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Les Rougon-Macquart tome 7 sur 20
EAN : 9782253002857
566 pages
Le Livre de Poche (07/12/1971)
4.15/5   5565 notes
Résumé :
Qu'est-ce qui nous fascine dans la vie « simple et tranquille » de Gervaise Macquart ? Pourquoi le destin de cette petite blanchisseuse montée de Provence à Paris nous touche-t-il tant aujourd'hui encore ? Que nous disent les exclus du quartier de la Goutte-d'Or version Second Empire ?
L'existence douloureuse de Gervaise est avant tout une passion où s'expriment une intense volonté de vivre, une générosité sans faille, un sens aigu de l'intimité comme de la f... >Voir plus
Que lire après Les Rougon-Macquart, tome 7 : L'AssommoirVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (306) Voir plus Ajouter une critique
4,15

sur 5565 notes
Définition du Petit Larousse 2051 :
Assommoir (nom masc.) : livre percutant, machine à donner des coups de poing en pleine face au lecteur. Ex : " Tiens, j'ai découvert un livre incroyable, c'est un vrai assommoir. " " Oh, là, là ! Je viens de lire les Cinquante Nuances de Grey ! Pfff ! C'était pas de l'assommoir ! "

Aujourd'hui, je vais choisir un parti pris peut-être osé, pas trop assommant, je l'espère : je vais prétexter qu'Émile Zola n'est pas un écrivain talentueux. Je sens déjà gronder la meute alors il me faut de suite préciser ce que j'entends par talentueux.

Selon moi, Émile Zola n'est pas le type de l'écrivain foncièrement doué dès le départ, qui a un sens inné de la formule juste, qui, quoi qu'il touche, aura toujours une plume séduisante, ce n'est pas un Beaumarchais , un Voltaire ou un Hugo qui pourrait presque se permettre de laisser courir sur le papier le flot continu de sa pensée sans jamais que cela soit pénible à lire.

Non, Zola, à mon avis, c'est l'inverse de cela. C'est un écrivain laborieux, tenace, obstiné, travailleur jusqu'au stakhanovisme, qui remet cent fois l'ouvrage sur le métier, qui se fixe un point et qui s'y tient, qui creuse, qui creuse, qui creuse son sillon, patiemment, motte après motte, comme un boeuf écumant jusqu'à ce que le champ soit entièrement labouré. Alors seulement, il s'autorise une petite pause, prend son mouchoir, essuie son front et ses lunettes, arbore un petit sourire de satisfaction en regardant sa parcelle retournée, puis retrousse à nouveau ses manches et repart pour une nouvelle besogne.

Jacques Brel disait : " le talent, c'est d'avoir la volonté de faire quelque chose. " et c'est en ce sens-là qu'Émile Zola est talentueux selon moi. Si vous avez un jour la curiosité de lire les Rougon-Macquart dans l'ordre, vous vous apercevrez qu'il lui aura fallu attendre le treizième volume pour atteindre ce qu'une large majorité considère comme sa quintessence, avec Germinal. Treize romans avant le Nirvana, ce n'est pas rien tout de même.

Vous vous apercevrez, ce qui pour moi est toujours assez émouvant, que c'est vraiment à force de travail qu'Émile Zola a acquis son art. le projet est très comparable dans le Ventre de Paris ou dans Au Bonheur Des Dames : on décrit les Halles dans l'un et les grands magasins dans l'autre. le but est clairement descriptif et documentaire, or, ce travail qui pouvait s'avérer lourd, redondant et pléthorique dans le Ventre de Paris, numéro 3 du cycle, passe comme une lettre à la poste dans Au Bonheur Des Dames, le numéro 11. Il a progressé, il s'est amélioré, il s'est affiné il maîtrise mieux non pas son sujet, mais son art, l'art de la plume de l'écrivain naturaliste.

Et ici, avec L'Assommoir, c'est absolument flagrant. C'est tellement beau, c'est tellement fort, c'est tellement émouvant de le voir sous nos yeux apprendre à maîtriser l'art du dérapage sur piste glissante, de le voir s'en tirer à chaque fois mieux, commençant au correct et terminant au sublime.

