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Alzir Hella (Traducteur)
EAN : 9791039204392
500 pages
Archipoche (11/01/2024)
4.34/5   1220 notes
Résumé :
A la veille de la Première Guerre mondiale, un jeune officier pauvre, en garnison dans une petite ville autrichienne, est pris de pitié pour une jeune infirme riche. De cette pitié dangereuse découlera l'amour fou que porte Edith de Kekesfalva au lieutenant Anton Hofmiller.
Cet amour impossible finira tragiquement, dans l'évocation nostalgique d'une société bientôt condamnée par l'histoire.
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Critiques, Analyses et Avis (149) Voir plus Ajouter une critique
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« Même aujourd'hui, après des années, je n'arrive pas à fixer la limite où a fini ma maladresse et où a commencé ma faute. Il est probable que je ne le saurai jamais. »

Dans son unique roman, « Ungeduld des herzens », écrit en 1939, Stefan Zweig nous met en présence de l'Intendant Anton Hofmiller, qui, on peut l'imaginer, le front soucieux, ressent le besoin de s'épancher. Il nous raconte l'histoire qui aura meurtri toute son existence.

Nous sommes en mai 1914, peu avant la Première guerre mondiale et la fin de l'Empire austro-hongrois. Il est alors âgé de vingt-cinq ans. Issu d'une famille de fonctionnaires sans le sou, devenu par nécessité lieutenant au Xème régiment de Uhlans dans une petite ville de garnison pas très loin de Vienne et de Budapest, il s'ennuie. Il n'y a rien de plus ressemblant à une ville de garnison qu'une autre ville de garnison. L'emploi du temps de chaque habitant est réglé comme du papier à musique jusqu'à l'heure de la promenade du chien, la monotonie des habitudes est quotidienne, tout le monde connait tout le monde jusqu'à la couleur du chapeau que telle dame porte en été ou en hiver.

A l'occasion d'une partie d'échec, Anton s'en ouvre au pharmacien de la ville. Ce dernier lui propose de l'introduire auprès de Monsieur de Kekesfalva, l'homme le plus riche de la région, propriétaire du château de cette commune, et qui se fait toujours un plaisir de recevoir des officiers.

Deux jours plus tard, c'est avec fierté que le pharmacien lui apporte une carte qui prie Monsieur le lieutenant Hofmiller de bien vouloir venir dîner le mercredi de la semaine suivante, à huit heures.

Le soir convenu, Anton revêt son bel uniforme, ses gants et ses souliers neufs mais un contretemps stupide le met en retard. « On devrait être superstitieux et prêter une plus grande attention aux petits signes que nous fait le destin ».

Lors de ce somptueux dîner, Anton est subjugué par le faste de la soirée, ravi de se retrouver en si belle compagnie, il se grise de valses et en oublie d'inviter la fille de Monsieur de Kekesfalva. Contrarié par son impair, il s'empresse d'aller inviter la jeune fille qui se tient assise à l'écart. C'est au moment où Anton s'incline devant la jeune Edith avec insistance, qu'il commet la terrible méprise. La jeune fille est paralysée. Honteux, confus, Anton quitte précipitamment le château. le lendemain, rongé par sa conscience, il éprouve le besoin de se faire pardonner et lui fait adresser des fleurs. Touchée, Edith lui répond par une invitation à prendre le thé.

Et c'est ainsi que démarre ce que Zweig appelle « le grand empoisonnement par la pitié ».

Quelle finesse, quelle écriture, quelle sensibilité ! Zweig décortique un à un les mécanismes de la pitié, les ressorts sur lesquels elle s'appuie : l'honneur, la parole donnée, l'orgueil, la peur d'être cruel, la naïveté, la bonté, le besoin de reconnaissance, l'altruisme, la compassion. le lecteur assiste impuissant à l'infernal engrenage dû à la culpabilité, à la pitié. Mr de Kekesfalva, comme tout l'entourage d'Edith, redouble d'attentions à l'égard d'Anton. Edith est aussi une jeune fille très éprouvée par la maladie. Son entourage, consumé par un sentiment de culpabilité, ne sait rien lui refuser. Elle en devient une jeune fille capricieuse voire par moment convulsive.

