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Sur les chemins noirs : interview du réalisateur Denis Imbert
Article publié le 17/03/2023 par Nicolas Hecht

 

Décidément, l'œuvre de Sylvain Tesson n'en finit plus d'inspirer les réalisateurs. Après Dans les forêts de Sibérie (Safy Nebbou, 2016) et La Panthère des neiges (Marie Amiguet et Vincent Munier, 2021), c'est Denis Imbert qui signe en mars 2023 l'adaptation d'un autre de ses récits de voyage : Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016). Un livre très particulier, puisque Sylvain Tesson y raconte les suites de l'accident l'ayant conduit à l'hôpital avec un traumatisme crânien sévère et de nombreuses fractures. Dès sa sortie, il part pour quelques semaines de randonnée et bivouac, en remontant la France du sud-est au nord-ouest en solitaire (ou presque). Autre traumatisme, il y fait également le deuil de sa mère Marie-Claude Tesson-Millet, décédée en mai 2014. 

 


Comme toujours, Sylvain Tesson se montre aussi pudique que lyrique dans ce récit, qui est aussi (et peut-être surtout) l'occasion d'évoquer la France des campagnes isolées, son goût pour la solitude et les chemins de traverse - notamment ces fameuses lignes noires sur les cartes topographiques. Le leitmotiv de son voyage tient finalement en quelques mots : « Certains hommes espéraient entrer dans l'histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. »

Touché par le propos de ce livre, le réalisateur Denis Imbert signe donc son adaptation au cinéma, avec dans le rôle de l'écrivain-voyageur Jean Dujardin. Un film éminemment littéraire, où la voix de l'auteur revient sans cesse à travers des citations de son livre, mais également empreint de fiction, comme une variation sur cette histoire de double deuil, de confrontation à la nature et d'amour de la langue française. Nous avons posé quelques questions à Denis Imbert par téléphone pour en savoir plus sur son film Sur les chemins noirs, en salles à partir du 22 mars 2023.



Pouvez-vous nous parler un peu de la genèse de ce film ?

C'est assez particulier comme métier, on est dans une espèce de no man's land intérieur, en quête d'absolu, on cherche toujours le film d'après. Moi je suis un lecteur. Pour moi, le livre peut être une première marche vers un scénario. Quand j'ai lu ce livre de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, je cherchais justement un nouveau projet. Je connaissais ses livres et textes depuis longtemps, et j'étais tombé sur les images de Thomas Goisque qui photographiait Sylvain Tesson quand il remontait la France. J'y ai vu un auteur armé de bâtons, accroché au sentier, avec ce côté « Rimbaud de retour d'Afrique », un héros amaigri, asséché, avec un regard éteint.

Quand j'ai eu le livre dans les mains, il y avait les mots, le verbe de l'auteur et cette France de l'hyper ruralité qu'on connaît mal. Avec un côté un peu John Ford qui met le décor au milieu du récit : ça répondait un peu à toutes mes attentes pour un prochain projet.

 

Sylvain Tesson © Thomas Goisque



Pourquoi avoir choisi d'emmener ce récit vers la fiction sur grand écran, en modifiant parfois des éléments (Sylvain devient Pierre, il noue une relation avec une femme…) ?

Sylvain est un personnage romanesque, mais pas un auteur de roman. Ce sont des phrases qui ont été les éléments déclencheurs de ce projet, parce que Sylvain Tesson ne se livre pas : c'est un écrivain voyageur. Sur les chemins noirs, au départ c'est presque un livre socio-politique sur une France qui va mal, post-Gilets jaunes ; ce qu'il appelle de la « géo-poétique ».

Certains choix filmiques qui s'écartent du livre sont liés à des passages qui mentionnent une femme par exemple - c'est comme ça qu'est né le personnage d'Anna dans le film. Ca peut paraître étonnant, mais j'ai l'impression d'avoir mis beaucoup de moi et de ma vie dans ce film, et notamment dans ces scènes de fiction, de souvenirs. Ce qui a déclenché cet élément, c'est quand Sylvain a lu le scénario, et m'a dit qu'appeler le personnage comme lui, ce serait s'enfermer, ne pas mener le film vers ses possibilités. Ce pas de côté, cette variation, m'a permis d'aller vers la fiction.

 



Pour vous, qu'est-ce que dit ce livre du pays qu'il traverse et de son évolution ? Le film se fait l'écho de certaines préoccupations contemporaines (apprécier la nature en dehors des sentiers battus, les néo-ruraux, les déserts médicaux…) déjà présentes dans le livre.