Car dans le fond, pourquoi ce septième roman des Rongon-Macquart a-t-il connu plus de succès que tous ceux qui ont précédé et jouit-il d'une plus grande notoriété ? A priori, il n'est pas fondamentalement différent des autres. La recette de Zola semble toujours un peu la même, le couple subissant une lente agonie et une spirale descendante a déjà été dépeint dans La Conquête de Plassans.

Cette fois, c'est la cousine des Mouret, la célèbre Gervaise Macquart, devenue Coupeau qui est sur le gril. Zola nous embarque dans les arcanes du monde des ouvriers et des petits commerçants de Paris, et comme dans les ouvrages précédents, la part faite à la description est grande. Vous découvrirez les lavoirs, les blanchisseries, l'atelier miteux du chaîniste de la Goutte d'Or, les toits de Paris couverts de zinc, la forge, qui ressemble à celle de Vulcain, les fleuristes, et même l'auteur nous emmène au Louvre, puis bien évidemment, dans l'antre fétide et maléfique des débits de boisson où les ouvriers viennent s'abîmer.

Qu'est-ce qui est si différent ici des autres romans ? Sur le fond, probablement rien. Zola continue d'y creuser son sillon, de dérouler son oeuvre sociale sur un nouveau pan de la société, en l'occurrence les classes ouvrières qu'il avait déjà un peu visité dans le Ventre de Paris. Gervaise n'est pas si loin de réussir dans la blanchisserie comme sa soeur Lisa dans la charcuterie.

Ici, à mon avis, la grande différence, ce qui est vraiment magique avec ce roman, provient du style qu'Émile Zola va employer et faire éclore, sous nos yeux, à force de travail, sans presque l'avoir fait exprès. À force de s'accoquiner au phrasé et à l'argot le plu cru de l'époque (pour faire plus vrai), la prose de Zola s'est révélée, s'est transfigurée page après page, par ce mélange de langue érudite et de langue fangeuse. Pour moi, c'est ça qui explique le succès phénoménal de L'Assommoir.

Regardez, observez, soyez attentifs, suivez l'évolution du style au sein du livre et découvrez au chapitre 10 notamment, cette espèce de mélange de lyrisme et de miasmes absolument nouveau, même pour Zola et d'une fluidité, d'une force absolument prodigieuse, qui deviendront la " marque de fabrique " de l'auteur, qui annonce le style du grand, de l'inénarrable Céline. Un style qui a éclos ici, presque fortuitement à l'écriture forcenée de L'Assommoir par un Zola plus laborieux et travailleur que jamais.

Ainsi, à baigner dans le jus de l'argot, la prose du naturaliste a acquis une dimension supplémentaire, Émile Zola a fait évoluer son style pour coller à la violence, à la médisance et à l'indigence qu'il décrit. Et c'est, volontairement ou non, qu'il atteint l'excellence, car on le sentait certes en germe dans les ouvrages précédents (il avait un peu raté le coche dans le Ventre de Paris), mais jamais encore il n'avait pleinement épanoui une telle verdeur de style, une certaine révolution, qui fait qu'aujourd'hui Zola est Zola.

Bref, on a le sentiment qu'à décrire la lente et inéluctable descente aux enfers de Gervaise dans la puanteur et le désespoir, l'auteur s'est trouvé lui-même et a franchi le seuil de son identité littéraire. Il y aura un " avant " et un " après " L'Assommoir. La scène du fouet chez le père Bijard au chapitre 10 est l'une des plus dures qu'on puisse imaginer, rappelant les pires déboires de Fantine et Cosette réunies dans Les Misérables.

On sent Gervaise fragile psychologiquement, jamais très loin de s'en sortir, mais effectuant toujours le mauvais choix quand s'offre une alternative tant avec Lantier (admirable en sa qualité de " ver dans le fruit "), que Coupeau suite à sa chute, que Goujet qu'elle n'ose pas rejoindre alors que lui seul semblait pouvoir lui assurer un certain salut.

Finalement, ce qui est touchant chez Gervaise (un peu comme chez Nana sa fille plus tard), c'est cette dénégation de la vie, cette abnégation à affronter la chute sans craindre la mort tellement l'existence a peu de prix pour elle. La scène d'apocalypse finale que subit Coupeau en proie au pire des delirium tremens est une sorte de synthèse, où tout le mal accumulé dans les chairs et dans l'esprit dans cette descente ressort en un torrent de douleurs et de démence indescriptibles. Ce roman est aussi le germe, l'éclosion de deux personnages important des romans à venir, en la personne de Nana dans le roman éponyme et d'Étienne dans Germinal.