Ce cocktail de sentiments, d'émotions, ôte à Anton tout libre arbitre, tout discernement, il devient esclave de sa pitié même si par moment, il tente de se libérer. Rien ne peut empêcher le piège de se refermer doucement. le lecteur visualise cette toile d'araignée qu'Anton, malgré lui ou à cause de lui, tisse inéluctablement autour de sa personne jusqu'à l'irrémédiable.

La grande force de Zweig, c'est cette capacité à soumettre son lecteur à sa question, à l'étude d'un cas de conscience. L'intensité et la beauté de son écriture immerge celui-ci dans les profondeurs de l'introspection.

C'est toujours un grand moment de lecture qu'un livre de Stefan Zweig et parfois, pour moi, cela peut devenir une véritable épreuve non dans le mauvais sens du terme, loin de là, mais plutôt comme un dédoublement de ma personnalité où la puissance de l'écriture me phagocyte, il n'y a plus aucune distance entre le récit et moi.

Personnellement, je me substitue à Anton, je l'accompagne psychologiquement, j'anticipe ses réactions comme je les désapprouve, je me tourmente avec lui, je suis comme un adhésif qui ne peut se détacher de lui, je m'embourbe avec lui, je réfléchis, et la tension monte crescendo, le piège se referme sur Anton, je suis projetée dans un tourbillon et je sors épuisée de ma lecture.

Dans ce roman, j'y retrouve la même puissance que dans la nouvelle « La Confusion des sentiments ». Même tragédie où l'amour est inavoué comme il peut être un amour inavouable. Et même si le lecteur subodore la chute, le pouvoir des mots l'entraîne inéluctablement vers des sommets vertigineux et c'est ahuri qu'il sort de sa lecture.


Extrait d'un conte des mille et une nuits : Dans ce conte, le vieillard appelle le jeune homme d'une voix désespérée : il le supplie de le prendre sur ses épaules. le jeune homme a pitié, il se penche sur le vieillard, le soulève et le met sur son dos. Mais ce soi-disant paralysé est en réalité un djinn, un mauvais esprit, un fourbe enchanteur. Et à peine est-il assis sur les épaules du jeune homme qu'il serre brusquement ses cuisses velues autour de la gorge de son bienfaiteur qui ne peut plus s'en délivrer. Impitoyable, il en fait sa bête de somme, il le fouette, le fouette sans cesse sans lui accorder aucun répit. Et le malheureux doit le porter où l'autre l'exige, désormais il n'a plus de volonté propre, victime de sa pitié ».

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1913 dans une petite ville d'Autriche, un jeune officier Anton Hofmiller est invité au bal organisé par l'homme le plus riche de la région, le vieux Comte de Kekesfelva. Au cours de la soirée Anton décide par politesse d'inviter à danser la fille du Comte, Edith. Malheureusement il commet une bourde car la jeune fille est paraplégique, aussi, affectée par sa demande, Edith s'effondre en larmes devant les invités. Honteux, le jeune officier panique et s'enfuit.
Rongé par la culpabilité Anton envoie des fleurs à Edith afin de se racheter, délicate attention qui lui vaut une nouvelle invitation au château de Kekesfelva. Pris de pitié par l'infirmité de la jeune fille, il multiplie ses visites et finit par occuper une place importante au sein de cette richissime famille. Sous le charme du sympathique officier, Edith tombe follement amoureuse de lui.
Face à l'emprise de la famille de Kekelfelva, Anton Hofmiller est dépassé par la situation et essaie d'échapper à Edith, mais prisonnier de sa pitié, inconstant, immature, il va enchaîner les maladresses et plonger dans un indicible engrenage qui mènera cette histoire au drame inéluctable.

Hofmiller victime de sa pitié nous raconte son infernale histoire et nous fait partager son analyse et ses émotions ce qui nous met en position de juge.
Pour le coup j'ai été un peu agacée par le personnage de Hofmiller, sa gentillesse apparaît plus comme de la lâcheté, il n'ose pas refuser de peur d'offenser ce qui prouve bien son manque de courage (on est quelque fois plus souvent gentil par lâcheté que par bonté !).
En revanche j'ai beaucoup aimé Edith, c'est le personnage fort de ce roman, malgré sa personnalité impulsive, lunatique, hystérique et pleine d'aigreur, elle émane une profonde sincérité, elle ne cache rien et dévoile ses états d'âme sans duplicité. La jeune fille est plus torturée par le fait que son entourage éprouve de la pitié à son égard que par la paralysie de ses jambes. Mais Edith essaie de s'accrocher à la vie, et son amour passionnel et violent pour le jeune officier devient sa raison de vivre, son souffle, sa force, son espoir voire sa guérison...

