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Fabrice Caro : crise de la (presque) cinquantaine et crises de rire

Interview : Fabrice Caro à propos de Broadway

 

Article publié le 24/08/2020 par Anaelle Alvarez Novoa

 

Entre un show incroyable à Broadway et un spectacle foireux de fin d’année, il n’y a parfois qu’un pas… C’est ce que va réaliser le pauvre Axel, héros du nouveau roman de Fabrice Caro, publié chez Gallimard. Caustique, absurde et terriblement contemporain, Broadway ne manquera pas de séduire les fans de l’écrivain (et les autres !). L’auteur du désormais culte Zaï zaï zaï zaï a répondu à quelques questions sur son livre et ses lectures.

 ©Francesca Mantovani

Broadway est votre troisième roman mais vous êtes également auteur et dessinateur de BD. On vous connaît notamment grâce à la fameuse bande dessinée Zaï zaï zaï zaï. Comment gérez-vous cette double casquette ? Lorsque vous avez des idées d’histoires ou de saynètes, comment décidez-vous de la forme qu’elles prendront ? Si elles deviendront BD ou roman ?

À la base c’est l’envie qui précède tout. J’ai des envies de roman et des envies de BD, puis je cherche des pistes en fonction de mon envie, mais l’approche est différente, l’écriture aussi. Dans le roman je suis moins dans l’humour à tout prix, même si j’espère que ça reste assez drôle, je me laisse aller à une écriture plus nuancée, plus sentimentale, chose que je ne me permets pas dans la BD, ou rarement.

 


Au premier abord, on peut penser qu’Axel, votre personnage principal, a tout pour être heureux : un travail, un joli pavillon, une femme, des enfants en pleine santé et des amis avec lesquels partir en vacances à Biarritz… Pourtant, il suffit d’une enveloppe pour bouleverser cet équilibre précaire et donner à Axel l’envie de tout plaquer et de s’enfuir à l’autre bout du globe. Peut-on dire que votre personnage traverse la fameuse “crise de la cinquantaine” ?

De la presque cinquantaine, puisqu’il n’a que 46 ans… Mais je crois qu’on peut avoir ce type de crise à tout âge adulte, des moments de sa vie où on se retourne en se demandant si on a vraiment fait de sa vie ce qu’on voulait en faire, si on est restés fidèles à ses rêves. Broadway est une sorte d’uchronie, une sorte d’autobiographie de ce que j’aurais pu devenir si à un moment donné je n’avais pas décidé d’essayer de vivre de l’écriture.


Dans Le discours, on suivait Adrien, quadragénaire déprimé en profonde “réflexion” sur sa vie sentimentale.  Dans Figurec, votre premier roman, votre héros est plus jeune mais pas moins seul et démoralisé. Dans Broadway, nous faisons la connaissance d’Axel, 46 ans, père de famille désabusé qui voudrait bien échapper à sa vie et à ses responsabilités. Pourquoi choisir de faire de ces personnages, un brin “loser”, vos héros ?

Ce qui m’intéresse c’est de travailler sur nos failles. C’est non seulement plus intéressant d’un strict point de vue narratif mais même dans la vraie vie, les failles, les névroses, les défauts me touchent  beaucoup plus. On est définis plus par nos échecs que par nos réussites, j’aime les fêlures, c’est ce qui nous rend humains. Et puis, aller faire de l’humour sur quelqu’un qui réussit tout ce qu’il entreprend, ce serait un peu ennuyeux…


Broadway, c’est aussi un livre sur le temps qui avance, la nostalgie du passé et surtout la peur de l’avenir. Etes-vous aussi angoissé qu’Axel face aux années qui défilent ? Quelle est la part d’invention et de réel dans ce livre ?

Oui, le temps qui passe est un truc qui me travaille, mais comme tout le monde j’imagine. C’est une des raisons pour lesquelles, je crois, je suis aussi stakhanoviste, une façon de se faire croire qu’on est plus fort que le temps, se retourner et se dire « Bon le temps passe à fond mais j’en ai fait quelque chose, j’ai fait tout ça » c’est un peu idiot et illusoire mais bon… Les hyperactifs sont tous des angoissés du temps qui passe. Quant à la part de réel, il y a toujours beaucoup d’autobiographie dans mes livres, je mélange le vrai et le faux. Chaque livre est un journal intime, il dit beaucoup de ce qu’on est au moment où on l’écrit, même quand on est dans la fiction pure.


Ce livre traite également des difficultés à être et à devenir parent. À travers Axel et ses relations, souvent difficiles (voire inexistantes), avec ses enfants adolescents, c’est la figure paternelle au sein de la famille qui est questionnée. Avez-vous l’impression que le rôle de père a évolué ces dernières années ?

