Si sombre est la nuit
Interview : Hervé Le Corre à propos de Traverser la nuit
Article publié le 31/03/2021 par Anaelle Alvarez Novoa
Au cœur de la nuit bordelaise, une mère célibataire victime des violences de son ex-compagnon, un commandant de police désemparé et révolté, et un tueur en série terrifiant se croisent, se rencontrent et se fuient. Dans Traverser la nuit (Rivages Noir), Hervé Le Corre fait la part belle à ses personnages dont les trajectoires semblent irrémédiablement liées.
Considéré comme l’une des grandes voix du roman noir français contemporain, l’auteur signe ici un livre sombre et sans concessions, profondément ancré dans son époque et ses dérives. Nous avons donc souhaité en savoir plus et en avons profité pour lui poser quelques questions sur ses lectures.
©Philippe Matsas
Dans Traverser la nuit, on arpente les rues bordelaises aux côtés de trois protagonistes : une mère célibataire (Louise), le commandant Jourdan et un tueur de jeunes femmes. Ces trois personnages apparaissent comme des figures assez caractéristiques voire classiques du roman noir, pourquoi avoir eu envie de les mettre en scène ?
Ces trois personnages se sont imposés à moi séparément. J’avais envie d’écrire leurs histoires. J’avais bien conscience qu’il s’agissait, pratiquement, de figures vues et revues dans les romans noirs, voire de clichés. Tout le défi consistait à faire se croiser leurs trajectoires et à tâcher de combattre les clichés par la densité de chacun de ces êtres de papier et par l’écriture capable de les mettre en situation.
Grâce à votre style direct et parfois dur, ce roman catapulte le lecteur au cœur de la nuit et plus globalement de la noirceur et de la brutalité. Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture ? Quel était votre état d’esprit au moment d’écrire ce livre ?
Pas d’état d’esprit particulier. Seulement la conscience d’une crise profonde, peut-être irréversible, de nos sociétés capitalistes marchandes. Je voulais exprimer cette crise par le trouble, les souffrances, la violence subie ou exercée par les personnages.
Quant à l’écriture, elle est l’essentiel : c’est elle qui sauve des clichés (enfin… je l’espère !), c’est elle qui installe les atmosphères, c’est elle qui explore et exprime la profondeur des personnages. C’est la mise en musique (en tout cas c’est ce à quoi j’essaie d’atteindre) du projet romanesque.
Après avoir, entre autres, plongé vos lecteurs dans les années 1950 ou au temps de la Commune à Paris, Traverser la nuit est un roman très contemporain et ancré dans son époque. Le contexte social et politique est omniprésent, assumé et même affirmé. Peut-on parler d’un polar social ? Pourquoi cette volonté d’intégrer une dimension politique à votre récit ?
Impossible, quoi qu’on écrive (je parle de littérature romanesque) d’échapper au contexte social et politique, à partir du moment où l’on pratique une écriture de type naturaliste, réaliste. La société est toujours là, en arrière-plan. Et les visions du monde que l’auteur porte forcément en lui agissent sur le texte, même allusivement, implicitement.
Je ne cherche jamais à écrire du « polar social ». Je ne cherche à rien démontrer. Si j’arrive à montrer, un peu, quelques pans de la crise sociale qui sévit depuis des années, cela me suffit. Rien d’explicite, rien de déclaratif. Mes personnages sont confrontés à cette société-là : comment le nier ? Ils sont eux aussi en crise, en souffrance, pourquoi le taire ?
Au-delà de cette dimension sociale, on peut voir ce livre comme une réflexion profonde et plus globale sur les origines du mal et du crime. Qu’en pensez-vous ? Est-il toujours possible d’expliquer la violence ?
Je ne cherche à rien expliquer. Et je ne crois pas à l’existence d’un « mal » quelconque. Je ne juge pas. Un roman n’est pas une leçon de morale où l’on montrerait en soulignant bien qui sont les bons et qui sont les méchants. La violence, oui, a des causes : psychopathologiques pour quelques prédateurs, sociales, politiques, liées à des situations de pouvoir, de toute-puissance ou d’emprise dans la plupart des cas. Des centaines de livres ont été écrits sur ces questions, je suis obligé de dire cela à grands traits.
À travers vos personnages, vous abordez des sujets de société éminemment actuels et sensibles, comme l’inceste ou les violences faites aux femmes. Vos personnages peuvent-ils être considérés comme des symboles de ces causes ?
Non. Aucun symbole. Aucune exemplarité.
Votre livre s’intitule Traverser la nuit. Pourquoi ce choix ? Laisse-t-il entendre que vous êtes finalement plutôt optimiste et que malgré l’obscurité, le jour se lèvera toujours ?
Oui, je crois qu’il est minuit moins quelques secondes dans le siècle, alors que nous n’en sommes qu’au début. L’impression que j’ai est qu’on (nous les humains) ne sortira pas de sitôt de cette nuit. Au moins devons-nous continuer à la traverser (c’est un combat) en préparant, si l’on peut, si l’on veut, les aubes auxquelles on aspire.
Hervé Le Corre à propos de ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Le petit bleu de la côte ouest, de Jean-Patrick Manchette.
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
Méridien de sang, de Cormac McCarthy.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Cent ans de solitude, de Gabriel Gracia Marquez.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
La route, de Cormac McCarthy.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Borgho Vecchio, de Giosué Calaciura.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Je n’en vois pas. Je ne l’ai sans doute pas encore lu !
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Non.
Et en ce moment, que lisez-vous ?
Kanaky, de Joseph Andras (Actes Sud).
Découvrez Traverser la nuit de Hervé Le Corre publié aux éditions Payot et Rivages