Isabelle Duquesnoy : monstrueux XVIIIe siècle
Interview : Isabelle Duquesnoy à propos de La Pâqueline ou les mémoires d`une mère monstrueuse
Article publié le 05/03/2021 par Pierre Krause et Mahaut Adam
Roman historique qui racontait les heurs et malheurs d'un embaumeur malaimé par sa famille, L'embaumeur avait été le succès surprise de l'année 2017. Près de quatre ans plus tard, Isabelle Duquesnoy revient non pas sur ce personnage exactement mais sur la mère de celui-ci dans La Pâqueline ou les mémoires d`une mère monstrueuse. Publié chez la Martinière, ce nouveau roman historique nous plonge dans un XVIIIe siècle toujours aussi fascinant en compagnie d'un personnage que vous ne risquez pas d'oublier de sitôt.
On retrouve dans La Pâqueline ou les mémoires d`une mère monstrueuse un personnage déjà croisé dans L`embaumeur : la propre mère de Victor Renard qui en était alors le personnage principal. Pourquoi avoir voulu proposer le regard de cette mère jugée “monstrueuse” dès le sous-titre de votre roman ?
Ce sont les lecteurs et lectrices ainsi que mon éditrice qui ont formulé clairement cette demande : “on voudrait une suite !” Alors, j’ai réfléchi pendant quelques mois, j’ai pris note des éléments que je voulais souligner, tout en restant dans la même veine sinistre et humoristique que L`embaumeur. J’aime mettre un sous-titre qui annonce l’ambiance, pour 2 raisons :
- Informer d’emblée que l’histoire sera dérangeante.
- Reprendre cette mode du sous-titre qui était en vogue au XVIIIe siècle.
Peut-être un jour écrirai-je les mémoires d’une mère modèle, mais pour l’instant, les personnages déglingués des siècles passés me plaisent davantage. Et puis, à décrire la norme ou la mère idéale, j’aurais eu l’impression de faire la leçon aux femmes, alors que je suis la première à apprécier tout ce qui sort du cadre de la bienséance. Ce n’est pas un trait de caractère, mais plutôt une réaction à l’encontre d’une éducation beaucoup trop stricte que j’ai reçue au pensionnat. L’excès de sévérité m’a rendue rétive aux convenances ; j’aime les traditions, mais pas les manières. Or, je voulais que Pâqueline soit excessive avec son fils et qu’elle minaude hors de sa maison. Je l’imaginais avoir une grosse toux grasse et des petits pieds fins, ou bien des mains costaudes de mec et un nez en trompette ; voilà le genre de contraste que j’aime.
Le prénom Pâqueline est mignon, un peu cucul. Contre-balancer en ajoutant “monstrueuse” était inévitable.
La Pâqueline est un personnage très étonnant, rempli de contradictions. Que saviez-vous d’elle avant de lui consacrer ce roman et comment avez-vous construit ce personnage fictif ? Vous êtes-vous inspirée de personnages existants ?
Je savais d’elle qu’elle ne s’améliorerait pas. La mocheté m’est plus jubilatoire à écrire que la beauté ou le bonheur. J’ai construit ce personnage en m’inspirant d’une cousine, au caractère multiple et contradictoire : généreuse, mais payant pour s’acheter une compagnie. Ce qui a été offert devient ensuite une sorte de dette, que le récipiendaire doit rembourser sous différentes formes de soumission, de services rendus et de fions bien envoyés à l’occasion de ses diverses contrariétés. Egalement raciste et menteuse, elle bricole des arrangements avec ses menteries d’une façon habile, mais bancale. Bref, cette cousine est une mine d’or pour un personnage fielleux.
J’habille le personnage de fanfreluches de son époque, des tics de langage, je la fais vivre et je la “vois” évoluer devant mes yeux. Je construis tout dans un demi sommeil.
L’action de ce roman se déroule aux lendemains de la Révolution. On apprend d’ailleurs de nombreuses choses sur cette période. Qu’est-ce qui vous intéresse, vous fascine peut-être dans le XVIIIe siècle que vous aimez explorer à travers vos romans ?
J’aime écrire ce que je ne trouve pas en librairie : la laideur, la vacherie, les vengeances écrites en termes élégants. Le XVIIIe siècle me fascine depuis 30 ans car il comporte toutes les dissemblances d’une société injuste et inégale, mais on a peu de choix en lecture : soit la vilénie est décrite par des essais barbants, soit ce sont des romans un peu mièvres. J’ai décidé de mêler une belle langue française à des situations et des personnages vraiment dérangeants ou dérangés, tels qu’ils existaient à cette époque.
Vous nous montrez des aspects fascinants du XVIIIe, mais aussi parfois peu ragoûtants. Il est notamment question dans ce roman de trafic d’organes. Qu’est-ce qui vous intéressait précisément dans ce sujet ?
Les trafics d’organes, tout comme les tableaux de nos musées peints avec du jus de coeurs de nos rois momifiés, sont des sujets qui m’intéressent depuis des années, justement parce qu’ils ne sont pas politiquement corrects. Ce passé peu glorieux de notre histoire nous appartient, et je n’ai aucune raison de taire ces sujets. Je ne sais pas écrire le bonheur, j’aime plonger dans les sphères glauques et tenter de comprendre comment l’individu le mieux intentionné peut basculer dans le discutable.
