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EAN : 9782070400874
384 pages
Gallimard (05/09/1997)
3.68/5   28 notes
Résumé :
"Je ne rédige pas un essai, ni un ouvrage de critique. J'écris de cœur, dans une intimité trouble qui fut la nôtre, depuis le jour de notre rencontre. C'est à toi que je m'adresse, Fédor. Que pourrais-je donc t'apprendre sur toi-même ? Ceci, peut-être, qu'un écrivain ne s'appartient pas : tu vis mêlé à mon sang, tes questions sont inscrites dans mes neurones. Tu n'as jamais été un modèle au sens où un artisan dérive de ses maîtres ; tu es mieux que cela : tu es un ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
jJ'ai lu et aimé "l'Idiot", étonnante imprégnation (de Michel del Castillo), tout jeune lecteur de Dostoïevski. Ce dernier a joué un rôle déterminant tout au long de la vie de l'écrivain. Dans cette confrontation douloureuse, on découvre les similitudes vécues lors de l'enfance, puis les camps d'internement, la liberté, le courage, la religion. Oeuvre émouvante dont on ne sort pas indemne
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Un des livres qui m'a le plus marquée, sur l'extraordinaire pouvoir de la littérature : Mon frère l'idiot . C'est une apostrophe à travers le temps, à Fedor Dostoievski : "Toi, mon frère, (qui as écrit ) L'Idiot.)
Imaginez cet enfant (Michel del Castillo) dans l'Espagne de Franco, reclus dans un orphelinat, épuisé de solitude,de faim, de détresse enfin, à qui un moine prête un jour l'Idiot. Et ce gamin absolument désespéré découvre qu'un écrivain russe s'adresse à lui, lui parle de ses souffrances, le comprend...et lui donne l'envie incroyable d'apprendre le russe, pour lire Dostoievski dans le texte, et le traduire en espagnol ! Sur l'universalité de l'écriture, on a rarement fait aussi bien.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation


Je cours d'une phrase à la suivante, je tourne fiévreusement les pages. Je tremble d'épouvante et de gratitude. Je pleure d'exaltation : tout, absolument tout, y est ! Tout ce que je ne comprends pas depuis des mois, tout ce qui alimente ma haine et ma révolte. Le jargon d'abord, la jactance, les disputes et les bagarres, les chapardages et les vols, l'ennui surtout, le vide. L'horreur de ces tronches déjà marquées, de ces regards torves, de ces sourires fielleux. La promiscuité. Pas une minute de solitude et d'intimité - jamais. On pisse, on chie la porte ouverte, sous le regard des kapos.

La folie sadique. Les verges, les coups qu'on compte en silence dans le silence de la nuit. Les plaintes et les hurlements...

Tout est là, noir sur blanc. Le mystère se dissipe, l'expérience démentielle trouve un cadre qui lui confère un sens : le bagne d'enfants *. Il manque les chaînes et les fers, mais pour le reste ?

Le front me brûle, j'ai sans doute la fièvre. Cette fois, il ne s'agit pas d'un livre de plus : il s'agit du miroir où je me vois tel que je suis, le crâne tondu, couvert de furoncles, d'abcès qu'on doit sans cesse inciser et drainer.

Image inversée de ce déchet qui me fixe du fond de la Sibérie, je suis ce lecteur capable de recueillir les signes tracés par son frère en infortune. Nous nous regardons à travers la surface

réfléchissante de la littérature. Nous nous parlons d'égal à égal, hors du temps et de l'espace.

malgré les apparences, rien ne nous sépare, Fédor, ni la langue, ni l'époque. Nous avons touché l'un et l'autre ce fond où les mots prennent une densité étrange, lestés chacun d'un poids de chair et de sang. Tu détesteras le style artiste, tu écriras avec une violence de plus en plus immédiate, proche de la grossièreté. Tu voudrais tout balayer pour retrouver ces instants d'éternité où, au beau milieu de la désolation, alors qu'on ne possède rien, qu'on a le ventre vide, que le froid vous engourdit, on se surprend brusquement à aimer l'existence. L'aimer d'un amour absurde, fou...
Avons-nous jamais été si proches, Fédia ? nous sommes des innocents, des simples d'esprit, des idiots. Nous avons cependant compris deux ou trois petites choses. Nous avons lutté, frères. nous avons longtemps rampé dans le sous-sol. Nous sommes des étrangers, des marginaux, des déclassés. Nous n'appartenons à personne. c'est à peine si nous existons. Nous ne vivons qu'au cœur de la nuit, dans le bruissement furtif des mots. Nous croyons à ce mirage fantastique qui a ébloui nos enfances : la langue, sa musique, ses lumières et ses ombres, sa redoutable justice...


