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Critique de Jooh


Avec son Ivresse de la métamorphose, Stefan Zweig a, une nouvelle fois, su me conquérir. Quelle histoire torturée, quel drame psychologique !

J'ai aimé la multiplicité des histoires au sein de ce seul récit, car bien que l'on suive réellement un personnage principal – la jeune Christine Hoflehner, petite employée de poste, pauvre et sans rêves – il s'agit en réalité d'une véritable fresque de la société autrichienne de l'époque, société que Stefan Zweig se plait à disséquer sous nos yeux.
Concernant l'intrigue, donc, elle est centrée sur la vie de Christine. Sa tante a pu échapper à la misère – devenue la typique bourgeoise américaine grâce à un mariage heureux – suite à quelques évènements obscurs et chanceux, bref une tante qui n'est pas exempt d'un passé tumultueux, et qu'elle prend évidemment soin de dissimuler aux yeux de tous. Mais pour compenser son absence et son ingratitude envers les siens durant les longues années de prospérité qu'elle a connues, la providentielle Madame Claire von Boolen invite sa nièce pour quelques jours de vacances et de repos dans un lieu paradisiaque. S'ouvre alors sous les yeux de Christine un monde inconnu et irrésistible, le monde délicat, luxueux et enivrant de la haute société viennoise, ce monde inaccessible où ne règne qu'abondance, beauté, et où l'acte de vivre prend enfin tout son sens... Christine va alors goûter au plaisir du confort et du faste, faire la connaissance d'une société exquise et raffinée, au sein de laquelle elle se mue peu à peu, elle évolue et se transforme complètement jusqu'à devenir la reine de ce monde : adulée de toutes et de tous, Christine découvre enfin ce qu'est le bonheur.
Mais ce monde se révèle aussi superficiel et illusoire, sa cruauté et son égoïsme n'ont pas d'égal, et la reine d'un jour ne peut le rester éternellement : c'est ainsi que Christine va connaître le goût amer de la déchéance et l'abandon ; c'est avec indifférence qu'elle est dépouillée et rejetée par sa tante et ses nouveaux amis, et qu'elle doit s'en retourner à sa médiocre et anonyme existence …
L'ivresse qu'elle a connue lors de cette incroyable métamorphose, la prise de conscience de son existence, l'éveil des sens et de son être, est à la hauteur de la douloureuse chute qui s'en suit, véritable déchéance qui contraint une âme neuve à retrouver son ancien corps, son moi insignifiant et qui n'est plus suffisant pour la contenir toute entière, elle et ses émotions, ses envies, ses espoirs, ses promesses.
Comment pouvoir exister à nouveau dans l'étroit, la peur et la médiocrité, quand on a un jour pu vivre dans le vaste, l'insouciance et la richesse ?
C'est ainsi que la petite employée modeste, attentionnée et généreuse d'autrefois, devient peu à peu aigrie et frustrée, rejetant la haine de sa misérable condition sur tout ce qui lui suffisait auparavant… Comment sortir de cette impasse et lutter contre ce destin qui n'est plus le sien ? Comment renouer avec les nombreuses possibilités qu'offrent la richesse et échapper à cet enfer misérable quotidien ? Peu d'opportunités se présentent à elle, et sa rencontre avec Ferdinand – personnage brillant à l'image de son avenir, et pourtant entièrement brisé par la guerre – sera déterminante dans sa révolte et cette volonté d'échapper à la bassesse de sa condition.

J'aime la manière dont Stefan Zweig explore l'âme humaine, la dissèque et nous offre ainsi des personnages d'un puissant réalisme, aux émotions envahissantes et déterminantes d'un destin inéluctablement tragique. Je suis également continuellement fascinée par la souffrance qui se dégage de ses histoires et qui nous submerge tout entier. La dimension psychologique et le côté fataliste et pessimiste qu'il confère à son récit ont su créer une atmosphère particulièrement noire et désespérante, et l'on ressent par là même la souffrance de l'auteur, son dégoût, ses inquiétudes, ses doutes quant à la guerre et ses conséquences, qui est, dans l'Ivresse de la métamorphose, la cause de tous les maux… Son récit permet également la dénonciation à la fois subtile et violente de la société, froide et injuste envers les plus démunis, et où l'on comprend qu'il est impossible de vivre heureux dans la simplicité.
Et quelle écriture : à côté de la dureté du récit, je retrouve tant de grâce et de finesse dans les mots de l'auteur autrichien ! Un grand plaisir, comme d'habitude !

Bref, une découverte magnifique, et le huitième livre de Stefan Zweig qui ne me déçoit pas ! A lire absolument !
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