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Critique de le_Bison


Ce matin-là, après un rapide petit-déjeuner, petit café, petite tartine, même pas le temps pour une petite branlette, je dus prendre le train pour une destination inconnue, vers un quai de gare froid balayé par un vent à faire voler les pétales de roses d'un bouquet imaginaire. Il doit être 10h02, la précision se doit d'être importante parce qu'une partie de ma vie sera bousculer ce jour-là. « Je vous ai déjà dit que je voudrais vous raconter un seul jour de ma vie : le reste me semble sans importance, et ennuyeux pour tout autre que moi jusqu'à mes quarante-deux ans, il ne m'arriva rien que de tout à fait ordinaire. » Mais je n'en dis pas plus, il faut garder le mystère de ces instants. Certains ont une passion pour les mains, reconnaissables parmi mille surtout sur le tapis vert d'une table de casino, maniant les cartes avec préciosité comme certaines manieraient des aiguilles à tricoter. Mais moi, c'est surtout les jambes, longues et fines. Bien sûr, sur un quai de gare, cela ne saute pas immédiatement aux yeux, à moins que le vent soit complice de ma lubricité, faisant doucement voler les pans de sa jupe. J'ai une imagination fertile, et je les caresse de mes mains, à la vue de tous, c'est ça qui est si bon dans mon imagination c'est que je me permets tout, ni tabou ni retenue. Mais avant de voir ses jambes et de parcourir de mes dix doigts ses cuisses et son intérieur, un sourire m'éblouit, à m'en faire cligner les yeux tellement il est lumineux. « Tout me paraissait sans éclat, terne et effacé, tout me semblait obscur en comparaison du feu jaillissant de ce visage. […] Une lumière brutale étincela dans ses yeux. » Que j'aimerais plonger dans ce regard, sonder cette âme au moment où je la pénètre lentement y découvrir le feu de la passion. Alors pour le moment, je me contente de fermer les yeux, aveuglé par ce drôle de sentiment qui embrasse la passion chaude et déroutante insufflée par ce vent du Sud. « Déjà pendant toute la soirée, le vent avait rassemblé au-dessus de la mer de lourds nuages printaniers chargés de vapeur : on sentait, avec ses poumons et avec son coeur, que le ciel était lourd, oppressant. » le rythme battait à l'intérieur de ma cage thoracique. Les tambours du Bronx en version furieuse. Tout se déchainait à l'intérieur, l'estomac serré comme si un vieux loup de mer s'était exercé aux différents noeuds marins, l'afflux sanguin crépitant de ses millions d'hématies, les jambes qui flagellent, les aisselles qui coulent. Bref, les prémices d'une passion. « Et combien je brûlais de m'abandonner, de m'abandonner toute, je ne le sentis que lorsque je fus seule avec moi-même, lorsque la passion qui, un instant auparavant, exaltait encore son visage illuminé et presque séraphique, fut retombée obscurément dans mon être et se mit à palpiter dans le vide d'une poitrine délaissée. » M'abandonner comme je le ferai face à une bière, blonde brune ou rousse, ou devant un champ d'Edelweiss que je n'ose cueillir. S'asseoir à la terrasse d'un café, oublier le café viennois ou les viennoiseries autrichiennes, danser une valse ou chalouper sur un air de Krautrock. Plonger mon regard dans la mousse ou dans son décolleté, décoller les yeux de cette mousse pour fixer son regard dans le mien et ne pas en perdre une miette de ce croissant viennois et de cet instant intense où deux êtres se découvrent pour la première fois et se laissent envelopper par cette passion qui n'a de déraisonnable que son envie de bonheur. « Une sorte d'ivresse ravie et enthousiaste tourbillonnait dans mon sang ». Je titube de nouveau sur le quai de gare, le vent souffle toujours s'engouffrant entre les rails et faisant s'envoler les fleurs d'edelweiss sorties de ma bière blanche. L'heure de reprendre le train.

Bref, je t'avais prévenu dès le début, la vie d'un bison n'est pas passionnante, surtout dans ses quarante-deux premières années. « Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé. » Une fois compris, je peux m'abandonner à la passion sans me retourner. Tu vois, 24 heures de la vie d'un bison n'a rien d'excitant hormis pour soi-même. Tu préféras certainement suivre les 24 heures de la vie de Jack Bauer ou les 24 heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig.
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