spectacle cru de tous les excès, de tous les abus et des tabous foulés au pied - à commencer par l'inceste ; c'est l'exubérance criarde d'une richesse trop neuve et clinquante, de mauvais goût, qui cache les vices, l'âpreté des vanités, les instincts bridés, le tout dans une débauche naturaliste qui est la marque de fabrique du grand Zola. Comme dans ses autres romans, le lecteur est emporté, assommé, enivré, étourdi et finalement ébloui par une prose qui ne lui laisse aucun répit et qui lui fait dire dans un soupir : "Rien n'a changé depuis 150 ans".


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L'or et la chair
*
○○○ Réaction à chaud ○○○
J'ai décidé de lire toute la saga des Rougon-Macquart par le début (en ayant lu quelques tomes auparavant dans mon cursus scolaire). Avec un très bon souvenir à chaque fois.

Mais quel bonheur de lecture! Un délice que j'ai apprécié à sa juste valeur.
On se questionne beaucoup. On peut tout à fait le transposer aux faits d'aujourd'hui. L'argent fait-il le bonheur? Question à mille euros :)

Mais quelle maitrise dans le style, la narration. Avec quelle férocité il déchiquète les travers humains : le vice, la luxure, l'avarice, l'envie. Et Zola est le maître des descriptions poussées. Ah le chapitre sur la serre est majestueux. Je "sentais" pratiquement littéralement les effluves de ces plantes tropicales, la moiteur, l'effluve sucrée et acide du végétal. Sans parler de ce déversement de luxe ostentatoire dans les décors, les toilettes de ces gens riches.

Pour l'instant, je n'ai jamais encore trouvé d'égal à Zola. Quelle précision dans son étude des moeurs!
Je n'ai qu'une seule envie, c'est d'y retourner :)
Chapeau bas Monsieur Zola! Vous avez conquis mon coeur !

PS: il y a beaucoup de superlatifs et de points d'exclamations dans mon avis mais vous avez compris la raison :)
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Zola poursuit son "étude sociale" avec Aristide Rougon devenu Saccard a Paris. Il cherche par tous les moyens a faire fortune . Quand le destin frappe a sa porte et que la mort emporte sa première épouse.

C'est une fois encore, avec brio, que Zola démontre l'opportunisme d'un parvenu. le caractère des personnages est travaillé a la perfection. On sent les protagonistes de l'histoires prendre vie sous nos yeux.

C'est aussi l'occasion pour l'auteur de mettre en avant le rôle des femmes, et leurs positions à l'époque ou se déroule les évènements. Ce sont des simples objets pour certaines, pour d'autres le moyen pour leur mari d'obtenir, grâce a leur entremise, du pouvoir ou des relations.
C'est aussi, une démonstration de maître , sur la frivolité et l'inconstance des femmes qui ont toujours eu de l'argent qui leur brulait les doigts. Une relation au financier extrêmement bien décrite.

Il faut avouer que Zola est le maître incontesté des descriptions :de salons, de robes, de paysages, des caractères,... En lisant cet auteur on se trouve tout simplement au milieu d'un film ou chaque chose est pensée et maîtrisée.

Je suis souvent bouleversée par l'écriture de Zola qui est si cruelle, si cynique par moment et tellement poétique par d'autre.
Je me demande souvent comment un homme a pu être si juste et si précis dans son étude sociale, d'autant qu'il n'avait qu'une trentaine d'année lors de la parution de ce roman.

