L'histoire que nous raconte
Zola dans ce roman est celle d'un couple amoureux passionné, pris d'une folie éperdue de vouloir vivre enfin ensemble, après avoir été frustrés pendant des mois juste parce qu'ils ne se sont pas rencontrés au bon moment ni au bon endroit.
Dit comme cela, on imagine un jeune couple romantique, éperdument amoureux, prêt à tous les sacrifices pour vivre pleinement sa passion. Cela aurait pu être tragique, poignant, nous aurions versé des larmes sur le sort cruel qui s'abat sur les amants contrariés. Un superbe effet romantique était possible.
Au lieu de cela, nous observons froidement les deux héros, Thérèse et Laurent, aux prises avec leur destin. Destin, dont il faut bien admettre qu'ils ne sont pas les victimes comme dans la tragédie mais bien plutôt les acteurs. Et ils n'auront droit à aucune empathie de la part du lecteur, en tous cas de beaucoup de lecteurs, juste effarés de tant d'inconscience, de tant de médiocrité, de tant d'avidité.
Laurent, un jeune homme tout en muscles qui consomme les femmes comme des objets, tout juste bonnes à satisfaire ses impérieux appétits sexuels. Un balourd mais pas si innocent que cela, bien capable de viser à satisfaire ses intérêts y compris financiers. Car paresseux avec cela, il n'est jamais si content que lorsqu'il n'a pas à gagner son pain.
Thérèse, orpheline, mariée tristement à son cousin germain, claquemurée au fond d'un sinistre passage parisien dans une mercerie où elle siège comme une statue avec pour toute compagnie sa belle-mère (et sa tante) qui ne se remet pas de la mort de son fils Camille, purement et simplement éliminé par le couple.
Car le mari de Thérèse, Camille, est mort et bien mort, grâce aux bons soins de sa cousine et néanmoins épouse aidée de son amant, le mufle Laurent.
Alors que faire ? Se précipiter pour vivre un amour si chèrement gagné serait imprudent. Donc, attendre.
Mais les amants n'avaient sans doute pas prévu que leur crime leur procurerait des angoisses terribles, la vie leur devient impossible, ils ne peuvent ni s'aimer au grand jour, ni attendre sagement que le délai du deuil soit passé.
Un autre mal, bien pire que la frustration s'empare d'eux et les ronge : une véritable terreur, non pas de leur crime ni de possibles sanctions, mais une peur irraisonnée, qui prend une couleur fantastique, avec des terreurs fantastiques, comme si le mort se vengeait. Il est partout, il menace partout, il s'empare des pensées des deux coupables.
Zola fait ici un roman quasi fantastique qui à aucun moment ne rend ses personnages sympathiques. la noirceur semble être la marque des personnages, aucun ne suscite notre sympathie, pas même le mari assassiné ni même sa mère, enfermée dans un silence menaçant.
Un roman d'une noirceur remarquable, qu'on n'oublie pas. L'adaptation pour l'écran de
Marcel Carné en a quelque peu modifié la teneur tout en préservant l'essentiel des caractéristiques des personnages.