Le choc du débarquement annihila la volonté d'un grand nombre de soldats, non que leur moral ou leur bravoure fussent particulièrement faibles, mais ce choc dépassait vraiment la force d'endurance d'un homme ordinaire. La disparition des chefs et l'absence d'ordre créèrent un sentiment d'impuissance et de léthargie. (...) En un point de la plage, un lieutenant et un sergent blessé se levèrent soudain derrière la barrière de galets et montèrent sur elle: exactement ce que personne n'osait faire jusque là. Ils examinèrent le réseau de barbelés puis le sergent revint, et, toujours debout au-dessus des hommes couchés, il dit sans s'adresser à personne en particulier:
"Allez-vous rester là en attendant d'être tués ou bien allez-vous essayer de faire quelque chose ?"
Personne de réagit. Le lieutenant et le sergent trouvèrent des explosifs avec lesquels ils pratiquèrent une brèche dans le réseau. Alors, les hommes commencèrent à bouger. En un autre endroit, un colonel d'infanterie se trouvant dans la même situation, exprima la même idée:
"Il y a, sur cette plage, deux sortes de gens, ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir. Tâchons de nous sortir d'ici."
D'autres difficultés que personne n'aurait pu imaginer, se présentèrent: les fantassins, cherchant désespérément un abri, se groupaient derrière le plus mince obstacle. Un chef d'équipe qui avait mis toutes ses charges en place, au prix de deux tués parmi ses dix hommes, essaya frénétiquement de chasser les soldats à coups de pied afin de pouvoir faire exploser. Un autre, ayant vainement usé de tous les moyens de persuasion, alluma le cordon de mise à feu et se mit à courir en prévenant les fantassins qu'ils avaient trente secondes pour déguerpir. Une telle procédure n'était pas possible partout, car des blessés avaient été traînés jusqu'à ces abris illusoires et ne pouvaient plus bouger. Certaines équipes perdirent tant de temps à essayer de faire dégager les hommes que la marée noya les charges. Leurs chefs ne parvinrent pas à se décider à tuer leurs compatriotes pour pratiquer les brèches, comme l'implacable logique que la guerre le leur commandait pourtant.
Sur l'un des chalands, le quatrième DD déchira son flotteur en toile contre un affût de canon, en avançant sur le pont. Un sergent, nommé Sertell, le commandait. Il s'arrêta pour constater l'importance du dommage et, pendant ce temps, ses trois prédécesseurs sombrèrent. De la passerelle, le commandant du chaland lui cria de rester à bord, précisant que le cas était prévu et qu'il serait débarqué plus tard dans la journée. Mais Sertell insista pour partir, déclarant que sa pompe parviendrait à franchir la rentrée d'eau par la déchirure. Il descendit la rampe et coula. Dans l'après-midi, ce même chaland fût hélé par un patrouilleur qui lui remit un corps à ramener en Angleterre: celui de Sertell.