Enfin, comme les Halles dans le Ventre de Paris et plus tard, la locomotive de la bête humaine, l'alambic de L'Assommoir du père Colombe est élevé au rang de personnage effectif, démon maléfique et vénéneux au pouvoir quasi mystique digne des sortilèges de l'Odyssée.

Lisez et relisez ce premier (et pas dernier) grand coup de poing en pleine face que nous assène Émile Zola dans les Rougon-Macquart. Or, bien entendu, ce que vous venez de lire n'est qu'un avis, alambiqué et assommant, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Attention, la lecture de "l'Assommoir" peut provoquer l'ivresse !

Ivresse de tourner les pages ; ivresse de savoir ce que cache la violence sociale… Une ivresse noire, pénible, qui fait naître le malaise et retourne le cerveau.

Pourquoi ce tome est-il l'un des plus célèbres de son auteur ? A cette question, chaque lecteur l'ayant apprécié peut apporter sa réponse personnelle. Pour ma part, je m'explique ce succès par la fascination du pire qu'il engendre chez le lecteur. Ce fut le cas pour moi.

Comme toujours avec Zola, la nature humaine est mise à nu, crûment. le maître absolu de la littérature naturaliste dévoile dans ce roman toute la noirceur d'âmes qui ne connaissent ni la modération, ni la charité et encore moins la raison.

Dans ce 7ème tome des Rougon-Macquart, le personnage principal que le lecteur va suivre (et auquel il a de fortes chances de s'attacher) est Gervaise Macquart, la petite-fille d'Adélaïde Fouque, racine-souche de la famille. Toute l'action du roman se déroule à Paris, dans un milieu ouvrier décrit sans concession, si bien qu'à sa parution, voilà un ouvrage qui a fait bien des remous dans l'opinion publique !

Gervaise est blanchisseuse ; une brave fille travailleuse, pourtant l'archétype de celle "qui n'a jamais de chance", alors attendez-vous à un Zola "noir de chez noir". Malmenée par les hommes qui partagent sa vie, sa bonté et son endurance lui font franchir bien des épreuves et la mènent même sur la voie de la réussite mais c'est sans compter sur les "vices" vers lesquels l'homme a tant de facilité à glisser : oisiveté et fainéantise, alcoolisme, égoïsme et gaspillage. L'énergie et la patience de Gervaise n'y réussiront pas, c'est vers l'abîme social que toute sa famille dirige ses pas.

Bon, je m'arrête là, vous aurez compris le ton du roman.

Je finis en vous donnant mon opinion. Très beau "morceau" de littérature, oeuvre qui "remue les tripes" en profondeur, "l'Assommoir" reste pour moi un incontournable de Zola, l'un de ses plus beaux écrits, à sa ressemblance : dur, réaliste et émouvant.

A consommer sans aucune modération !
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C'était un des opus attendus, parce que déjà lu et apprécié autrefois, L'Assommoir, histoire de l'inévitable descente aux enfers de la petite Gervaise, élevée dans la violence d'un père ivrogne, et qui un temps goûta à la consolation temporaire de l'anisette, jusqu'à l'écoeurement. Celle que l'on appelait la boiteuse achève sa vie d'enfant à quatorze ans, enceinte des oeuvres d'Auguste Lantier, beau parleur et flambeur. le couple quitte Plassans pour Paris, menant grand train jusqu'à épuisement d'un pécule qui devait servir à leur établissement. Lantier boit, Lantier frappe, Lantier fait disparaitre peu à peu les quelques possessions misérables du couple, Lantier finit par se faire la malle, au sens propre du terme. Et ce fût peut-être le moment où Gervaise vécut dans la sérénité, travaillant pour nourrir ses deux petits, et jurant de ne plus s'encombrer d'un homme. Il aura suffit de l'assiduité un peu lourdingue de Coupeau pour qu'elle mette fin à son serment, et signe là une dégringolade annoncée.