Dans ce roman Stefan Zweig scrute le thème de la pitié et ses dangers, mais il décortique également avec talent les faiblesses les plus inavouables de l'être humain. J'ai été happée par cette lecture, bouleversée par la psychologie des personnages, même si ce roman dégage beaucoup de noirceur, de négativité et de pessimisme Zweig nous démontre une fois de plus que l'Homme est faible mais reste malgré tout humain.
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Autant l'amour peut être spontané et inconditionnel, autant la pitié est un élan du coeur qui doit être maîtrisé, au risque de devenir dévastateur. Cette mise en garde est celle que le docteur Condor adresse à Anton Hofmiller. Ils sont l'un et l'autre deux personnages parmi ceux de ce qui restera à jamais comme le seul roman achevé de Stefan Zweig: La pitié dangereuse.

Le hasard a voulu qu'à peine parvenu au point final de ce livre, je m'engage dans une autre lecture que, dès les premières dizaines de pages, je pressens déjà comme un autre grand moment de prospérité intellectuelle. Je veux parler de "L'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera. Je sais, vous allez me dire qu'il était temps. Mais même si j'ai pris de l'âge, je me plais à clamer que je ne suis encore qu'un nouveau-né en matière de littérature. Je m'en convaincs tous les jours en observant les quantités d'ouvrages qui me toisent du haut des rayons de mes librairies préférées.

J'invoque le hasard en pareille circonstance, car dans l'ouvrage de Kundera, de pitié il est aussi question. Elle n'en constitue certes pas le thème principal, mais elle y est évoquée en ce contexte et ces termes : "le mot compassion signifie que l'on peut regarder d'un coeur froid la souffrance d'autrui; autrement dit: on a de la sympathie pour celui qui souffre. Un autre mot qui a à peu près le même sens, pitié, suggère même une sorte d'indulgence envers l'être souffrant. Avoir de la pitié pour une femme, c'est être mieux loti qu'elle, c'est s'incliner, s'abaisser jusqu'à elle." Je n'augure pas de collusion entre cet ouvrage et celui de Stefan Zweig, mais le hasard m'aura fait ce clin d'oeil. De hasard d'ailleurs il est beaucoup question dans l'ouvrage de Milan Kundera.

"S'abaisser jusqu'à elle". C'est sans doute l'expression qui traduit le mieux la douleur d'Edith de Kekesfalva, la jeune héroïne malheureuse du roman de Stefan Zweig. Ce dernier dépeint la tyrannie avec laquelle son infirmité a irrémédiablement déclassé la jeune fille par rapport à son entourage, alors que sa beauté et sa position sociale lui laissaient briguer une autre position, vis-à-vis d'éventuels soupirants en particulier. Cruauté du sort.

La pitié dangereuse est un ouvrage qui se lit en une respiration. Il piège son lecteur dans une apnée de l'esprit qui le déconnecte de son environnement. L'aventure sentimentale que vit son héros, Anton Hofmiller, est une forme de dilemme cornélien. Celui que s'est infligé, sans y prendre garde, un jeune officier de la société très codifiée de l'Autriche-Hongrie à la veille de la première guerre mondiale. Il est devenu prisonnier de sa pitié, comme l'est de son fauteuil celle qui a suscité sa compassion, alors que les codes moraux de la condition de celui-ci lui commandaient de ne pas sacrifier son honneur, en prêtant à penser par exemple qu'il aurait pu marchander ses sentiments pour acheter une position sociale. Sa propre liberté est elle aussi en question dans cet élan spontané.

Voilà un ouvrage qui vous pousse dans les retranchements de vos émotions. Certains passages vous font les jambes de plomb. Ils parviennent à vous installer dans l'esprit d'un corps privé de sa mobilité. On y apprend la dépendance, l'impossibilité pour une personne de se porter à la rencontre de celle que son coeur a choisie, d'être réduite à attendre son bon vouloir, "enchaînée à la terre" qu'elle est par son handicap. On y apprend l'univers rétréci aux murs d'une pièce. On y apprend le désespoir, la révolte et le sentiment d'injustice qui endeuillent le coeur d'une adolescente lorsqu'elle perd l'usage de ses jambes.