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Cet usage dévié et métaphorique de la langue, je ne l'aurais pas trouvé seul, Fédor. Je te le dois. Je te suis également redevable de l'intuition que la langue est mieux informée sur nous-mêmes que nous ne le sommes. Elle fonde et soutient la mémoire, qui est notre identité. Nous devenons ce que nous pensons que nous sommes, ce que nous parlons de nous, en un flux ininterrompu de phrases et d'images. Dès avant notre naissance, les mots tissent notre personnalité, constituée de récits, venus les uns de l'extérieur - famille, société, culture au sens large -, de l'intérieur les autres : sensations, impressions, sentiments. De la fusion et de la cohérence de ces récits souvent contradictoires résultent de notre moi, sa force ou sa faiblesse.
Le Je que nous affirmons, de l'enfance à la vieillesse, ne se maintient que par et dans la fiction qui le supporte. Des traits de mon visage aux neurones de mon cerveau, tout n'a cessé, au fil des ans, de subir des transformations incessantes ; mes tissus, mes organes, qu'ont-ils de commun avec ceux de l'adolescent de quinze ans dont une photo retrouvée me renvoie l'image éclairée, sous l'épiderme, d'une lumière qui décline et s'étouffe ?
- Yo ya no soy yo" - "Déjà je ne suis plus moi".
Est-ce dire que le monde et moi participons d'une illusion universelle et que, ainsi que Calderòn le demande et que l'Orient le postule, tout n'est que songe ?
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J'ai voulu oublier jusqu'au souvenir de mon géniteur, j'ai renoncé à mon patronyme, j'ai fui le dégoût d'une lâcheté et n'ai réussi qu'à me jeter dans la honte du crime- ironie que tu savoures. Combien parmi tes créatures se précipitent dans l'abîme en voulant échapper à l'humiliation ? Seuls les mots ont résisté à cette débâcle intime.
Je te les dois, Fédor. Je ne tiens debout, depuis l'adolescence, que par la langue qui me porte et me supporte. Elle est mon identité, mon unique dignité.
Souviens-toi : à ton appel, je me suis relevé dans mon caveau, j'ai défait les bandelettes qui m'enserraient, j'ai marché vers la lumière des phrases. J'ai retrouvé la société des figures idéales.
Bien que ta voix m'ait rendu les songes et les chimères de ma première enfance, je ne suis pas pour autant aveuglé par la gratitude ni paralysé par l'admiration. Je n'ai pas vocation d'hagiographe; je n'aurais pas, durant près d'un quart de siècle-les premières notes que j'ai prises en vue de ce livre datent de 1973-, je n'aurais pas, durant vingt-deux ans, roulé les phrases que je souhaitais t'écrire pour accoucher maintenant de vagues poncifs sur ton génie. (p.18-19)
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Au bout de la folie, je me cramponne à des fables qui rappellent les contes de mon enfance. Je me persuade d'avoir été aimé, adoré, choyé. Je retiens les velours et les ors, j'oublie la saleté et les poux. Parfois, mon regard rencontre mon visage : je reste alors foudroyé.
Comment suis-je devenu, à treize ans, ce squelette aux yeux trop vastes ? Les adultes ont pu s'accrocher à l'Histoire, y participer parfois : les événements leur confèrent une identité sociale. Je ne suis, moi, témoin de rien, simple survivant d'un naufrage.
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La veille encore, je jouais avec la belle histoire de Milady-Mamita. "Un secret entre nous deux. Un secret d'amoureux". Elle avait dû négocier qu'on lui accorde de passer avec moi le jour de mon anniversaire.
Le lendemain, devant les valises ouvertes, posées sur le lit, puis en découvrant les deux voitures garées devant l'hôtel...C'était donc ça, le jeu ?
Je n'ai eu ni ta dignité ni ton indifférence, Fédor. J'ai hurlé, je me suis débattu, on a dû me traîner.
Un cerveau en hibernation, un arrêt de l'influx nerveux. Et, dans le même temps, tout demeurait si présent !
J'espère pour toi que ta mère tiendra parole."
La vois résonne à mes oreilles, ironique et méprisante. Je devinai le sens du propos un an plus tard, en 1943, quand tout soudain basculera. Je refusai pourtant de comprendre. Il me faudra des années. Je coule dans la honte.
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Michel del Castillo vous présente son ouvrage "Mamita" aux éditions Fayard.
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