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Interview de Sabyl Ghoussoub, lauréat du prix Goncourt des Lycéens 2022
Beyrouth-sur-Seine : une odyssée libanaise

Article publié le 24/11/2022 par Nicolas Hecht

 

Quête des origines et hommage à ses parents, Beyrouth-sur-Seine (Stock) de Sabyl Ghoussoub vient de remporter le prix Goncourt des Lycéens. Ce troisième roman très intime nous plonge dans les souvenirs et le passé de ses parents, qu’il a choisi d’interroger pour questionner son propre rapport au Liban. Au cours de ces 200 pages, Sabyl Ghoussoub enquête ainsi avec tendresse et humour, en utilisant les codes de l’autofiction. Un récit qui au-delà du cas particulier du Liban, pourra parler à de nombreux lecteurs dont les parents ont migré, puisqu’il y est évidemment question de l’héritage culturel, de l’impossible retour, des souffrances familiales et de la mémoire en général. Les lecteurs Babelio témoignent d’ailleurs déjà de leur intérêt pour ce livre, à propos duquel vous pouvez retrouver une vingtaine de critiques et une cinquantaine de notes sur le site, à l’heure où nous écrivons ces lignes.

 

Nous avons pu parler à Sabyl Ghoussoub par téléphone ce 24 novembre, quelques heures après qu'il ait remporté le prix Goncourt des Lycéens 2022, organisé par la Fnac et le ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports. De quoi en savoir un peu plus sur ce qu’implique cette démarche de fils et d’auteur, et recueillir ses premières impressions sur l’accueil réservé à son livre.

 

 

 

Qu’est-ce que ça vous fait de remporter ce prix de jeunes lecteurs ? Et plus globalement, quels retours avez-vous eus suite à la publication du livre en août 2022 ?

Je suis très ému de remporter ce prix, ravi et honoré aussi. Les retours des lycéens lors des rencontres ont été très variés, touchants et passionnants. Ils étaient très touchés par le fait que ce soit un fils qui interroge ses parents et raconte leur exil, ils étaient marqués par le sujet de la guerre, par le sujet du Liban actuel (autant par l’explosion du port de Beyrouth, que par la révolution entre 2019 et 2021, ou encore la crise économique). Ils étaient au courant, ils arrivaient à faire les liens entre ce qui se passait là-bas et l’écriture de ce livre, et pourquoi son écriture a été nécessaire pour moi. Donc beaucoup de curiosité de leur part, et j’étais justement surpris qu’ils soient autant informés sur l’actualité de ce pays.


Beyrouth-sur-Seine est un roman sur les origines, sur l’immigration et la famille, sur l’impossible retour, et enfin sur la mémoire : comment on aborde ça en tant qu’écrivain ? Est-ce que pour vous il y avait un enjeu personnel plus fort sur ce livre par rapport à vos deux précédents ?

Il y avait plus de responsabilités sur celui-ci, parce que j’y raconte une histoire qui n’est pas uniquement la mienne, mais avant tout celle de mes parents. J’ai fait ça avec beaucoup de pincettes : pour raconter l’histoire d’un exil, qui plus est de ses parents, il faut se tenir à la bonne distance, garder une certaine humilité par rapport à ce qu’on nous raconte. C’était très difficile de trouver le bon positionnement pour raconter cette histoire que je n’ai pas vécue, qui se déroule entre 1975 et 1991. Il y a un deuxième temps dans mon livre qui se passe aujourd’hui, et là il s’agissait de garder là aussi la bonne distance par rapport à ce qui se passe au Liban : aujourd’hui je vis en France, et donc les problèmes d’électricité, d’eau, etc. ne sont pas les miens, mais je voulais raconter quand même ce qui se passe actuellement et trouver le bon équilibre pour ça.

Le fait d’avoir raconté cette histoire-là, l’exil de mes parents à partir de 1975 et parler aussi d’aujourd’hui, m’a permis de pouvoir mieux appréhender les choses. Comme l’histoire malheureusement se répète, et que les gens qui ont fait cette guerre sont encore au pouvoir, les raisons de cet impossible retour sont toujours les mêmes.