Ce roman offre des scènes mythiques, mises en images par René Clément en 1956, celles de la fessée au lavoir, celle de la noce déambulant sous la pluie, celle du delirium tremens, un modèle de description clinique. C'est une fois de plus un travail d'observation et de restitution remarquable que nous offre Zola, avec une grande habileté pour faire coller le cadre et l'écriture . le langage est celui du peuple, avec ses mots argotiques, qui sont oubliés depuis longtemps et ses expressions populaires imagées, vulgaires et parlantes.

Peu de politique dans cet opus, ce ne sont pas les divagations alcoolisées de Lantier raillant « Badingue » qui relèveront le niveau.

Pour les personnages, hormis Goujet, le forgeron amoureux, les hommes ne sont pas mis en valeurs : fainéants, alcooliques, parasites, donnant l'impression que les troquets sont plus peuplés que les chantiers, pourtant nombreux dans ce Paris en pleine restructuration.

Quant à la douce Gervaise, un bon fond, une générosité sans faille, c'est sa volonté défaillante qui la conduit à sa perte. Son désir d'indépendance disparait lorsqu'un homme lui manifeste son désir. Reproduisant le modèle familial, elle trace sa voie vers le malheur.

C'est l'un des plus forts et des plus émouvants romans de la série des Rougon-Macquart, une chronique sociale dans la lignée du naturalisme, qui décrit la fin d'une époque où le savoir-faire anoblissait l'ouvrier, bientôt remplacé par les machines.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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"J'affirme que j'ai fait une oeuvre utile en analysant un certain coin du peuple, dans L'Assommoir. J'y ai étudié la déchéance d'une famille ouvrière, le père et la mère tournant mal, la fille se gâtant par le mauvais exemple, par l'influence fatale de l'éducation et du milieu. J'ai fait ce qu'il y avait à faire : j'ai montré des plaies, j'ai éclairé violemment des souffrances et des vices que l'on peut guérir. Je ne suis qu'un greffier qui me défends de conclure. Mais je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver les remèdes... Oui, le peuple est ainsi, mais parce que la société le veut bien."

C'est avec ces quelques lignes que Zola, dans une lettre publiée dans La Vie Littéraire, le 22 février 1877, se défendit des accusations dont il était victime. Car bien évidemment, ce septième roman de la saga ne pouvait pas laisser indifférent. On lui reprocha une atteinte aux bonnes moeurs et, pire que tout, de dénigrer le peuple. Cependant, n'était-ce pas de l'hypocrisie ? Zola a voulu lever le voile sur des tabous et, comme à son habitude, son écriture met en relief un pan de la société que l'on préfère ignorer : alcoolisme, débauche, infidélité... Bien sûr, Zola met le doigt là où ça fait mal, sinon, à quoi bon écrire un bouquin, hein ? Et comme à son habitude, il se documente suffisamment pour que tout cela paraisse bien réaliste, jusque dans la langue populaire.

Si je devais choisir parmi tous les romans de cet auteur, je dirais que L'Assommoir est celui que je préfère. J'ai une certaine compassion pour cette pauvre Gervaise, une envie irrépressible de lui hurler, à chaque fois que je relis ce livre, "mais ôte-toi de la tête ce *** de Lantier, non, ne cède pas aux avances de Coupeau !" Mais ne nous leurrons pas : Zola avait vu juste et ce texte reste résolument moderne. Il y a et il y aura toujours des Gervaise, des Lantier ou des Coupeau, malheureusement !


Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Zola n'est franchement pas tendre avec ses personnages.. c'est encore une fois le cas avec Gervaise.

Gervaise , une jeune femme amoureuse d'Auguste Lantier, elle décide de le suivre à Paris ou ils auront deux enfants . Mais ce bougre d'amant prend la fuite et la laisse seule. Elle va élever seule ses deux enfants jusqu'à ce qu'elle fasse la rencontre d'un homme qui deviendra son mari… mais la encore le destin ne sera pas tout rose.

Zola excelle dans cette description de la société. Parfois on peut penser qu'il en fait de trop… que le destin s'acharne sur ses personnages.. et pourtant parfois la vraie vie dépasse la fiction.