C'est bien évidemment et sans surprise, comme son titre le présage, l'exploration du sentiment de la pitié, qui constitue le thème central de ce roman. Stefan Zweig dresse une véritable autopsie de cette "maudite vague de compassion" lorsque de "force dévouée" elle devient "faiblesse meurtrière". On y découvre comment le piège s'est refermé sur le jeune officier, lorsque sa volonté de bien faire est payée en retour par le harcèlement d'une passion dévorante. Elle le surprend et le laisse désarmé : "Jamais, dans mon innocence, je n'aurais pu imaginer que les disgraciées de la nature, elles aussi, osassent aimer."

Le médecin traitant de la jeune paralytique, le docteur Condor, en thérapeute averti, sait qu'à défaut de déboucher sur le sacrifice entier de son auteur par un dévouement total et inconditionnel, la pitié reste "molle et sentimentale". Le remède devient poison. Le malade s'accoutume à la pitié comme la douleur à la morphine. Les doses augmentées n'y suffiront jamais. C'est un cercle de perdition.

Il est des auteurs qui ont une capacité supérieure à analyser et comprendre les sentiments, la psychologie de leurs semblables. Stefan Zweig est de ceux-là. Sa force inspiratrice lui confère une puissance évocatrice stupéfiante. La fluidité de son texte autorise une appropriation immédiate de celui-ci par le lecteur, pour son plus grand confort intellectuel. Le résultat est une forme de rêve littéraire éveillé. C'est prodigieux.

Ce genre de littérature grandit son lecteur. La contrepartie est toutefois qu'elle grandit plus vite les sommets de la culture qui le surplombent.

Plus je grandis, plus je rapetisse. J'en ai marre. Demain j'arrête de lire. Enfin, peut-être pas. On verra. Pour le moment j'ai rendez-vous avec Kundera.

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L'amour ne choisit pas la couleur , la forme et la force de votre corps ; il surgit , pointe ses aiguilles emmiellées et transperce sans délicatesse sa partie si bien cachée : le coeur !
Que lui importe que vous soyez enfant de Narcisse , d'Héphaïstos ou même encore un vieux coucou ; il s'installe , ne s'occupe pas de vous faire du mal , surtout si l'objet de votre éros ne répond pas à ce feu qui vous ronge peu à peu et vous plonge dans le pathos .

Ce n'est pas de sa faute ; elle n'a rien demandé la petite fille riche du château . Déjà qu'il l'a offensée , ce soir-là , quand après avoir valsé et valsé encore , il n'a même pas vu où elle était nichée à le regarder , l'héritière des Kekesfalva .
Finalement , survolté dans ces tourbillons , presque en transe , il s'est présenté pour l'inviter à danser .
Autant ses bottes ont claqué , autant les nerfs d'Edith ont craqué ; le beau gosse venait de commettre la plus grande bévue de sa vie .

Tout affront réclame réparation ; il connaît la chanson , lui , le pauvre petit lieutenant de garnison dont l'Armée est son second foyer avec sa discipline , cette contrainte qui se colle à tout soldat quel qu'il soit .

Elle a accepté ses fleurs et l'attend dans son somptueux palais .

" J'étais trop impatient de savoir ma faute définitivement pardonnée (... )
Tenez , approchez donc ce fauteuil (... )
Elle parle avec la même nervosité qu'elle se remue , toujours staccato , sans pauses . Peut-être , pensai-je , que cette inquiétude , cet énervement est une compensation à l'immobilité forcée de ses jambes ."

Pourquoi s'est-il laissé inviter à cette soirée où le père aime recevoir des officiers ; sûrement pour revoir le joli minois d'Ilona , sa nièce , qui le fait tant rêver .
Mais quand Edith se lève sur ses deux béquilles , le lieutenant , si poli et si gentil , se sent mal à l'aise , voire méprisant devant cette marionnette articulée , au bruit incessant du "top-top; toc-toc " , qui s'avance dans sa vérité , dans son infirmité .