C'est étonnant parce que quand Sylvain a lu la première version du scénario, il trouvait que l'hyper-ruralité de la France n'était pas représentée. Quand il a vu le film, il a finalement vu et compris qu'elle y figurait bien. Pour moi, il y avait une vraie volonté de faire du cinéma, et pas du documentaire à la Raymond Depardon par exemple - ce qui n'empêche pas de montrer cette ruralité.

Moi je suis originaire du Limousin, je viens d'avoir 50 ans, et d'une certaine façon depuis mon film Mystère je renoue avec mon enfance, avec mes premières amours. Je suis mon père qui m'emmène marcher dans le Cantal, c'est des valeurs qui me sont importantes aujourd'hui ; j'ai l'impression qu'on a d'ailleurs tous ce besoin de reconnexion à la nature. Une nature que je n'idéalise pas, contre laquelle on doit aussi se battre et qui agit sur notre psyché. Sylvain Tesson dit souvent : « Dis-moi sur quel sol tu vis, je te dirai qui tu es. » Il y a cette dimension tellurique. 

Quand j'ai demandé à Sylvain comment il résumerait ce livre, il m'a dit : « C'est une conversation entre un visage et un paysage. » Ca c'est devenu un dogme pour moi, qui m'a accompagné pendant l'écriture et le tournage. A tout moment, j'avais besoin d'être dans le paysage et de ne jamais lâcher le corps non plus.

 

Rencontre entre Jean Dujardin et Sylvain Tesson sur le tournage du film, avec Denis Imbert au 2e plan © Thomas Goisque



Qu'est-ce que ça fait de se retrouver en nature avec une équipe de tournage, et notamment Jean Dujardin ? Comment est-ce que vous y travaillez, et quelle ambiance règne ? 

Vous savez, Jean Dujardin n'est pas quelqu'un qui vient en chaussons sur le plateau, en s'excusant, ou sur des patins pour vous tendre un carnet pour que vous lui écriviez les rendez-vous du bal. On quitte tous sa carapace, il y a vraiment un côté western dans ce tournage en pleine nature : il fait froid, il y a du vent, c'est organique. Et nous on s'est vraiment confrontés tous les deux au récit de Sylvain, posé des questions. C'était passionnant, une sorte de duel amical. 

Tous les jours, en remontant cette diagonale, je voyais ce personnage prendre forme, et il n'était pas le même au début dans le Mercantour, et à la fin dans la Manche quand on entendait le fracas des vagues sur les roches du Nez de Jobourg. J'ai pu constater que le jeu de Jean Dujardin retranscrivait l'endroit où on se trouvait, la nature finissait par l'habiter. Il y avait une usure, une lassitude, un personnage plus éprouvé dans les intempéries qu'au début. C'est ça qui était intéressant. J'avais envie de le garder un peu à distance, de le filmer un peu comme une bête sauvage. Dans une scène, on le voit camper sur les hauteurs d'un village, les lueurs des rues commencent à scintiller dans la nuit des rues et lui se tient à l'écart des hommes.

Cette équipe de tournage, c'était un peu comme une cordée d'alpinistes. On était 10, ça nous permettait de nous replier en cas de mauvais temps, ou au contraire d'aller au devant des orages. C'était très agréable.

 

L'équipe de tournage du film, en pleine nature © DR



Est-ce qu'il y a des adaptations de livres en films que vous aimez particulièrement ?

C'est très compliqué de répondre à ça, parce que souvent on est assez déçus. Souvent, je préfère ne pas faire le lien. J'avais été à la première projection de Tous les matins du monde avec Pascal Quignard, qui était sorti malheureux parce qu'on avait juste fait l'illustration de son livre. Moi j'aime bien l'idée de variation : j'avais une vision très personnelle possible de ce texte, c'était important pour moi de ne pas faire quelque chose de trop littéral.


Enfin, avez-vous des lectures récentes à nous recommander ?

Il y a un livre qui a beaucoup compté pour moi, c'est Croire aux fauves de Nastassja Martin. J'ai aussi beaucoup aimé Disparaître de Lionel Duroy, Vivre vite de Brigitte Giraud, et puis j'ai aussi envie de vous parler de L'Éducation sentimentale, à lire ou relire. Et je suis en train de lire Les Sources de Marie-Hélène Lafon, encore une autrice précieuse du moment ! Voilà, c'est vite dit et varié, toujours difficile de citer des lectures au débotté, mais j'ai aimé tout ça récemment.

 

 

Découvrez le film Sur les chemins noirs de Denis Imbert (en salles le 22 mars)

 

 

Quel livre rêvez-vous de voir adapté en film ou série ? Dites-le nous en commentaire...

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