Dès lors qu’un sujet est tabou ou dégoutant, vous pouvez être certain qu’il m’intriguera. A condition qu’il concerne le passé, une autre époque, parce que l’avenir en littérature ne m’intéresse pas.
L’écriture de chacun de vos romans suppose-t-elle un travail de documentation à la fois sur les sujets évoqués mais aussi sur la période ? Tenez-vous à ce que vos romans soient les plus réalistes possible ?
Je n’ai plus besoin de me documenter sur le grandes lignes du XVIIIe siècle, mais bien sûr les sujets peu habituels relevant de la relation Homme/Dieu, ainsi que le bien et le mal nécessitent toujours des vérifications. Je fouine partout, mon esprit se repose peu mais je change de fatigue en alternant les moments d’écriture et les prises de notes. Après la sortie de chaque livre, je cesse d’écrire durant plusieurs mois.
Oui, je tiens au réalisme mais sous une forme bien précise : un corps de texte parsemé çà et là de mots d’époque, de détails visuels et de situations incongrues, mais des dialogues naturels, presque contemporains.
Les contrastes me sont nécessaires ; je me souviens d’un court d’art en 6e, mal noté par la prof parce que j’avais juxtaposé du bleu et du vert : impossible combinaison d’après elle. De nos jours, qui aurait l’idée de critiquer ce choix ? J’adore mêler dans mes livres des sujets ou des expressions qui, de prime abord, ne sont pas faits pour être ensemble.
Il y a énormément d’humour dans ce roman, notamment dans les dialogues. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?
L’humour et l’autodérision sont présents dans mon quotidien. Il arrive souvent que mes amis disent que je les ai fait rigoler, alors qu’ils avaient le moral dans les socquettes. Meme durant les moments les plus durs de ma vie, j’ai eu des fous rires. Ma mère y était pour beaucoup dans cette forme de communication ; elle était chef d’un service de psychiatrie en région parisienne ; hyper stricte dans son travail, elle se lâchait une fois rentrée à la maison. Je me souviens de la veillée funèbre du directeur d’une épicerie où nous allions faire nos courses ; ma mère avait eu du mal à reconnaître le défunt, endimanché et trop maquillé. En partant, elle m’a dit : “La famille aurait pu lui remettre son crayon sur l’oreille.” C’était grotesque, irrevérencieux et cela m’a fait rire aux larmes.
Je travaille mes dialogues à voix haute ; j’ai besoin qu’ils soient dicibles, que leur débit soit naturel et que leur nombre de syllabes colle avec un rythme que j’ai en tête. Parfois, un mot de trop déséquilibre la cadence du propos. Alors, je le remanie, et cela peut prendre du temps, jusqu’à ce que rien ne dépasse à mon oreille.
Je me souviens qu’après avoir écrit une poésie en octosyllabes, j’ai continué à parler à ce rythme pendant plusieurs jours. Les phrases me venaient en tête, y compris dans les actions quotidiennes. J’ai peut-être fait une attaque sans le savoir ! (rire)
Le roman est d’ailleurs en partie écrit à la première personne. Pourquoi ce choix ? Se met-on facilement dans la peau d’un personnage aussi complexe ?
L’écriture à la première personne offre une liberté extraordinaire ; on peut tout dire, et son contraire quelques lignes plus loin. La démesure de La Pâqueline n’aurait pas cette outrance si je l’avais écrite de façon omnisciente. Je ne voulais pas être spectatrice de ses méfaits, mais plutôt manipuler les ficelles de ma créature, comme un marionnettiste. Je ne sais pas si c’est facile ou difficile, cette immersion dans son caractère m’est venue naturellement. Lorsque j’ai écrit Les confessions de Constanze Mozart, j’ai eu la préface du Mozarteum de Salzburg, précisant que personne n’avait approché de si près la vérité. Or, j’avais écrit à la première personne, m’identifiant complètement à Constanze. J’ai réitéré cette forme dans le tome suivant La redoutable veuve Mozart, et cela m’a encore une fois semblé naturel ; je souffrais avec elle et je ressentais ses joies.
Pour L`embaumeur, je me suis coulée dans la peau d’un jeune homme pauvre des faubourgs de Paris au XVIIIe siècle sans difficultés, et j’ai recommencé pour sa mère, “La Pâqueline”.
Je trouve que cette façon d’écrire permet au lecteur de se sentir confident et proche du personnage principal, au lieu d’être simple spectateur. Et j’imagine que marcher à côté d’un sujet d’une autre époque est plus divertissant que le regarder par un trou de serrure.
En réalité, il me semble facile d’entrer dans un personnage, mais très compliqué d’en sortir. Oui, c’est cela le plus dur : le quitter sans tourner schizophrène !
Isabelle Duquesnoy à propos de ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
De la part de la princesse morte, de Kenizé Mourad. Acheté dans une librairie en Inde, en 1995.
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
L`oiseau bleu de Maurice Maeterlinck.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Héloïse de Philippe Beaussant.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Mémoires d`un rat d'Andrzej Zaniewski, que tout le monde confond avec le même titre de Pierre Chaine.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Le Petit Prince ; il n’y a pas mieux pour refiler des angoisses aux enfants.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Non, pas vraiment.
Et en ce moment que lisez-vous ?
Les Elégies majeures de Léopold Sédar Senghor.
Découvrez La Pâqueline ou les mémoires d`une mère monstrueuse d' Isabelle Duquesnoy publié aux Editions de La Martinière.