Avec le temps , Anton est marqué et séduit par les falbalas qui ornent cette demeure , ainsi que par la douceur et la bonne humeur des cousines . La sympathie qui les unit tous les trois , renforce leur amitié . Voilà notre officier recruté comme homme de compagnie à ses moments de liberté . le père témoigne aussi sa reconnaissance et s'humilie par des courbettes tant il voit sa fille heureuse .
Seul le docteur , un vrai saint , les met en garde devant l'espoir d'une guérison grâce à un nouveau traitement .
Le lieutenant les fréquente régulièrement , surtout Edith qui aime rester seule avec lui . Ne voit-il pas combien ses yeux brillent et pétillent quand il arrive ?

" Je t'ai rencontré simplement
Et tu n'as rien fait pour chercher à me plaire
Je t'aime pourtant
D'un amour ardent
Dont rien , je le sens , ne pourra me défaire ."

L'un se réfugie derrière sa compassion , l'autre affiche de plus en plus sa passion pour son camarade de rigolade .
Anton est conscient de l'importance de sa présence , n'est-il pas le médicament qui adoucit l'existence d'Edith ? Quand l'âme est sereine , elle aide le corps à se relever .
Mais l'officier est inconstant et naïf , parfois même lâche ; ses idées s'embrouillent , sa fierté l'annihile , une certaine commisération l'enchaîne .
Que veut-il vraiment ; on ne joue pas avec les sentiments , spécialement ceux d'un infirme !

Ah ! Stefan Zweig , jamais je ne l'ai autant contesté et apprécié ; Je l'ai joué à la " Anton" ,un jour oui , un jour non ; avec toujours un mouchoir prêt à essuyer ces larmes devant le drame , devant la grandeur de la petite paraplégique .
Je lui reproche son sexisme , encore une fois , et cette ineptie :
" Quand une femme se défend contre un amour qu'elle ne partage pas , elle ne fait qu'obéir à la loi de son sexe , le geste de refus lui est tout à fait naturel , et même , quand elle se dérobe au désir le plus ardent , on ne peut la taxer de cruauté . "
Que l'on soit une femme ou un homme , quand on n'est pas amoureux , on n'est pas amoureux !

L'auteur était d'origine aisée ; il semble aimer à le rappeler quand il évoque la richesse et plusieurs beaux mariages .
Aurait-il permis à son héroïne d'être une fille du peuple , handicapée , d'être amoureuse d'un officier et vanter son courage et son amour-passion ?


Fascination : les paroles de cette chanson sont de Maurice de Féraudy .