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♬ Zola reviens, Zola reviens parmi les tiens... ♬
Quand je vois avec quel talent Émile Zola décrit ses contemporains, avec quelle ironie jubilatoire il en dresse le portrait féroce, je me dis que c'est vraiment dommage qu'il ne soit plus parmi nous.
Parce qu'entre nos politiciens, nos journalistes, nos "people", il en aurait du matériau de première classe !
La Curée, c'est un peu La Fortune des Rougon bis. En effet, après le couple Pierre-Adélaïde du premier opus, c'est au tour de leur fils Aristide de vouloir faire fortune.
Mais le contexte est différent : on quitte Plassans et ses petites histoires provinciales, c'est à Paris que l'ambition peut prendre toute sa démesure.
Paris sous le second empire offre des opportunités quasiment illimitées à qui veut les saisir, voire les provoquer. Honnêtement... ou moins honnêtement.
Eugène, frère aîné d'Aristide est devenu ministre. Il veut bien aider son cadet, mais sans prendre de risque. Pour commencer, un changement de patronyme s'impose, et Aristide Rougon devient d'un coup de baguette magique Aristide Saccard. Ainsi, si les affaires de monsieur Saccard tournent mal, monsieur Rougon n'aura rien à craindre et continuera sa vie comme si de rien n'était. On n'est jamais trop prudent !
À partir de là, les bonnes ou moins bonnes affaires vont s'enchaîner.
Fini l'univers étriqué de la province, seule la capitale pouvait servir de cadre à l'histoire. En effet, tout devient grand dans ce deuxième volume. Les petites magouilles de Plassans laissent la place aux grandes manoeuvres parisiennes.
L'appât du gain est poussé à son extrême, les instincts les plus vils s'expriment, les coups les plus bas sont permis : Zola ne nous épargne rien. Délits d'initié, trafics d'influence, escroqueries en tout genre sur un fond d'absence totale de scrupules. Vous pouvez ajouter à cette liste peu glorieuse l'argent qui coule à flot d'une façon indécente, les fortunes affichées avec ostentation, la débauche qui s'expose dans les fêtes et se cache à peine dans la vie quotidienne.
Si je devais résumer ce roman par un mot, ce serait "excès". La Curée est le roman de tous les excès. Zola y dénonce d'une façon magistrale les excès en tout sens de ses contemporains.
Quelques descriptions peuvent parfois paraître un peu longues, mais elles ne m'ont en aucun cas dérangée. Elles renforcent le terrible contraste entre ces intérieurs chargés, au luxe tape-à-l'oeil (il faut montrer sa fortune), ces maisons bien comme il faut et leurs habitants aux moeurs dépravées, cyniques et magouilleurs. Et puis, c'est tellement bien écrit, que j'accepte tout de la part de Zola !
Un personnage du roman m'a particulièrement impressionnée : Sidonie, soeur d'Eugène et Aristide. Zola a créé là une femme époustouflante ! Intrigante en diable, elle est prête à tout, pourvu qu'il y ait de l'argent à la clef. Elle tient une place capitale dans le roman. En écrivant certains passages, Zola a dû se régaler... et il régale son lecteur !
Comme le premier, ce tome est très moderne. Zola décrit la vie sous le second empire, mais le lecteur actuel se rend compte que rien n'a changé. Politique et finance font très bon ménage, les hommes d'affaires sachant parfaitement manoeuvrer les politiciens en les récompensant grassement. Et tant pis si ce qui est fait n'est pas moral, tant pis si ce n'est pas dans l'intérêt général. Quand certains (qui ont encore un soupçon de conscience) s'émeuvent des coûts des grands travaux entrepris dans Paris, voici ce qui est répondu, je vous laisse apprécier :
"– Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner, qui n'ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la payeront, et rien ne sera plus juste. […] La phrase de M. Haffner : « Nos enfants payeront », avait réussi à réveiller le sénateur. Tout le monde battit discrètement des mains, et M. de Saffré s'écria : – Ah ! charmant, charmant, j'enverrai demain le mot aux journaux. – Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que le mot du baron excitait. J'en connais plus d'un qui ont joliment arrondi leur fortune. Voyez-vous, quand on gagne de l'argent, tout est beau."
Ah, tout est beau quand on gagne de l'argent ! Vous voyez, rien n'a changé. Seulement l'échelle à laquelle les choses se font : les profiteurs de tout poil que décrit Zola feraient piètre figure à côté de leurs "successeurs" d'aujourd'hui, mais les motivations et les modes opératoires sont identiques.
À ce propos, le titre est parfaitement trouvé : page après page, le lecteur assiste à tout, le spectacle est écoeurant, comme celui des chiens après la chasse à courre.
Finalement, La Curée, c'est Les mains sales et La nausée réunis !
J'ai plus que jamais envie de poursuivre ma route avec Zola, et j'ai hâte d'aller me promener du côté des Halles dans le Ventre de Paris.
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Citations et extraits (308) Voir plus Ajouter une citation
Cependant, M. Hupel de la Noue demanda galamment :