Je suis toujours très admirative du travail de Zola, par ses descriptions si précises qu'on se sent immerger aux milieux des personnages et des décors. Il est vrai que de ce fait cela donne parfois de la longueur et de la lenteur au texte .. mais franchement ça en vaut le coup.

Mais j'ai beaucoup aimé cette mise en avant du travail ouvrier. Car a côté de la noirceur que Zola décrit, entre la misère sociale, le manque d'argent et bien sur l'alcoolisme. Il nous dépeint aussi des hommes et des femmes qui aiment et sont fiers de leur métiers. Une belle mise en avant de l'artisanat si peu aidé par le gouvernement de l'époque.

Un très grand moment de lecture avec ce classique.
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critiques presse (1)
BDGest
19 octobre 2022
Superbe modernisation d’un titre majeur de la littérature, L’assommoir version 2.0 est une réussite à tous les points de vue. Caractères intelligemment transposés dans la réalité d’aujourd’hui, scénario toujours d’actualité et cet éternel sentiment d’impuissance et l’absence de toute porte de sortie honorable sont toujours bien présents cent cinquante ans après. Dont acte.
Lire la critique sur le site : BDGest
Citations et extraits (486) Voir plus Ajouter une citation
A ce moment, comme la jeune femme pendait sa dernière pièce de linge, il y eut des rires à la porte du lavoir.
- C'est deux gosses qui demandent maman ! cria Charles.
Toutes les femmes se penchèrent. Gervaise reconnut Claude et Étienne.
Dès qu'ils l'aperçurent, ils coururent à elle, au milieu des flaques, tapant sur les dalles les talons de leurs souliers dénoués. Claude, l'aîné, donnait la main à son petit frère. Les laveuses, sur leur passage, avaient de légers cris de tendresse, à les voir un peu effrayés, souriant pourtant. Et ils restèrent là, devant leur mère, sans se lâcher, levant leurs têtes blondes.
- C'est papa qui vous envoie ? demanda Gervaise.
Mais comme elle se baissait pour rattacher les cordons des souliers d'Étienne, elle vit, à un doigt de Claude, la clef de la chambre avec son numéro de cuivre, qu'il balançait.
- Tiens ! tu m'apportes la clef ! dit-elle, très-surprise. Pourquoi donc ?
L'enfant, en apercevant la clef qu'il avait oubliée à son doigt, parut se souvenir et cria de sa voix claire :
- Papa est parti.
- Il est allé acheter le déjeuner, il vous a dit de venir me chercher ici ?
Claude regarda son frère, hésita, ne sachant plus. Puis, il reprit d'un trait :
- Papa est parti... Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il a descendu la malle sur une voiture... Il est parti.
Gervaise, accroupie, se releva lentement, la figure blanche, portant les mains à ses joues et à ses tempes, comme si elle entendait sa tête craquer. Et elle ne put trouver qu'un mot, elle le répéta vingt fois sur le même ton :
- Ah ! mon Dieu !...ah ! mon Dieu !... ah ! mon Dieu !...
Madame Boche, cependant, interrogeait l'enfant à son tour, tout allumée de se trouver dans cette histoire.
- Voyons, mon petit, il faut dire les choses... C'est lui qui a fermé la porte et qui vous a dit d'apporter la clef, n'est-ce pas ?
Et, baissant la voix, à l'oreille de Claude :
- Est-ce qu'il y avait une dame dans la voiture ?
L'enfant se troubla de nouveau. Il recommença son histoire, d'un air triomphant :
- Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il est parti...
Alors, comme madame Boche le laissait aller, il tira son frère devant le robinet. Ils s'amusèrent tous les deux à faire couler l'eau.
Gervaise ne pouvait pleurer. Elle étouffait, les reins appuyés contre son baquet, le visage toujours entre les mains. De courts frissons la secouaient. Par moments, un long soupir passait, tandis qu'elle s'enfonçait davantage les poings sur les yeux, comme pour s'anéantir dans le noir de son abandon. C'était un trou de ténèbres au fond duquel il lui semblait tomber.
- Allons, ma petite, que diable ! murmurait madame Boche.
- Si vous saviez ! si vous saviez ! dit-elle enfin tout bas. Il m'a envoyée ce matin porter mon châle et mes chemises au Mont-de-Piété pour payer cette voiture...
