"Le Chant du sabre et du sang" de Fatima Bhutto .
Le soir du 20 septembre 1996, à Karachi, Fatima Bhutto, âgée de quatorze ans, se terrait chez elle avec son petit frère, Zulfi, qu?elle tentait de protéger de son corps pendant que dehors dans la rue résonnaient les crépitements d?une fusillade qui ne dura pas moins d?une heure. Ce fut la nuit de la mort de son père Mir Murtaza Bhutto avec six de ses associés. le 27 décembre 2007, à Rawalpindi, Benazir Bhutto, la tante de Fatima et celle-là même que Fatima accuse d?avoir commandité la mort de son père, tomba sous d?autres balles. Ce fut le dernier d?une longue liste de drames au sein d?une des dynasties les plus célèbres du monde au même titre que celles des Kennedy ou des Gandhi."Le chant du sabre et du sang" (Buchet/Chastel, février 2010) raconte sur quatre générations, la saga d?une famille de riches propriétaires descendants d?une caste de guerriers du Rajasthan qui devinrent les décideurs politiques du Pakistan, et entrelace amours, glamour et excès d?une élite politique cosmopolite. L?histoire de cette dynastie hors normes reflète les tumultueux événements du Pakistan, de sa naissance à aujourd?hui, ainsi que la quête de la vérité sur la mort de son père adoré menée par Fatima au c?ur de l?establishment versatile du pays.Retrouvez "Le chant du sabre et du sang" sur : http://bit.ly/fFvGdz
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« On peut emprisonner un homme , mais pas une idée.
On peut exiler un homme, mais pas une idée .
On peut tuer un homme , mais pas une idée » …
J’étais couchée sur mon lit de camp, aux premières heures de la matinée le 2 avril, quand ma mère tout à coup, arriva dans la chambre. « Pinkie », dit-elle, m’appelant par le surnom qu’on me donnait dans la famille, mais sur un ton qui me fit immédiatement me raidir, « il y a dehors des officiers de l’armée qui disent que nous devons toutes deux aller voir ton père aujourd’hui. Qu’est-ce que cela signifie ? » Je savais exactement ce que cela signifiait. Elle aussi. Mais ni l’une ni l’autre ne pouvions l’admettre. C’est le jour de visite de ma mère, auquel elle avait droit une fois par semaine ; Le miens venait quelques jours après. Qu’ils nous y envoient ensemble ne pouvait que signifier : c’est la dernière visite. Zia allait tuer mon père. Mon esprit s’affolait ; Il fallait passer le message, envoyer un dernier appel à la communauté internationale et au peuple.. Nous étions pris par le temps. Racontes leurs que je suis malade. Tandis que ma mère allait parler aux gardes, j’écrivis un message. « Je pense qu’on nous convoque pour la dernière visite », griffonnais-je en hâte à une amie de l’extérieur, espérant qu’elle alerterait les dirigeants du parti, qui a leur tour informerait le corps diplomatique et mobiliseraient le peuple.
« Je passai trois mois enfermé dans une cellule qui faisait à peine plus de 1,20m sur 1,50 m ; avec mes 1,80 de haut, je ne savais jamais m’étendre, ni le jour, ni la nuit. Il y avait quatre cellules identiques orientées à l’ouest. A partir de midi, le soleil nous incendiait sans relâche et la température montait souvent jusqu’à plus de 45 °. Des ventilateurs soufflaient sur nous un air brûlant. Les prisonniers des cellules voisines succombaient les uns après les autres à la chaleur. Je les entendais gémir et appeler dans leur délire. Etant la plus jeune, j’avais alors vingt-sept ans, je tins plus longtemps que tous, mais je perdis connaissance au bout de deux mois.
La farouche détermination dont fit preuve Musharraf pour décapiter le PPP et m’empêcher d’être réélue s’est soldée par une fragilisation des institutions politique du pays et un délabrement des infrastructures de la démocratie, tant dans les partis politiques que dans les institutions civiles. Sa politique budgétaire favorisant les dépenses militaires au détriment du secteur social a aggravé la situation de millions de Pakistanais qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Le général Musharraf a été visé par plusieurs tentatives d’assassinat. Comme on le voit l’incapacité de bâtir une démocratie durable au Pakistan peut avoir de très graves conséquence.
Bien qu’astreint au régime cellulaire, mon père tenait à me rappeler que son pricipal souci était toujours mon éducation. « Je sais que tu lis beaucoup mais tu devrais t’intéresser un peu plus à la littérature et à l’histoire. Tu as tous les livres qu’il te faut. Lis Napoléon Bonaparte, l’homme le plus complet de l’histoire moderne. Sur Abraham Lincoln. Lis : « dix jours qui ébranle le monde » de John Reed ; Etudie Bismark, Lénine, Ataturk et Mao Tsé-toung. Lis l’histoire de l’inde depuis l’Antiquité et par-dessus tout l’histoire de l’islam.
Les nuits devinrent bientôt pires que les jours. Personne n’avait de literie, pas même un drap. On se pelotonnait sur un sol de ciment crevassé, à côté du trou puant qui servait de toilettes. Les fourmis nous courraient sur le corps comme les cafards, les lézards, les ras et tous les rongeurs de la création. Et la chaleur ne baisait pas. Il y avait au plafond des ampoules de 500 watts qui restaient allumées toute la nuit ; et l’on avait pris soin de fixer les douilles assez profondément dans le plafond pour que nous ne puissions pas nous suicider en nous électrocutant. Si j’avais pu, je crois que je l’aurai fait.
Loi martiale, ordonnance n° 5 : Quiconque organise ou assiste à une assemblée syndicale, étudiante ou politique sans autorisation de l’administrateur de la loi martiale sera condamné à subir dix coups de fouet et cinq années d’emprisonnement.
Ordonnance n° 13 : Toute critique contre l’armée, orale ou écrite, entraîne une peine de dix coups de fouet et cinq ans d’emprisonnement.
Ordonnance n° 16 : Détourné un membre de l’armée de son devoir à l’égard de l’administrateur en chef de la loi martiale, le général Zia-ul-Haq, est puni de mort.
Tout pillage est interdit. Peine maximale amputation d’une main.
5 juillet 1977. Résidence du Premier ministre à Rawalpindi ;
« Réveille-toi ! Habille-toi vite ! » crie ma mère. « L’armée a pris le pouvoir ! » Je rejoins mes parents dans leur chambre. « Un coup d’Etat ? Comment est-ce possible ? Le Parti du peuple pakistanais et les chefs de l’oppression sont parvenu à un accord, la veille même, sur les élections contestées. Et si l’armé a pris le pouvoir, quelles factions l’y ont poussée. Le général Zia et les commandants de corps sont venus personnellement voir mon père deux jours plutôt pour l’assurer de la fidélité de l’armée.
« Le Premier ministre souhaite parler au chef d’état-major », dit mon père sur la ligne privée. Par miracle, elle n’était pas coupée. Zia prit immédiatement l’appareil, stupéfait que mon père soit déjà au courant. « Je suis désolé monsieur, j’étais obligé de le faire », lâcha-t-il sans un mot sur l’accord qui venait d’être conclu. Nous devons vous mettre en détention préventive pendant un certain temps. Mais dans quatre-vingt-dix jours j’organise de nouvelles élections. Vous serez réélu Premier ministre et je vous saluerai comme tel.