-- Aurons-nous le plaisir de voir Son Excellence, ce soir ?

-- Je ne crois pas, répondit Saccard d'un air important qui cachait une contrariété secrète. Mon frère est si occupé !... Il nous a envoyé son secrétaire, M. de Saffré, pour nous présenter ses excuses.

Le jeune secrétaire, que Mme Michelin accaparait décidément, leva la tête en entendant prononcer son nom, et s'écria à tout hasard, croyant qu'on s'était adressé à lui :

-- Oui, oui, il doit y avoir une réunion des ministres à neuf heures chez le garde des sceaux.

Pendant ce temps, M. Toutin-Laroche, qu'on avait interrompu, continuait gravement, comme s'il eût péroré dans le silence attentif du conseil municipal :

-- Les résultats sont superbes. Cet emprunt de la Ville restera comme une des plus belles opérations financières de l'époque. Ah ! messieurs...

Mais, ici, sa voix fut de nouveau couverte par des rires qui éclatèrent brusquement à l'un des bouts de la table. On entendait, au milieu de ce souffle de gaieté, la voix de Maxime, qui achevait une anecdote : « Attendez donc, je n'ai pas fini. La pauvre amazone fut relevée par un cantonnier. On dit qu'elle lui fait donner une brillante éducation pour l'épouser plus tard. Elle ne veut pas qu'un homme autre que son mari puisse se flatter d'avoir vu certain signe noir placé au dessus de son genou. » Les rires reprirent de plus belle ; Louise riait franchement, plus haut que les hommes. Et doucement, au milieu de ces rires, comme sourd, un laquais allongeait en ce moment, entre chaque convive, sa tête grave et blême, offrant des aiguillettes de canard sauvage, à voix basse.



Aristide Saccard fut fâché du peu d'attention qu'on accordait à M. Toutin- Laroche. Il reprit, pour lui montrer qu'il l'avait écouté :

-- L'emprunt de la Ville...

Mais M. Toutin-Laroche n'était pas homme à perdre le fil d'une idée :

-- Ah ! messieurs, continua-t-il quand les rires furent calmés, la journée d'hier a été une grande consolation pour nous, dont l'administration est en butte à tant d'ignobles attaques. On accuse le Conseil de conduire la Ville à sa ruine, et, vous le voyez, dès que la Ville ouvre un emprunt, tout le monde nous apporte son argent, même ceux qui crient.

-- Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris est devenu la capitale du monde.

-- Oui, c'est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupel de la Noue. Imaginez- vous que moi, qui suis un vieux Parisien, je ne reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller de l'Hôtel de Ville au Luxembourg. C'est prodigieux, prodigieux !

Il y eut un silence. Tous les hommes graves écoutaient maintenant.

