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Critique de Woland


Brennendes Geheimnis
Traduction : Alzir Hella, revue par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent pour La Pochothèque

ISBN : inconnu pour la nouvelle, parue pour la première fois en 1910 mais 9782253055136 pour l'Edition de la Pochothèque

Puissance et amour, violence aussi, sont les mots-clefs de cette magnifique nouvelle de Stefan Zweig, lequel parvient ainsi, appuyé par un singulier trio dont les membres sont dominés par la passion, à faire palpiter, puis trembler dans les veines de son lecteur cette course mordante, crépitante, rageuse et désespérée que représente l'Amour dans l'acception complète du terme. N'oublions pas la profonde habileté avec laquelle ce maître de la nouvelle mondiale nous fait sentir - et accepter - en arrière-plan des sentiments aussi complexes et même scabreux que le dernier désir d'une femme qui se voit vieillir pour une aventure qui couronnera sans doute, fût-elle sans lendemain, sa vie intime, et l''amour inconditionnel, à la fois si entier, si intègre, si pur et pourtant non dépourvu d'ombre que ressent toujours un enfant (en particulier un garçon) pour celle qui lui a donné vie.

Pourtant plutôt longue, cette nouvelle se lit sans que nous voyons le temps passer, même si nous nous doutons plus ou moins à l'avance de certains ressorts que va utiliser l'auteur. Découpée en quinze petits chapitres où l'émotion - on est presque tenté de parler de suspens - monte crescendo, elle met en scène une riche bourgeoise juive de Vienne, venue prendre les eaux dans une petite ville réputée pour ses sources, en compagnie de son fils, Edgar. Celui-ci est doté, on nous l'annonce dès le début, d'une santé fragile que lorgne probablement en se pourléchant une tuberculose qui ne dit pas son nom. Comme pour compenser sa faiblesse physique et se faire ainsi un peu pardonner, la Nature lui a en contrepartie accordé un caractère ferme bien qu'un peut trop nerveux et une intelligence qui oscille entre se tapir à jamais dans les douceurs de l'enfance protégée et s'affirmer telle qu'elle est, c'est-à-dire sensiblement supérieure à la moyenne.

La mère, évidemment, même s'il l'agace parfois - le petit est fils unique, toujours menacé par la maladie et il faut beaucoup s'occuper de lui - aime son enfant. En fille et femme de la haute bourgeoisie, elle ne le montre évidemment pas de manière exagérée en public mais nul ne doute qu'elle ne perde tous ses moyens si elle le sent un jour en danger. Comme tous les enfants sur lesquels nous, les mères, nous devons veiller plus que la moyenne, ces petits, même en grandissant, nous laissent moins de temps que la moyenne pour nous préoccuper de nous-mêmes et de nos propres sentiments. Eux d'abord, nous après. C'est particulièrement pénible lorsque passe à notre portée, à un âge qui commence à nous peser, un homme relativement séduisant, élégant, porté sur la bagatelle mais sachant l'exprimer en termes galants et, qui mieux est, appartenant à la même classe sociale que nous et partageant nos goûts. Ce n'est pas - surtout à l'époque à laquelle se déroule la nouvelle, soit les années 10 du XXème siècle - que la mère d'Edgar songe à quitter son mari, un riche homme d'affaires, mais enfin, comme elle se doute pertinemment que son époux, lui, peut libérer ce que nous appellerions aujourd'hui son stress en donnant de petits coups de canif au contrat qui les unit, elle estimerait assez juste de pouvoir l'imiter (et a dû déjà le faire de temps à autre), en toute discrétion, cela va de soi.

Bien entendu, dès le départ, Zweig a pris grand soin de nous faire faire la connaissance du personnage appelé à séduire la mère d'Edgar, le Baron. Encore jeune certes, séduisant, aimable, sachant y faire avec les femmes, célibataire, aisé et homme du monde, il a pris quelques vacances en espérant ne pas trop s'ennuyer. Verbe qui, pour lui, signifie invariablement ne dénicher aucune femme de son monde à courtiser. Il a tôt fait de repérer Edgar, ou plutôt sa mère et, avec toute l'expérience qu'il a de ce genre de situation, il devine bien que le meilleur moyen de parvenir à l'objet de son désir, c'est de faire ami-ami avec son fils, cet enfant malingre, un peu triste et qui se sent apparemment plus à l'aise avec les grandes personnes qu'avec ses pairs.