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Tous les dictionnaires s'accordent pour la définir ainsi : la pitié est un sentiment qui rend sensible aux souffrances, au malheur d'autrui.
Montherlant dit : "Qui a pitié des autres a pitié de soi.” Camus péremptoire affirme que : "On se fatigue de la pitié, quand la pitié est inutile.” Jean Giraudoux nous explique que : “Les gens ont pitié des autres dans la mesure où ils auraient pitié d'eux-mêmes. le malheur ou la laideur sont des miroirs qu'ils ne supportent pas.” Lautréamont nous assène que : “Qui vante la pitié vante la terreur.” Alors que Gorki nous martèle : “L'homme ! Il faut respecter l'homme ! Ne pas en avoir pitié. ” Maurice Toesca nous confronte à ce qui apparaît comme une évidence ( et pourtant ! ) : “Quand la pitié commence, l'amour finit.”
De quoi donner à réfléchir, non ?
Stefan Zweig à la veille de la Seconde Guerre mondiale, nous livre à travers celui qui fut son seul roman achevé, une vision décortiquée de ce qu'est peut-être ce sentiment trouble et complexe qu'on appelle pitié et dont il nous offre une allégorie, une clé dans la lecture faite par le protagoniste du roman d'un conte des - Mille et Une Nuits -.
- "Je lus le premier récit de Schéhérazade devant le roi, avec une attention languissante, puis je continuai. Mais soudain je sursautai. J'étais arrivé à l'histoire étonnante du jeune homme qui voit étendu sur la route un vieillard paralysé, et à ce mot "paralysé" je tressaillis comme sous le coup d'une violente douleur : une brusque association d'idées avait fait sur moi l'effet d'un jet de feu. Dans ce conte, le vieillard appelle le jeune homme d'une voix désespérée : il ne peut plus marcher et il le supplie de le prendre sur ses épaules. le jeune homme a pitié - pitié, pourquoi as-tu pitié, imbécile ? pensai-je - il se penche sur le vieillard... hop, il le soulève et le met sur son dos. Mais ce soi-disant vieillard paralysé est en réalité un djinn, un mauvais esprit, un fourbe enchanteur. Et à peine est-il assis sur les épaules du jeune homme, qu'il serre brusquement ses cuisses velues autour de la gorge de son bienfaiteur, qui ne peut plus s'en délivrer. Impitoyable il en fait sa bête de somme, il le fouette, le fouette sans cesse, sans lui accorder aucun répit. Et le malheureux doit le porter où l'autre l'exige., désormais il n'a plus de volonté propre. Il est devenu l'esclave du misérable, et quoique ses genoux vacillent de fatigue et que ses lèvres se dessèchent, il est contraint, victime malheureuse de sa pitié, de continuer à porter sur ses épaules, comme son destin, le perfide vieillard, le maudit rusé."
Un vétéran, Anton Hofmiller, héros de guerre médaillé, se confie sur son passé.
Jeune sous-lieutenant de condition modeste, il fut à vingt-cinq ans, cantonné dans une petite ville d'Autriche-Hongrie. Petite solde, petite rente mensuelle d'une parente, il n'avait que des plaisirs modestes et ennuyeux jusqu'au jour où il croisa chez un commerçant du bourg, une jolie jeune fille. le commerçant qui s'était rendu compte de son trouble lui confia alors que la jeune fille en question, Ilona, appartenait à la famille d'un riche châtelain, qu'il connaissait et auprès duquel il pouvait l'introduire.
Le jeune homme accepta... sans trop y croire.
Très vite lui parvint une invitation pour une soirée chez les Kekeslava. Tel était le nom de cette famille.
Il s'y rendit.
Et lui, le jeune homme timide et modeste mais excellent danseur, grisé par des alcools rares, par le luxe, par la beauté des femmes, par un orchestre qui donna le La à un bal, fit tournoyer des cavalières avec une assurance qu'il ne se connaissait pas. Jusqu'au moment où il réalisa qu'il n'avait pas fait danser la fille unique de son hôte, Edith une jeune fille âgée d'à peine dix-sept ans.
Il l'aperçut, assise non loin des danseurs.
Il se dirigea vers elle et l'invita.
Stupeurs et tremblements, comme aurait dit qui vous savez... La jeune fille éclata en sanglots... Edith était paraplégique. Tous les invités le savaient. Tous à l'exception du terrible gaffeur, lequel honteux comme il est difficile de l'être davantage... prit la fuite.
Après moult hésitations, il se décida à lui envoyer un bouquet de fleurs accompagné de sa carte.
La réponse ne se fit pas attendre : on l'invitait à prendre le thé au château... le jour qui lui conviendrait.
Il s'y rendit.
Chacun s'expliqua.
On convint de ne plus parler de ce "fâcheux" épisode et de devenir amis.
Pour Anton cette amitié avait pour ressorts la pitié, une pitié qui n'avait rien de hautain, de méprisant, de condescendant... non, un véritable sentiment altruiste fondé sur la compassion éprouvée à l'égard d'une jeune fille injustement et cruellement frappée par la maladie.
Une pitié qu'il ressent ainsi :
-“Ce regard de la colère de la jeune fille dans lequel j'ai lu une souffrance d'une intensité dont je n'avais jusqu'alors aucune notion avait fait éclater quelque chose en mon être, et une chaleur m'avait envahi, provoquant cette fièvre mystérieuse, qui m'était aussi incompréhensible que l'est au malade sa maladie. Je me rendais seulement compte que j'étais sorti du cercle solide où j'avais mené jusqu'alors une vie calme et tranquille et que je pénétrais dans une zone nouvelle, passionnante et inquiétante à la fois, comme tout ce qui est nouveau. Je me rendis compte mieux que jamais du pouvoir mystérieux que je possédais avec ma seule pitié”.
Pour Edith, derrière cette amitié se cachait une passion ardente pour ce jeune et bel officier.
Lorsque se heurtent de tels sentiments qui sont et ne sont ni complémentaires ni contradictoires ni antagonistes, et qu'ils sont portés par un jeune homme hyper labile, voire faible, et une jeune fille exaltée, riche et gâtée, oscillant en permanence entre l'hystérie, les caprices, les emportements et une personnalité forte et intransigeante... il y a là un terrain propice aux plus violentes tempêtes.
Comme l'a écrit Gabrielle de Lassus Saint-Geniès, c'est la confrontation entre "celui qui a une extrême pitié et celle qui refuse la pitié extrême."
Si encore Ilona, la jolie cousine qui faisait office de nurse avait consenti à dire à la malade qu'elle faisait fausse route, ou que son père ne l'ait pas entretenue dans sa chimère, peut-être le drame eût-il pu être évité ?
Mais comme l'avait expliqué Condor, médecin de la famille, lucide et dévoué, à Hofmiller :
-“ En dépit des efforts les plus adroits entre un homme sain et une malade, entre un être libre et un prisonnier, les relations ne peuvent à la longue rester neutres. le malheur rend susceptible et la souffrance injuste...C'est vous charger d'une lourde, d'une très lourde responsabilité que de rendre quelqu'un fou avec votre pitié ! Un homme doit bien réfléchir avant de se mêler d'une affaire comme celle-ci et savoir jusqu'où il est décidé à aller. Il ne faut pas jouer avec les sentiments d'autrui. Ce qui importe pourtant ce n'est pas si l'on agit durement ou avec douceur, mais uniquement le résultat qu'on obtient en fin de compte."
Mais en dépit des avertissements du sage et bon Condor, Anton lâche et faible, va par ses changements d'humeur, ses décisions contradictoires, et l'inexorable mécanique du destin aidant, sceller définitivement et tragiquement le sort d'Edith et commettre "un meurtre par pitié" par le biais " du grand empoisonnement par la pitié."
La Guerre éclatera le jour de la mort d'Edith.
Sa conduite héroïque durant ces quatre années, Anton la justifiera par l'indifférence à la mort, indifférence due au sentiment de culpabilité qui ne cessera jamais de le hanter et qui gâchera le reste de sa vie, car " depuis ce moment, je sais qu'aucune faute n'est oubliée tant que la conscience s'en souvient."
Cette micro-société austro-hongroise s'inscrit en parallèle de notre monde, lequel par des travers analogues ira jusqu'à la première grande tuerie de masse de son histoire.
La lecture est donc double, car Stefan Zweig, dans ce roman écrit en 1938/39 introduit des éléments contemporains tel l'antisémitisme.
Un extrait de la confession de Condor à Anton.
- « le mieux est que nous débutions par le commencement et que pour le moment nous laissions de côté l'aristocratique M. Lajos von Kekesfalva. Car à cette époque il n'existait pas encore. Il n'y avait pas de propriétaire foncier en redingote noire et lunettes d'or, pas de gentilhomme ou de magnat qui portât ce nom. Il y avait seulement, dans une misérable petite bourgade à la frontière hungaro-slovaque, un petit juif à la poitrine étroite et aux yeux vifs du nom de Léopold Kanitz et que tout le monde appelait, je crois, Lämmel Kanitz. »
Antisémitisme relayé par les camarades de régiment d'Anton, qui n'hésitent pas à traiter le père d'Edith de vieil usurier juif et sa fille de demi-juive, sa mère décédée étant Allemande.
Une leçon magistrale dont nous fait cadeau l'immense écrivain autrichien dans ce livre chef-d'oeuvre, qui se dévore grâce à la plume ensorcelante de l'auteur et ses extraordinaires talents de conteur.
Un roman d'une extraordinaire richesse, dans lequel les rebondissements succèdent aux rebondissements, agaçants mais qui font monter la tension et l'attention du lecteur... sans jamais le nigauder par des artifices stylistiques ou narratifs. Une oeuvre sobre, d'une formidable densité romanesque... une oeuvre touchante et indispensable !
En conclusion, la boucle sera en partie bouclée, l'invite que nous adresse Zweig à considérer ainsi la pitié :
-“Il y a deux sortes de pitié. L'une, molle et sentimentale, qui n'est en réalité que l'impatience du coeur de se débarrasser le plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d'autrui, qui n'est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défense de l'homme contre la souffrance étrangère. Et l'autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu'elle veut et est décidé à persévérer jusqu'à l'extrême limite des forces humaines”.