-- La transformation de Paris, continua M. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. Le peuple est ingrat, il devrait baiser les pieds de l'empereur. Je le disais ce matin au Conseil, où l'on parlait du grand succès de l'emprunt : « Messieurs, laissons dire ces braillards de l'opposition : bouleverser Paris, c'est le fertiliser ».
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La nuque appuyée contre le bord capitonné de la calèche, elle semblait dormir les yeux ouverts. Elle songeait, inerte, livrée aux rêves qui la tenaient ainsi affaissée, et, par moments, de légers battements nerveux agitaient ses lèvres. Elle était mollement envahie par l’ombre du crépuscule ; tout ce que cette ombre contenait d’indécise tristesse, de discrète volupté, d’espoir inavoué, la pénétrait, la baignait dans une sorte d’air alangui et morbide. Sans doute, tandis qu’elle regardait fixement le dos rond du valet de pied assis sur le siège, elle pensait à ces joies de la veille, à ces fêtes qu’elle trouvait si fades, dont elle ne voulait plus ; elle voyait sa vie passée, le contentement immédiat de ses appétits, l’écœurement du luxe, la monotonie écrasante des mêmes tendresses et des mêmes trahisons. Puis, comme une espérance, se levait en elle, avec des frissons de désir, l’idée de cet « autre chose » que son esprit tendu ne pouvait trouver. Là, sa rêverie s’égarait. Elle faisait un effort, mais toujours le mot cherché se dérobait dans la nuit tombante, se perdait dans le roulement continu des voitures. Le bercement souple de la calèche était une hésitation de plus qui l’empêchait de formuler son envie. Et une tentation immense montait de ce vague, de ces taillis que l’ombre endormait aux deux bords de l’allée, de ce bruit de roues et de cette oscillation molle qui l’emplissait d’une torpeur délicieuse. Mille petits souffles lui passaient sur la chair : songeries inachevées, voluptés innommées, souhaits confus, tout ce qu’un retour du Bois, à l’heure où le ciel pâlit, peut mettre d’exquis et de monstrueux dans le cœur lassé d’une femme.

