Très tôt, deux défis s'imposent à l'héritier du trône impérial allemand. D'une part : « Comment surmonter une infirmité [un bras atrophié et paralysé] aux conséquences physiques et psychologiques incontestables ? » D'autre part : « Il est à moitié anglais [sa mère est l'une des filles de la reine Victoria] et, dans un grand élan de romantisme, il se veut prussien. » Ce qui ne l'empêchera pas d'admirer sincèrement la culture anglaise et d'être affligé par la mort de sa grand-mère Victoria, au chevet de laquelle il se précipite en apprenant son état de santé, au début de l'année 1901.
D'une grande vivacité d'esprit, Guillaume, petit-fils de Guillaume Ier, vainqueur de la guerre de 1870 et porté à la tête du tout jeune empire d'Allemagne par un génie de la politique, Bismarck [qui sera congédié par Guillaume II, le considérant comme un homme du passé], est pourtant le jouet de ses émotions, qui dénotent une inconstance de caractère. Inconstance qui provoquera pas mal de scandales et crises durant son règne, dont ses propos publiés avec son accord inconsidéré dans le Daily Telegraph, où il divague allègrement.
Incapable de gérer ses émotions, donc, disant tout et son contraire, mettant ainsi à rude épreuve ses chanceliers successifs, plus les autres États, Guillaume II était-il le souverain qu'il fallait à l'Allemagne, à une époque où le monde changeait de manière vertigineuse, à commencer par son pays qui, alignant une fulgurante réussite industrielle, aspirait aussi à plus de constitutionalité, même si l'Allemagne n'était pas la Russie tsariste en matière de régime ? Difficile de répondre à cette question. Cependant, à la lumière de la très complète biographie de Charles Zorgbib, et sans exonérer Guillaume II de ses responsabilités, il n'apparaît pas comme le criminel de guerre cruel, si terriblement caricaturé en dragon terrassé par saint Michel, sur le toit du Mémorial des batailles de la Marne, à Dormans.
Il n'empêche, et malgré ses démonstrations d'amitié aux divers chefs d'État et souverains de l'époque, malgré encore sa recherche sincère de la paix, il aura distillé à l'orgueil germanique ce fort sentiment d'encerclement et d'esprit défensif. Ajoutons à cela sa politique expansionniste agressive, Guillaume II contribuera nettement à une guerre précipitant l'Europe dans le chaos, avec, en écho, une seconde encore plus dévastatrice.
Passionné de navigation, Guillaume II va mettre sur pied une importante flotte de guerre, la deuxième après l'Angleterre et inquiétant beaucoup cette dernière. Une flotte dont il refusera d'employer les pleines capacités lors de la Première Guerre mondiale, ce qui démontre son absence de sens stratégique au passage.
Pour preuve de ses dangereux emportements, le 28 juin 1914, tandis qu'il interrompt une régate, et qu'il apprend l'assassinat de l'archiduc-héritier d'Autriche et sa femme à Sarajevo, il s'exclame : « Il faut balayer les Serbes, et rapidement ! »
Cela dit, les antagonismes existaient bel et bien en Europe, particulièrement la question de l'Alsace-Lorraine pour la France. Cependant, tout ceci aurait pu être évité si Guillaume II avait écouté sa raison. Les signes avant-coureurs avaient été nombreux, pourtant, entre la crise d'Agadir et les guerres balkaniques. de là à le considérer comme seul responsable et criminel de guerre, ce serait excessif.
Une fois la guerre déclarée, il dirigera un temps les opérations militaires, puis laissera la main au tandem Hindenburg-Ludendorff, avec l'issue que l'on connaît, après plus de quatre années de guerre. Guillaume II, forcé d'abdiquer, trouvera refuge en Hollande où il finira sa vie.
Toutefois, lorsqu'un sombre caporal allemand accédera au pouvoir en 1933, Guillaume n'aura de cesse de fustiger
Adolf Hitler, qu'il appellera le « caporal bohémien », exprimant aussi sa « honte d'être Allemand » en apprenant la Nuit de Cristal, ce massacre organisé par le régime nazi, qu'il désignait encore sous le vocable de « national-bolchévique ».
Charles Zorgbibe signe là une biographie nuancée qui montre une plus grande complexité d'un personnage historique soudain humanisé. Et comme l'écrit l'auteur : « On peut toujours rêver à ce qu'aurait été l'Europe sans le cyclone de la Première Guerre mondiale et ses neuf millions de morts [chiffre à revoir à la hausse] parmi les générations les plus jeunes, et imaginer une Allemagne impériale qui aurait survécu, avec sa forte structure et ses repères, son évolution vers un parlementarisme classique – une Allemagne où l'aventure hitlérienne n'aurait pu prendre forme… » On peut toujours rêver, mais il faut ensuite se réveiller…