Pedro Mañas

Depuis un certain temps, sa soeur Janika ne l'embêtait plus. C'est peut-être pour cette raison que ce qui arriva un après-midi de décembre au retour de la bibliothèque l'inquiéta autant. Comme ses parents faisaient tranquillement la sieste dans la salle à manger, Franz avança sur la pointe des pieds dans le couloir jusqu'aux chambres. Que sa chambre soit fermée le surprit, mais moins que le fait que celle de Janika soit ouverte. Ouverte et vide. Sa soeur n'oubliait jamais de fermer sa porte. Et si le reste de la maison était vide aussi, cela signifiait que...zut! Franz se baissa et colla son oeil valide contre la serrure. Les portes de la maison, anciennes, possédaient de grandes serrures parfaites pour l'espionnage. En effet, sa chambre n'était pas vide. Janika était en train de fouiller son bureau en silence! Que diable cherchait-elle? Elle continua un peu plus d'une minute puis se dirigea vers la porte. Franz eut juste le temps de trouver refuge dans les toilettes. De retour dans sa chambre, il passa en revue son bureau. Tout était en ordre, rien ne semblait avoir été dérangé. Rien... sauf son cache-oeil de serpent. D'habitude, Franz le rangeait dans un tiroir, dessin vers le bas. A présent, dans le tiroir, sa pupille verte menaçante se trouvait sur le dessus et semblait lui lancer un regard mauvais. Janika avait trouvé son cache secret !
Franz se serait giflé de n'avoir pas imaginé meilleure cachette. Si sa soeur se donnait comme objectif de savoir ce qui se cachait derrière tout ça, elle le découvrirait. Comme elle était capable de tout dans le seul but d'embêter son frère, elle vendrait la mèche et alors l'association entière s'écroulerait comme un château de cartes. Ce que Franz ignorait, c'était que l'association allait rapidement devoir s'occuper d'affaires bien plus graves que celle-là.

Les enfants se dispersèrent dans la pièce en soulevant de grands nuages de poussière. Franz s'assit en tailleur sur un matelas dur et dépenaillé. Près de lui, la fille au survêtement rose et aux sandale regardait devant elle, l'air rêveur. Franz profita de la lumière pour jeter un oeil au reste du groupe.
Des enfants avec des lunettes comme celles de Jakob, à la tête de chouettes géantes, des enfants avec des pareils, d'autres à la voix aiguë ou râpeuse, aux dents cassées ou longues comme celles d'un lapin, aux oreilles décollées comme les portes d'une armoire, d'autres encore qui se grattaient furieusement le cou et la tête comme si leur vie en dépendait, ou avec autant de boutons qu'une tranche de salami. Des gros, des maigrichons, des bossus et des mal habillés : il y avait un peu de tout, mais Franz était le seul à porter un cache-oeil. Tous s'agitaient, donnaient leur avis et toussaient à cause de la poussière. "Est-ce que Jakob veut monter un cirque?" se demanda Franz.

Appartenir aux A.U.T.R.E.S. était donc une mission difficile et émouvante. Tout devait être construit à partir de rien : les lois et les systèmes de communication secrets, les noms de code et les lieux de réunion. C'était comme se retrouver devant un univers vierge : les A.U.T.R.E.S. devaient inventer de nouvelles normes pour créer un monde nouveau.