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La salle à manger était une vaste pièce carrée, dont les boiseries de poirier noirci et verni montaient à hauteur d'homme, ornées de minces filets d'or. Les quatre grands panneaux avaient dû être ménagés de façon à recevoir des peintures de nature morte; mais ils étaient restés vides, le propriétaire de l'hôtel ayant sans doute reculé devant une dépense purement artistique. On les avait simplement tendus de velours gros vert. Les meubles, les rideaux et les portières de même étoffe, donnaient à la pièce un caractère sobre et grave, calculé pour concentrer sur la table toutes les splendeurs de la lumière. Et, à cette heure, en effet, au milieu du large tapis persan, de teinte sombre, qui étouffait le bruit des pas, il avait une trentaine de personnes dans le salon les conversations reprirent sous la clarté crue du lustre, la table, entourée de chaises dont les dossiers noirs, à filets d'or, l'encadraient d'une ligne sombre, était comme un autel, comme une chapelle ardente, où, sur la blancheur éclatante de la nappe, brûlaient les flammes claires des cristaux et des
pièces d'argenterie. Au-delà des dossiers sculptés, dans une ombre flottante, à peine apercevait-on les boiseries des murs, un grand buffet bas, des pans de velours qui traînaient. Forcément, les yeux revenaient à la table, s'emplissaient de cet éblouissement. Un admirable surtout d'argent mat, dont les ciselures luisaient, en occupait le centre; c'était une bande de jaunes enlevant des nymphes; et au-dessus du groupe, sortant d'un large cornet, un énorme bouquet de fleurs naturelles retombait en grappes. Aux deux bouts, des vases contenaient également des gerbes de fleurs; deux candélabres, appareillés au groupe du milieu, faits chacun
d'un satyre courant, emportant sur l'un de ses bras une femme pâmée, et tenant de l'autre une torchère à dix branches, ajoutaient l'éclat de leurs bougies au rayonnement du lustre central. Entre ces pièces principales, les réchauds, grands et petits, s'alignaient symétriquement, chargés du premier service, flanqués par des coquilles contenant des hors d’œuvre, séparés par des corbeilles de porcelaine, des vases de cristal, des assiettes plates, des compotiers montés, contenant la partie du dessert qui était déjà sur la table. Le long du cordon des assiettes, l'armée des verres, les carafes d'eau et de vin, les petites salières, tout le cristal du service était mince et léger comme de la mousseline, sans une ciselure, et si transparent qu'il ne jetait aucune ombre. Et le surtout, les grandes pièces semblaient des fontaines de feu; des éclairs couraient dans le flanc dépoli des réchauds; les fourchettes, les cuillers, les couteaux à manche de nacre faisaient des barres de flammes; des arcs-en-ciel allumaient les verres; et, au milieu de cette pluie d'étincelles, dans cette masse incandescente, les carafes de vin tachaient de rouge la nappe chauffée à blanc.
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Et, sous les arceaux, entre les massifs, çà et là, des chaînettes de fer soutenaient des corbeilles, dans lesquelles s'étalaient des Orchidées, les plantes bizarres du plein ciel, qui poussent de toutes parts leurs rejets trapus, noueux et déjetés comme des membres infirmes. Il y avait les Sabots de Vénus, dont la fleur ressemble à une pantoufle merveilleuse, garnie au talon d'ailes de libellules ; les Alridès, si tendrement parfumées; les Stanhopéa, aux fleurs pâles, tigrées, qui soufflent au loin, comme des gorges amères de convalescent, une haleine âcre et forte.
Mais ce qui, de tous les détours des allées, frappait les regards, c'était un grand Hibiscus de la Chine, dont l'immense nappe de verdure et de fleurs couvrait tout le flanc de l'hôtel, auquel la serre était scellée. Les larges fleurs pourpres de cette mauve gigantesque, sans cesse renaissantes, ne vivent que quelques heures. On eût dit des bouches sensuelles de femmes qui s'ouvraient, les lèvres rouges, molles et humides, de quelque Messaline géante, que des baisers meurtrissaient, et qui toujours renaissaient avec leur sourire avide et saignant.
Renée, très du bassin, frissonnait au milieu de ces floraisons superbes. Derrière elle, un grand sphinx de marbre noir, accroupi sur un bloc de granit, la tête tournée vers l'aquarium, avait un sourire de chat discret et cruel ; et c'était comme l'Idole sombre, aux cuisses luisantes, de cette terre de feu. A cette heure, des globes de verre dépoli éclairaient les feuillages de nappes laiteuses. Des statues, des têtes de femme dont le cou se renversait, gonflé de rires, blanchissaient au fond des massifs, avec des taches d'ombres qui tordaient leurs rires fous. Dans l'eau épaisse et dormante du bassin, d'étranges rayons se jouaient, éclairant des formes vagues, des masses glauques, pareilles à des ébauches de monstres. Sur les feuilles lisses du Ravenala, sur les éventails vernis des Lataniers, un flot de lueurs blanches coulât; tandis que, de la dentelle des Fougères, tombaient en pluie fine des gouttes de clarté. En haut, brillaient des reflets de vitre, entre les têtes sombres des hauts Palmiers. Puis, tout autour, du noir s'entassât; les berceaux, avec leurs draperies de lianes, se noyaient dans les ténèbres, ainsi que des nids de reptiles endormis.
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Mais lorsque Renée descendit enfin, il se fit un demi-silence. Elle avait mis un nouveau costume, d’une grâce si originale et d’une telle audace, que ces messieurs et ces dames, habitués pourtant aux excentricités de la jeune femme, eurent un premier mouvement de surprise. Elle était en Otaïtienne. Ce costume, paraît-il, est des plus primitifs : un maillot couleur tendre, qui lui montait des pieds jusqu’aux seins, en lui laissant les épaules et les bras nus ; et, sur ce maillot, une simple blouse de mousseline, courte et garnie de deux volants, pour cacher un peu les hanches. Dans les cheveux, une couronne de fleurs des champs ; aux chevilles et aux poignets, des cercles d’or. Et rien autre. Elle était nue. Le maillot avait des souplesses de chair, sous la pâleur de la blouse ; la ligne pure de cette nudité se retrouvait, des genoux aux aisselles vaguement effacée par les volants, mais s’accentuant et reparaissant entre les mailles de la dentelle, au moindre mouvement. C’était une sauvagesse adorable, une fille barbare et voluptueuse, à peine cachée dans une vapeur blanche, dans un pan de brume marine, où tout son corps se devinait.
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