Et elle pleura. Le souvenir de sa course au Mont-de-Piété, en précisant un fait de la matinée, lui avait arraché les sanglots qui s'étranglaient dans sa gorge.
Cette course-là, c'était une abomination, la grosse douleur dans son désespoir. Les larmes coulaient sur son menton que ses mains avaient déjà mouillé, sans qu'elle songeât seulement à prendre son mouchoir.
- Soyez raisonnable, taisez-vous, on vous regarde, répétait madame Boche qui s'empressait autour d'elle. Est-il possible de se faire tant de mal pour un homme !... Vous l'aimiez donc toujours, hein ? ma pauvre chérie. Tout à l'heure, vous étiez joliment montée contre lui. Et vous voilà, maintenant, à le pleurer, à vous crever le coeur... Mon Dieu, que nous sommes bêtes !
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Quand le médecin des Boche l’eut vu le matin, et qu’il lui eut écouté dans le dos, il branla la tête, il prit Gervaise à part pour lui conseiller de faire porter tout de suite son mari à l’hôpital. Coupeau avait une fluxion de poitrine. Et Gervaise ne se fâcha pas, bien sûr. Autrefois, elle se serait plutôt fait hacher que de confier son homme aux carabins. Lors de l’accident, rue de la Nation, elle avait mangé leur magot, pour le dorloter. Mais ces beaux sentiments-là n’ont qu’un temps, lorsque les hommes tombent dans la crapule. Non, non, elle n’entendait plus se donner un pareil tintouin. On pouvait le lui prendre et ne jamais le rapporter, elle dirait un grand merci. Pourtant, quand le brancard arriva et qu’on chargea Coupeau comme un meuble, elle devint toute pâle, les lèvres pincées ; et si elle rognonnait et trouvait toujours que c’était bien fait, son coeur n’y était plus, elle aurait voulu avoir seulement dix francs dans sa commode, pour ne pas le laisser partir. Elle l’accompagna à Lariboisière, regarda les infirmiers le coucher, au bout d’une grande salle, où les malades à la file, avec des mines de trépassés, se soulevaient et suivaient des yeux le camarade qu’on amenait ; une jolie crevaison là-dedans, une odeur de fièvre à suffoquer et une musique de poitrinaire à vous faire cracher vos poumons ; sans compter que la salle avait l’air d’un petit Père-Lachaise, bordée de lits tout blancs, une vraie allée de tombeaux. Puis, comme il restait aplati sur son oreiller, elle fila, ne trouvant pas un mot, n’ayant malheureusement rien dans la poche pour le soulager. Dehors, en face de l’hôpital, elle se retourna, elle jeta un coup d’oeil sur le monument. Et elle pensait aux jours d’autrefois, lorsque Coupeau, perché au bord des gouttières, posait là-haut ses plaques de zinc, en chantant dans le soleil. Il ne buvait pas alors, il avait une peau de fille. Elle, de sa fenêtre de l’hôtel Boncoeur, le cherchait, l’apercevait au beau milieu du ciel ; et tous les deux agitaient des mouchoirs, s’envoyaient des risettes par le télégraphe. Oui, Coupeau avait travaillé là-haut, en ne se doutant guère qu’il travaillait pour lui. Maintenant, il n’était plus sur les toits, pareil à un moineau rigoleur et putassier ; il était dessous, il avait bâti sa niche à l’hôpital, et il y venait crever, la couenne râpeuse. Mon Dieu, que le temps des amours semblait loin, aujourd’hui !
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Au milieu de cette existence enragée par la misère, Gervaise souffrait encore des faims qu'elle entendait râler autour d'elle. Ce coin de la maison était le coin des pouilleux, où trois ou quatre ménages semblaient s'être donné le mot pour ne pas avoir du pain tous les jours. Les portes avaient beau s'ouvrir, elles ne lâchaient guère souvent des odeurs de cuisine. Le long du corridor, il y avait un silence de crevaison, et les murs sonnaient creux, comme des ventres vides. Par moments, des danses s'élevaient, des larmes de femmes, des plaintes de mioches affamés, des familles qui se mangeaient pour tromper leur estomac. On était là dans une crampe au gosier générale, bâillant par toutes ces bouches tendues ; et les poitrines se creusaient, rien qu'à respirer cet air, où les moucherons eux-mêmes n'auraient pas pu vivre, faute