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Critique de Deleatur


Ce petit livre m'a offert un délassement au milieu de mes deux kilos de copies de bac. Il faudrait que je trouve un jour l'inspiration pour une chronique de cette littérature scolaire mais je crains de ne pas savoir en extraire la substantifique moelle, tant y est subtile la palette du comique, de l'attendrissant et de l'affligeant. Chroniquer Stefan Zweig, c'est en somme beaucoup plus facile.
Avec le Voyage dans le passé, c'est la première fois que je m'aventure parmi ses oeuvres de fiction. Je ne sais pas trop s'il s'agit d'un très court roman plutôt que d'une longue nouvelle, ou l'inverse. D'ordinaire, je n'aime pas la nouvelle : pas assez de temps pour que se déploient l'atmosphère, l'intrigue, les personnages,... À peine est-on entré dans l'histoire que voici la porte de sortie. D'un autre côté, je n'aime pas davantage les pavés de 800 pages. Avec eux, arrive généralement le moment où je commence à m'ennuyer en lorgnant tous ces livres aguicheurs qui attendent impatiemment leur tour.
De fait, même si le récit est magistralement mené, le Voyage dans le passé a les défauts que j'impute à la nouvelle en général. Si l'on espère un tableau de l'Europe au début du XXème siècle, la peinture d'une société, la densité d'un vécu, il faudra aller voir ailleurs (par exemple dans le Monde d'hier – Souvenirs d'un Européen, du même auteur, que j'ambitionne de lire prochainement) : ici, seuls les deux protagonistes de l'histoire intéressent Zweig. Tout le reste, lieux et personnages, n'est qu'une simple esquisse. Rien de plus que la toile de fond du drame.
C'est l'histoire d'un amour contrarié entre un jeune homme ambitieux et la femme de son patron. Ces deux-là se plaisent passionnément au premier regard. Mais tout cela se passe dans la grande bourgeoisie allemande d'avant 1914. Les convenances y contrarient sévèrement les élans, ce qui est bien fâcheux. Ballet subtil entre deux êtres que la morale sociale n'a pas destinés l'un à l'autre, frôlements coupables, effleurements et affleurements : Zweig excelle dans la peinture délicate de l'amour naissant.
Le jeune homme est envoyé en mission au Mexique, et s'y fait surprendre par la déclaration des hostilités en Europe. Impossible de rentrer en Allemagne : le voici condamné à s'installer au bout du monde et à y ronger son frein, sans nouvelles de celle qu'il aime. Le chagrin s'adoucit, on croit que l'amour s'est usé, il faut bien se résoudre à faire sa vie, jusqu'à ce que la guerre s'achève enfin. Tout paraît alors de nouveau possible. Pourtant, après leurs retrouvailles, une terreur sourde s'empare des deux personnages, à mesure qu'ils s'acheminent vers la consommation de leur amour. Celui-ci n'est plus un songe éthéré, il doit maintenant trouver sa place dans le monde. Or le monde est laid : c'est un compartiment de train peuplé d'importuns, c'est une foule imbécile qui éructe sa haine nationaliste et brandit - déjà - des croix gammées. C'est enfin une chambre où l'on étouffe, dans un hôtel miteux. Et tous ces rêves devraient s'achever là, sur des draps malpropres, dans la fièvre et la gêne des corps sans fard...
La conclusion, poignante de mélancolie, pousse le romantisme jusqu'à une sorte d'aboutissement paradoxal : le seul grand amour, suggère Zweig, est celui qui demeure inaccompli, à l'état d'éternelle promesse. Mais le simple fait d'en prendre conscience rompt le charme et enferme le sentiment dans le passé, le seul endroit où il pourra rester intact. Et l'on se condamne pour le reste au désarroi et à la solitude.
Le texte est très beau, l'écriture magnifique de retenue, et je ne saurais nier que ce livre m'a touché. Mais osons le dire : je ne suis pas du tout d'accord avec Zweig sur le sujet !
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