Avec un art consommé, le baron déploie donc son plan d'attaque et est presque aussitôt présenté à la mère d'Edgar. Mais celui-ci (qui doit avoir dans les onze-douze ans) croit sincèrement à l'amitié que semble lui témoigner sa nouvelle connaissance. C'est qu'il est bien trop jeune pour imaginer que les adultes puissent mentir - sauf peut-être quand ils vous certifient que le médicament qu'ils vous demandent de prendre a un goût délicieux et que, bien sûr, il n'en est rien. D'accord, c'est un mensonge, mais l'un de ces mensonges auxquels on se résigne parce qu'on sait que Maman ou la gouvernante le fait pour votre bien.

Enfant profondément observateur, une tendance peut-être innée que l'immobilité forcée dans un lit ou sur une chaise longue n'a fait qu'affiner, Edgar entrevoit très vite quelques incohérences dans l'attitude de son "ami le Baron", et ce, pratiquement à partir du moment où lui-même l'a mis en relation avec sa mère. Oh ! certes, il continue à se montrer gentil, à taquiner l'enfant, à "imiter" en quelque sorte le grand frère ou même le père, mais le jeune garçon ne tarde pas à comprendre que, pour le Baron, il est désormais de trop quand ils se réunissent tous trois, lui, le Baron et sa mère.

Le pire, c'est que, en face, dans le camp de la mère, insidieusement, le même sentiment commence à se faire jour. Les deux adultes n'hésitent même pas à mentir à l'enfant pour avoir un peu de temps rien qu'à eux.

Mais à quoi le passeront-ils, ce temps qu'ils veulent voler à Edgar ? Ne sont-ils pas heureux comme cela, tous les trois ensemble ? ...

L'analyse de la situation est ici essentiellement faite par Edgar, lequel, malgré sa santé, n'en arrive pas moins, doucement mais sûrement, à la puberté. En outre, nous avons déjà souligné qu'il est loin d'être idiot. Quant à sa passion pour sa mère, elle s'explique tout simplement - plus exactement elle peut encore s'expliquer - par les attentions qu'elle a eues dans son enfance et dans sa pré-adolescence pour ce fils unique, perle de ses yeux pourrait-on dire.

Le baron, lui, ne songe tout d'abord qu'à son plan pour entrer dans la place et comme il n'aura pas le temps de remporter la partie, le lecteur n'aura par conséquent pas droit aux projets qu'il aurait sans doute mûris par la suite pour se replier avec les honneurs - et dans la plus grande galanterie, soyez-en sûr - son désir agréablement et naturellement satisfait le temps de ces vacances impromptues.

On en apprend un peu plus sur la mère d'Edgar, véritablement déchirée entre ses besoins de femme et ses obligations de mère.

Le récit est mené à la troisième personne et, en mêlant les pensées des personnages et en nous attachant tout particulièrement à la finesse de raisonnement d'Edgar, on est émerveillé par le talent avec lequel l'auteur transforme une aventure au départ presque vaudevillesque, en tous les cas banale, en un drame, plein de fureur à défaut de bruit (car, dans ce milieu-là, du bruit, il ne faut surtout pas en faire) de la pré-adolescence et de la relation privilégiée qu'entretient la mère avec son enfant. Mieux encore, Zweig - et c'est là le "plus" de "Brûlant Secret" - nous laisse entrevoir la porte ouvrant sur la pénombre de l'avenir pour la mère comme pour son fils, devenu adulte : Edgar se méfiera-t-il des femmes, à commencer par la sienne, s'il en prend une l'âge venu ? les méprisera-t-il ? demeurera-il tout simplement célibataire, courant les aventures un peu comme son ancien "grand ami le Baron" ? le seul point sur lequel Zweig laisse planer un mystère absolu, c'est la préférence sexuelle exacte de ces aventures ...

Une seule chose demeure certaine : pour Edgar, il n'y aura jamais qu'une seule femme qui aura compté : sa mère. ;o)
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