de nourriture. Mais la grande pitié de Gervaise était surtout le père Bru, dans son trou, sous le petit escalier. Il s'y retirait comme une marmotte, s'y mettait en boule, pour avoir moins froid ; il restait des journées sans bouger, sur un tas de paille. La faim ne le faisait même plus sortir, car c'était bien inutile d'aller gagner dehors de l'appétit, lorsque personne ne l'avait invité en ville. Quand il ne reparaissait pas de trois ou quatre jours, les voisins poussaient sa porte, regardaient s'il n'était pas fini. Non, il vivait quand même, pas beaucoup, mais un peu, d'un oeil seulement ; jusqu'à la mort qui l'oubliait ! Gervaise, dès qu'elle avait du pain, lui jetait des croûtes. Si elle devenait mauvaise et détestait les hommes, à cause de son mari, elle plaignait toujours bien sincèrement les animaux ; et le père Bru, ce pauvre vieux, qu'on laissait crever, parce qu'il ne pouvait plus tenir un outil, était comme un chien pour elle, une bête hors de service, dont les équarisseurs ne voulaient même pas acheter la peau ni la graisse. Elle en gardait un poids sur le coeur, de le savoir continuellement là, de l'autre côté du corridor, abandonné de Dieu et des hommes, se nourrissant uniquement de lui-même, retournant à la taille d'un enfant, ratatiné et desséché à la manière des oranges qui se racornissent sur les cheminées.
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Quant à Coupeau, il travaillait peut-être, mais alors il faisait, pour sûr, cadeau de son travail au gouvernement ; car Gervaise, depuis l’embauche d’Étampes, n’avait pas revu la couleur de sa monnaie. Les jours de sainte-touche, elle ne lui regardait plus les mains, quand il rentrait. Il arrivait les bras ballants, les goussets vides, souvent même sans mouchoir ; mon Dieu ! oui, il avait perdu son tire-jus, ou bien quelque fripouille de camarade le lui avait fait. Les premières fois, il établissait des comptes, il inventait des craques, des dix francs pour une souscription, des vingt francs coulés de sa poche par un trou qu’il montrait, des cinquante francs dont il arrosait des dettes imaginaires. Puis, il ne s’était plus gêné. L’argent s’évaporait, voilà ! Il ne l’avait plus dans la poche, il l’avait dans le ventre, une autre façon pas drôle de le rapporter à sa bourgeoise. La blanchisseuse, sur les conseils de madame Boche, allait bien parfois guetter son homme à la sortie de l’atelier, pour pincer le magot tout frais pondu ; mais ça ne l’avançait guère, des camarades prévenaient Coupeau, l’argent filait dans les souliers ou dans un porte-monnaie moins propre encore. Madame Boche était très maligne sur ce chapitre, parce que Boche lui faisait passer au bleu des pièces de dix francs, des cachettes destinées à payer des lapins aux dames aimables de sa connaissance ; elle visitait les plus petits coins de ses vêtements, elle trouvait généralement la pièce qui manquait à l’appel dans la visière de la casquette, cousue entre le cuir et l’étoffe. Ah ! ce n’était pas le zingueur qui ouatait ses frusques avec de l’or ! Lui, se le mettait sous la chair. Gervaise ne pouvait pourtant pas prendre ses ciseaux et lui découdre la peau du ventre.
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Le vin décrassait et reposait du travail, mettait le feu au ventre des fainéants ; puis, lorsque le farceur vous jouait des tours, eh bien ! le roi n'était pas votre oncle, Paris vous appartenait. Avec ça que l'ouvrier, échiné, sans le sou, méprisé par les bourgeois, avait tant de sujets de gaieté, et qu'on était bien venu de lui reprocher une cocarde de temps à autre, prise à la seule fin de voir la vie en rose ! Hein ! à cette heure, justement, est-ce qu'on ne se fichait pas de l'empereur? Peut-être bien que l'empereur lui aussi était rond, mais ça n'empêchait pas, on se fichait de lui, on le défiait bien d'être plus rond et de rigoler davantage. Zut pour les aristos !
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Dans l'assommoir, quelle est l'infirmité qui touche Gervaise dès la naissance

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