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Critique de Dominique_Lin


Du dernier livre de Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose, il se dit qu'il est inachevé. Sur certains points que j'aborderai plus loin, on pourrait le dire, mais si tous les romans qui paraissent « achevés » étaient de la même facture, la littérature en serait grandie.
Ce roman est en deux parties distinctes par le fond et par la forme. Cela vient peut-être du fait qu'il ait été écrit durant deux périodes éloignées, à savoir 1930-31 et 1937-38. D'après Robert Dumont qui a écrit une postface, ce livre a été conçu en rassemblant plusieurs manuscrits retrouvés dans les archives de l'écrivain : « Un premier cahier, rédigé à Salzbourg en 1930-1931, relate l'aventure de Christine à Pontresina et s'arrête à son retour au pays ; le second écrit en exil à Londres en 1938-1939, correspond à la deuxième partie du roman »
Christine Hoflehner exerce la morne profession d'employée des Postes dans un village autrichien en 1926. Les hommes de sa famille, le père et le frère, sont morts à la guerre, et elle vit seule avec sa mère malade, désargentée. Elle a perdu ses rêves d'adolescente pendant le conflit et, à 28 ans, elle n'est ni jeune ni vieille, juste une femme éteinte à l'amour et à l'espoir de fonder une famille. Une vie terne et sans but défile chaque jour dans ce bureau sans âme où seule sa conscience professionnelle l'aide à supporter le quotidien.
Claire, sa tante devenue riche et américaine grâce à un mariage avec Monsieur van Boolen, comme pour se rattraper de la distance prise avec sa pauvre famille, invite Christine avec toute l'exubérance de sa richesse récente à passer quelques jours de vacances dans un palace en Suisse où toute les fortunes du monde se côtoient, se regardent, se jaugent, s'organisent en huis clos. Avec les robes soyeuses, les mets raffinés, les soirées dansantes où elle se fait inviter, où elle brille, aisance et volupté… elle naît au bonheur, les hommes se bousculent pour l'inviter, être vus avec elle, si pétillante belle, libre, ignorante des codes de cette société. L'ivresse est là qui la bouscule, la métamorphose. Ira-t-elle jusqu'au premier baiser sur la banquette arrière de la limousine avec chauffeur ? S'autorisera-t-elle à offrir son corps à ce prétendant ?
Mais voilà, la lumière renforce l'ombre, et dans cette ombre naissent la jalousie, le doute, le complot.
Ce qui semblait s'annoncer comme un miracle aux premières lignes se transforme en cauchemar. Il est minuit, Cendrillon, le tumulte des cloches sonne le repli !
Parler de la deuxième partie serait révéler la suite que l'on découvre page à page, forte, dure, sévère avec la société. Nous quittons le luxe et l'insouciance de l'écriture de 1931 pour plonger dans l'atmosphère angoissante de 1938, avec le désastre qui s'annonce.
Christine rencontre Ferdinand, écorché par la guerre, détruit par des années dans les camps de prisonniers. Il fait partie de ces vétérans abandonnés par l'État, dont les rêves ont laissé place à une misère quotidienne. Il lui est impossible d'exercer le métier pour lequel il avait étudié, à cause d'un handicap dû à la détention. Aucune pension, la débrouille, petits boulots, logement de misère.
La suite de l'histoire se dévoile, imprévue, au fil des méandres psychologiques des personnages qui tentent de se créer d'abord un présent tout en rêvant d'un avenir.
Alors, Monsieur Zweig, ce roman « inachevé », quel brio ! Quel rythme, quelles envolées !
Toutes les phases par lesquelles Christine passe sont écrites avec réalisme, avec une précision chirurgicale. La folle farandole des émotions nous emporte au point d'avoir envie de lire à haute voix, quitte à en perdre le souffle. La remarque faite en début de chronique concerne cet aspect de l'écriture parfois redondant dans l'expression introspective longue qui, malgré la rapidité du tempo, ralentit le fil de l'histoire, passages presque « trop écrits ».
Ce roman social d'après-guerre de 1914 décrit une société qui a souffert et souffre encore, dans laquelle certains riches privilégiés ne sont que de tristes sires, où meurtrissures, deuil, désespoir, illusions et désillusions se côtoient, le tout servi par la magnifique écriture de Stefan Zweig qui a marqué la littérature.
Lien : http://dominiquelin.overblog..
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