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Critique de fredmarie


Evidemment, une telle histoire fondée sur la sexualité apparaît datée. Mais c'est ce qui donne son caractère un peu pervers à la première partie du livre, que j'ai beaucoup aimée. En revanche, la deuxième, fondée sur l'interrogation de l'enfant sur les relations entre sa mère et un dragueur de baron, dans une station des Alpes autrichiennes, semble maintenant très décalée : quelle naïveté pour un préadolescent de 12 ans, de ne rien pressentir de l'amour, de ne rien comprendre aux curieuses sorties de sa mère avec le baron ! On a du mal à trouver cela crédible, même il y a cent ans… Quand même, les premiers émois, on les ressent à cet âge et avant, non ? Est-il vraiment impossible à Edgar, si subtil par ailleurs, de découvrir par lui-même ce « brûlant secret » que sont la sexualité, le désir, voire l'amour ?
Le court roman commence par l'arrivée de notre jeune baron qui se désespère d'abord d'avoir réservé un hôtel sans belles femmes à conquérir. Mais en voici soudain une, qui survient avec son fils. Quelques regards, quelques faux-semblants : « il avait finalement trouvé sa partenaire et le jeu pouvait commencer » (17). Un jeu de cache-cache avec cette femme à travers les grandes salles de réception et l'étiquette de la grande bourgeoisie de l'époque, un jeu du chat et la souris fondé sur des duperies : conquérir l'enfant pour attraper la mère – un jeu dangereux qui va se retourner contre le couple quand Edgar se rendra compte de son instrumentalisation. Ce qu'on n'appelait pas encore la drague, à l'époque, se joue dans les regards, dans certains propos, mais toujours à distance. « Peu à peu se glissa dans ses propos une audace qui la désarçonna un peu, qu'elle ressentit comme s'il avait touché de la main son corps, comme un effleurement fugace, comme un imperceptible élan de désir, qui lui firent monter le sang aux joues » (39). Il y a beaucoup de Madame de Tourvel dans certains sentiments de la dame, avant qu'elle accepte finalement certains baisers : après avoir fui, « un soupir jaillit de sa poitrine, à demi soulagée d'avoir échappé à un danger, à demi le regrettant » (42).
Un des intérêts du livre est qu'ensuite la perversité change de camp. Edgar s'est senti trahi par le baron comme par sa mère. Dès lors, ‘maintenant qu'il savait qu'il était pour eux un gêneur, être en leur compagnie lui procurait une jouissance complexe et cruelle » (57). le manipulé devient manipulateur. Il va triompher, et au dernier moment sauver pourtant sa mère du déshonneur en ne la dénonçant pas à son père. (Détail prosaïque : sauf erreur elle n'a sans doute pas couché avec le baron, en plus !). Sa mère vient l'embrasser et pleurer sur lui, dans une scène finale assez déchirante : « ce n'est que plus tard, bien des années plus tard qu'il comprit ces larmes muettes comme un voeu de renoncement de la femme vieillissante, qui désormais voulait ne plus appartenir qu'à lui, son fils, renoncer à l'aventure amoureuse, comme un adieu à tout désir propre » (115).
Une novella extrêmement cruelle et lucide sur le sort des femmes de ce milieu et de cette époque, doublement perdantes sentimentalement : l'amour conjugal ou extra-conjugal leur demeure inaccessible, tandis qu'en plus elles perdent à partir d'un certain âge l'amour si clair de leur enfant devenu adolescent.
NB. La dame est « l'une de ces Juives un peu plantureuses d'âge mûr », avec « un nez délicat qui, tout en révélant sa race, affirmait le profil par sa noble force et le rendait intéressant » (14). Heureusement que Zweig était juif.
NNB. Très belle traduction de Nicole Taubes !
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