J'aimerais pouvoir décrire l'effet qu'a produit la libération sur nous.[...]. Pendant des années, nous avions été soumises à des émotions et à des souffrances immenses. Le désespoir, la peur, la faim, la misère, la haine, l'amitié. Beaucoup trop à la fois pour un être humain. Nous étions complètement anéanties.
Les expériences que nous avions vécues dépassaient largement tout ce qu'une personne pouvait connaître durant toute une vie. Après avoir vécu pendant des années le moment présent ou, avec un peu de chance, le lendemain, tout d'un coup un espace temporel s'ouvrait à nous. Nous avions beaucoup de mal à y croire. J'avais dix-neuf ans et l'impression d'en avoir quatre-vingt-dix.
Je ne trouve pas d'équivalent aux sentiments de soulagement, d'incrédulité et de gratitude qui envahirent peu à peu notre conscience alors que nous osions lentement accepter ce qui était vraiment la vérité : nous étions en vie, et les soldats qui évoluaient dans le camp n'étaient pas nos ennemis.
Il faut comprendre que nous et nos libérateurs voyions le camp avec un regard différent. Nous vivions depuis si longtemps dans la crasse et la mort que nous ne les remarquions plus. Les montagnes de cadavres en prutréfaction plus ou moins avancée faisaient partie du paysage et nous étions habitués à cette horrible puanteur. [...]
Ce que l'armée britannique a trouvé était bien éloigné de tout ce qu'elle avait pu voir, même pendant la guerre.