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critiques presse (1)
Lexpress
05 juillet 2012
Avec une langue riche, l'auteur s'emploie à dérouler une histoire d'amour tragique, mêlant finesse psychologique et fond historique.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (222) Voir plus Ajouter une citation
Oui, c'est ainsi qu'on devait être, honnête, candide, et préférer se laisser rouler que rouler les autres. P190
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Pas un instant l’idée ne m’avait effleuré que sous cette couverture qui l’enveloppait, respirait, sentait, attendait le corps nu d’une femme qui comme toutes les autres désirait et voulait être désirée. Jamais, avec mes vingt-cinq ans, je n’aurais pu imaginer que les disgraciées de la nature, les malades, les trop vieilles, les exclues elles aussi puissent oser aimer. Car un jeune homme inexpérimenté se représente presque toujours le monde d'après ses lectures ou des récits. Avant de vivre sa propre vie, son imagination travaille sur des images et des modèles étrangers. Dans les livres, les pièces de théâtre ou les films (où la réalité est représentée d'une façon souvent simpliste et superficielle) ce sont presque exclusivement les êtres jeunes, beaux, les élus, qui s'aiment. Aussi avais-je pensé (...) qu'il fallait être particulièrement séduisant, doué et favorisé par le sort pour attirer l'amour d'une femme.
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Respectueusement et la tête baissée, les gens formèrent la haie et une émotion visible s'empara d'eux lorsqu'ils s'aperçurent de l'infirmité d'Edith, qui s'avançait soutenue par Piszta et Ilona. Les gens simples sont toujours profondément émus lorsqu'ils voient que le malheur n'hésite pas à frapper aussi les riches à l'occasion. Il y eut des murmures et des chuchotements, puis les femmes apportèrent des cousins pour que la pauvre infirme pût s'asseoir le plus commodément possible, bien entendu au premier rang qui s'était vidé rapidement.
Il semblait presque que le curé célébrât pour nous la messe avec une solennité particulière. Je regardai par hasard Edith qui se trouvait à côté de moi et remarquai vraiment effrayé avec quelle brûlante ferveur elle priait. Jamais rien n'avait pu me faire supposer jusqu'alors, qu'elle eût reçu une éducation religieuse ou qu'elle fût pieuse. Or je constatais chez elle une manière de prier qui n'était pas, comme chez la plupart des gens, une habitude prise ; son visage blême, penché comme quelqu'un qui marche contre un vent violent, les mains accrochées au banc, son être replié en soi, ses lèvres murmurant d'une façon inconsciente, toute son attitude trahissait une vive tension intérieure. Parfois je sentais un léger tremblement du banc, tellement était grande la secousse que causait en elle l'exaltation de sa prière extatique. Je compris qu'elle demandait à Dieu d'exaucer un vœu précis. Et il n'était pas très difficile de deviner quel était ce vœu

