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Critique de Woland


Balzac. Roman seines Lebens
Traduction : Fernand Delmas

ISBN : 9782253139256


Il y a de cela très longtemps - vingt bonnes années - j'avais entrepris de lire une biographie De Balzac signée Pierre Sipriot. En dépit de tous mes efforts, elle m'avait paru très vite imbuvable. Etais-je trop jeune ? N'étais-je pas prête à lire ce livre ? le style de Sipriot était-il si ennuyeux que cela ? Je ne saurai dire qu'une chose : c'est que, contrairement à toutes mes habitudes, je ne chercherai pas à relire cette biographie-là, tant j'en ai conservé un mauvais souvenir.

Avec Stefan Zweig, et bien que, suite à ma malheureuse expérience sipriotine, j'appréhendasse un peu d'attaquer le sujet, le ressenti est bien loin d'être le même. Zweig a le don de s'emparer en douceur de son personnage et, tout en permettant au lecteur d'en acquérir une vision moderne, de faire de lui le héros de sa propre histoire. En bref, on ne quitte pas le XIXème siècle, mieux : on le vit, on le sent, on le respire et, malgré tout, tout ce qui, chez Balzac, est proche de nous, à la lueur du monde dans lequel nous vivons, nous, est fidèlement restitué. En un mot comme en cent, si vous voulez vous renseigner sur la vie et l'oeuvre De Balzac - mieux, vous immerger en Balzac - c'est la biographie de Zweig qu'il vous faut.

Balzac, c'est avant tout un enfant mal aimé, surtout par sa mère, un enfant que l'on fourre dans d'incroyables pensionnats, le plus loin possible du noyau familial. du coup, nécessité faisant loi, il se crée très jeune un univers de substitution qui le réconforte et lui donne la chaleur et la liberté dont cet esprit congénitalement anticonformiste a besoin. Et puis - et surtout peut-être - Balzac aura toujours quelque chose à prouver, notamment à sa mère. Il y a, chez cet immense écrivain, une obsession qui prend racine dans son enfance rejetée, dédaignée, mise sous le boisseau et qui l'accompagnera jusque sur son lit de mort, quand il déplorera ne pas avoir eu assez de temps ...

Balzac a toujours aimé lire et il a gribouillé très jeune. Il a aussi longuement cherché sa voie, capable, pour assurer son très modeste ordinaire, non seulement de s'enfermer pour ainsi dire dans une mansarde froide et chichement meublée mais aussi de se soumettre aux terribles fourches caudines du genre feuilletonnesque. Eh ! oui, n'en déplaise aux hagiographes, le créateur d'Eugénie Grandet, de la Cousine Bette, de Philippe Bridau et de tant d'autres grandes figures de la littérature française et universelle, n'a pas hésité, dans ses débuts, à concocter des mélos tous plus atroces les uns que les autres mais qui se vendaient raisonnablement en une époque où le feuilleton tout puissant avait son mot à dire dans le succès des grands journaux. (Il n'eut jamais honte d'avoir écrit "sur commande" mais le lecteur moderne regrettera parfois certains "tics" et procédés qui alourdissent inutilement une prose qui, "La Rabouilleuse" en est le plus parfait exemple, cultivait aussi la simplicité.)

C'est que, bien que né dans une bourgeoisie paisiblement nantie, notre écrivain est viscéralement brouillé avec l'argent. Il est toujours heureux d'en gagner mais pour ce qui est d'en mettre un peu de côté en prévision des mauvais jours, c'est là une démarche que son cerveau pourtant si talentueux a bien du mal à concevoir. Il faut dire que Balzac est particulièrement doué pour se fourrer dans des combines, affaires et projets divers, tous plus beaux sur le papier et à long terme qu'ils ne le sont en réalité, une réalité qui les rend bientôt à leur seule et vraie nature : la chimère. Comme faire dans l'à-peu près le chagrine franchement, il s'enthousiasme toujours à fond et se conduit, il faut bien le reconnaître, dans le domaine des affaires matérielles, comme Don Quichotte partant en guerre contre ces moulins qu'il confond, de bonne foi, avec de monstrueux géants. L'imagination toujours et, ici, dans son rôle le plus regrettable, celui de la Folle du Logis.

Balzac aimait à travailler ceint d'un froc de moine et, de fait, l'écriture a pour lui tout ou presque du sacerdoce. Cet homme qui ne déteste pourtant pas s'amuser, rire, bien manger et plaisanter met tous ces bonheurs de côté pour, de minuit à huit heures du matin, s'enchaîner, en bagnard authentique, à sa table de travail de minuit. Seule compagne de son dur labeur : une cafetière débordante d'un café bien fort, bien noir, qui deviendra aussi célèbre que son illustre possesseur. A huit heures, on lui apporte en général les épreuves de ce qu'il a écrit la veille, qu'il s'empresse de corriger - ou plutôt de réécrire - tout à fait comme s'il se trouvait face au plus quelconque des premiers jets. de course en course, de visite en visite, avec une petite halte-repas par-ci, par-là, Balzac en vient à se coucher à 20 heures, ce qui lui laisse en tout et pour tout quatre heures de plein sommeil, un rythme infernal qui, s'il a profité aux multiples héros de "La Comédie Humaine", a aussi beaucoup contribué à abréger la vie de leur créateur.

Comment a-t-il fait ? Comment a-t-il pu tenir ? Et comment n'a-t-il pas compris à temps le vide incommensurable qui se cachait sous les lettres d'Eve Hanska, qu'il finit cependant par épouser mais qui ne daignera même pas demeurer à son agonie ? (Cela devait être écrit quelque part : c'est Mme Balzac mère qui, seule, assistera son fils en ses tous derniers instants. Désir de contrer "l'Etrangère" qu'elle n'aime pas et qui ne l'aime pas ? Remords tardifs ? Simple révolte de la chair vieillie mais encore vivante devant cette autre chair à qui elle a donné vie et qui s'en va avant elle ? Désir bien bourgeois de conserver l'héritage - lequel car Balzac laissait plus de dettes que d'avoirs sonnants et trébuchants ? Zweig ne se prononce pas et Mme Balzac serait bien la seule à pouvoir nous éclairer sur ce dernier mystère qui clôt son étrange relation avec son fils d'une manière ... typiquement balzacienne.)

Une biographie foisonnante, endiablée et enthousiaste, drôle et amère, attendrie et moqueuse - l'hommage ému et sincère d'un grand écrivain à celui qui fut l'un de ses maîtres ainsi qu'un véritable "monstre" de la Littérature mondiale. ;o)
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