Au-delà de l’intime, vous êtes-vous posé la question de ne pas aller trop loin sur le plan politique ?

Ça a été un vrai sujet avec les lycéens notamment, parce qu’ils me disaient que lors de la lecture des chapitres plus politiques, ils bloquaient parfois sur les noms de personnes, de partis.  Je leur ai expliqué qu’il m’aurait été très difficile de faire l’impasse sur cette guerre-là pour raconter mes parents. L’équilibre s’est trouvé de lui-même, il y avait des éléments que je ne pouvais pas ne pas raconter pour traverser ces années-là, pour comprendre pourquoi ils ne retournent pas au Liban alors qu’ils pouvaient songer y retourner. Ça s’est fait naturellement, comme une évidence.

Dans ce livre, j’ai fait le choix de raconter les vies de victimes de la guerre, de protagonistes qui ont fait cette guerre aussi. Et je pense que ça remet au bon niveau l’histoire de mes parents ; il y a une phrase dans le livre où une amie restée au Liban écrit à ma mère : « Après la guerre, nous serons des héros. » Malheureusement, pendant une guerre, les héros sont les seigneurs de guerre. Après, on réalise que les vrais héros sont les exilés, ceux qui n’ont pas pris les armes. De raconter leurs histoires en parallèle m’a permis de nommer les vrais héros.

 



On imagine l’épreuve que ça peut être de plonger dans son passé familial : est-ce que d’une certaine façon vous vous sentez libéré d’un poids ? Ou bien est-ce que cela a apporté d’autres questionnements, d’autres souvenirs douloureux ?

D’un point de vue personnel, ça libère d’un poids. Pour la génération suivante, notamment une cousine qui vit au Liban, cela donne envie de poser encore plus de questions, de briser encore plus le silence. En m’étant libéré de ce poids, je l’ai – malheureusement ou heureusement, je ne sais pas –, transmis à la génération suivante. Une génération qui voudra sans doute creuser encore plus, et ainsi de suite.


Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la situation du Liban aujourd’hui, les crises que ce pays traverse ? Et peut-être les échos que l’on en a en France ?

J’en reviens là, je n’y étais pas retourné depuis l’explosion du port de Beyrouth et le pays vit un moment tragique de son histoire, que ce soit à travers l’explosion, la crise économique qui s’abat sur le pays. Une forme d’injustice infinie. Malgré tout, il y a une jeunesse qui veut partir, des gens qui restent et se battent encore, un lien très fort avec la diaspora. Il y a toujours l’envie d’aider le pays. Des gens y sont retournés après la révolution de 2019 pour s’engager, en politique ou dans des ONG.

Les artistes continuent à raconter ce Liban-là, même en étant loin, pour transmettre autre chose que du négatif. Le Liban de mon enfance en tant que parisien, c’est celui des pièces de théâtre qui me faisaient rire, des chansons que j’ai aimées, des livres qui m’ont intéressé. Le lien à un pays à travers la création artistique est très important, car ce lien est sans ça dur à conserver. La famille peut aider, la langue aussi, mais les œuvres d’art peuvent être le lien le plus fort, le plus intéressant.

 

Au-delà de l’écriture de livres, pouvez-vous nous parler de vos autres activités : journaliste, commissaire d’expos, etc. ?

Etant jeune je voulais faire des films, et je faisais beaucoup de photo. Et puis j’estimais ne pas prendre de bonnes photos, donc l’écriture est venue combler ce vide : je devais employer des mots pour mieux raconter les choses. La photo est une grande inspiration quand j’écris, je suis toujours admiratif des photographes, et je prends un plaisir fou à organiser des expos. Du côté du journalisme, j’écris beaucoup sur la photo, sur les expositions, sur les livres de photo et les livres en général. J’aime mettre en avant d’autres artistes avec mes mots, faire parler d’eux, c’est un bon retour des choses. C’est un cercle vertueux.

 

Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?

Un roi sans lendemain, de Christophe Donner.

 

Quel est le livre que vous auriez rêvé d'écrire ?

Ce serait plutôt un film que j’aurais aimé réalisé : Le Temps qu’il reste d’Elia Suleiman.

 



Découvrez Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub, publié aux éditions Stock

 

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