Oui, nous ne sommes pas les pères que nos pères ont été pour nous, et encore moins comme les pères de nos pères. Mais les problématiques sont toujours les mêmes, elles sont intemporelles. Et je crois qu’il subsiste malgré tout encore une certaine pudeur un peu maladroite de la part des pères (ou alors c’est que moi ?).


Comme nous venons de le voir, votre livre traite de sujets mélancoliques, importants, voire durs. Pourtant, on ferme ce roman avec le sourire aux lèvres. On rit beaucoup… et surtout de tout ! Vous êtes en effet un professionnel de l’ironie, de l’humour noir, du cynisme et de la dérision. Vous fixez-vous parfois des limites ? Ou est-ce qu’en BD comme dans vos romans, vous vous permettez tout ?

Non seulement on peut rire de tout mais on se doit de le faire, c’est primordial. Mais pas d’un humour de moquerie, un humour d’exorcisme et de thérapie, je n’aime pas la moquerie. L’humour permet d’évacuer des choses dont on aurait du mal à parler autrement, c’est le seul moyen de survie. Sans dérision et sans humour, je ne vois pas comment on peut vivre sachant que tout ça va de toutes façons très mal se terminer. 

 
Plusieurs de vos livres vont être adaptés au cinéma. Participez-vous à l’écriture de ces adaptations ? Après la bande dessinée et l’écriture de romans, pourriez-vous être tenté par la réalisation d’un film ou d’une série ?

Non, en général j’aime lâcher le bébé, je n’aime pas revenir sur quelque chose que j’ai déjà fait, moi j’écris des livres, ce que ça devient ensuite ne m’appartient plus, les livres font leur route tout seuls, j’aime assister à ça presque en spectateur lambda. Et la réalisation, des producteurs me l’ont proposé mais je ne sais pas si je serais à la hauteur, je ne sais même pas prendre une photo avec mon téléphone, c’est toujours flou et mal cadré. Mais ça me titille quand même parce que j’aime beaucoup le cinéma. Au pire ce sera un film flou et mal cadré, je dirai que c’est fait exprès.

 


 
Affiche de l'adaptation cinématographique du livre Le Discours réalisé par Laurent Tirard

 

Fabrice Caro à propos de ses lectures

Quel est le livre qui vous a donné envie d'écrire et/ou de dessiner ?

J’ai du mal à répondre à ça parce que j’écris et je dessine depuis que je suis tout petit… Donc dans cette logique je dirais Jojo lapin (un livre que j’ai lu tout petit.)


Quelle est la bande dessinée que vous auriez rêvé d'écrire et/ou de dessiner ?

J’ai du mal à répondre à ça aussi.. Le mec qui répond à rien… Non mais c’est difficile, je crois qu’une des raisons pour lesquelles on écrit c’est pour faire les livres qu’on aimerait lire et qu’on ne trouve pas.


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Je me souviens avoir pleuré comme une madeleine en lisant Mon bel oranger quand j’étais en 6e… Mais mes premières vraies idoles d’écriture c’était vers 18 ans, Bukowski, Miller, Calaferte, Djian...


Quel(le) est le livre ou la bande dessinée que vous avez relu(e) le plus souvent ?

J’irais chercher dans l’enfance, où je relisais frénétiquement les mêmes livres, je dirais Le temple du soleil.


Quel(le) est le livre ou la bande dessinée que vous avez honte de ne pas avoir lu(e) ?

Oh ben Proust, comme tout le monde. Et comme tout le monde, quand on évoque Proust, je prends un air admiratif et pénétré. Si ça se trouve Proust n’a jamais été lu par personne et personne n’ose le dire.


Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

C’est pas vraiment méconnu mais en ce moment je relis Brautigan. C’est un auteur que je lisais à 20 ans et que je n’avais pas relu depuis, et je comprends pourquoi je l’aimais tant.


Quel est le classique de la BD ou de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Holala je suis trop un gentil pour répondre à une question pareille… J’aime partager du positif, pas du négatif, je ferais un piètre utilisateur de Twitter.


Avez-vous une citation fétiche/planche adorée issue de la littérature ou de la BD ?

« Une seule chose importe, apprendre à être perdant » - Cioran. Bon c’est la première qui me vient hein, c’est pas forcément la plus rigolote.


Et en ce moment que lisez-vous ?

Brautigan donc, La pêche à la truite en Amérique, et aussi une bio de Marlon Brando, j’adore les biographies d’acteurs ou de réalisateurs, j’ai eu ma période bios de Mastroianni et Trintignant, j’adore ces deux messieurs au-delà de tout.

 

 

 

Découvrez Broadway de Fabrice Caro publié aux éditions Gallimard.
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