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Ce ne sont pas les êtres bien portants, sûrs d'eux-mêmes, gais, fiers et joyeux qui aiment vraiment, - ils n'ont pas besoin de cela ! Quand ils acceptent d'être aimés, c'est d'une façon hautaine et indifférente, comme un hommage qui leur est dû. Le don d'autrui n'est pour eux qu'une simple garniture, une parure dans leurs cheveux, un bracelet à leur poignet, et non le sens et le bonheur de leur existence. Seuls ceux que le sort a désavantagés, les humiliés, les laids, les déshérités, les réprouvés, on peut les aider par l'amour. Et quand on leur consacre son existence, on les dédommage seulement de ce dont la vie les a privés. Et eux seuls savent aimer et se laisser aimer comme il faut: humblement et avec reconnaissance.
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Quand une femme se défend contre un amour qu'elle ne partage pas, elle ne fait qu'obéir à la loi de son sexe, le geste du refus lui est tout à fait naturel, et même quand elle se dérobe au désir le plus ardent, on ne peut la taxer de cruauté. Il en est, hélas ! tout autrement dans le cas où le destin inverse les rôles, quand une femme a vaincu sa pudeur jusqu'à manifester à un homme son amour et à le lui offrir, sans être certaine de trouver la réciproque, et que lui se cabre et reste froid ! Celui qui se refuse à une femme qui le désire, l'offense toujours dans sa fierté et la rend honteuse. [...] Immanquablement la résistance d'un homme devient alors cruauté et s'il refuse cet amour, il est coupable, sans avoir commis aucune faute.
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Stefan Zweig, auteur à succès, se voulait citoyen d'un monde qu'unifiait une communauté de culture et de civilisation. Il n'a pas survécu à l'effondrement de ce «monde d'hier» qu'incarnait la Vienne impériale de sa jeunesse.
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