Amos Squverer
Dans
le normal et le pathologique (1943), ouvrage entre science et philosophie, devenu classique,
Georges Canguilhem apportait des éclairages essentiels sur la différence entre ces deux notions, en examinant la façon dont ils s'étaient déployés dans la physiologie et la biologie du XIX-XXe siècle. Les distinctions alors établies sont-elles encore pertinentes, si l'on tient compte à fois de certaines problématiques nouvellement apparues en philosophie par exemple celle du care et du développement ou de l'orientations des sciences, notamment biologiques ou neurologiques?
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Être en bonne santé c'est pouvoir tomber malade et s'en relever, c'est un luxe biologique.
La maladie n’est pas seulement déséquilibre ou dysharmonie, elle est aussi, et peut-être surtout, effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre. La maladie est réaction généralisée à intention de guérison. L’organisme fait une maladie pour se guérir.
Quand la maladie est tenue pour un mal, la thérapeutique est donnée pour une revalorisation ; quand la maladie est tenue pour un défaut ou pour un excédent, la thérapeutique consiste dans une compensation.
Rêver de remèdes absolus c'est souvent rêver de remèdes pires que le mal.
Une norme tire sons sens, sa fonction et sa valeur du fait de l’existence en dehors d’elle de ce qui ne répond pas à l’exigence qu’elle sert.
[...]
De cette destination et de cet usage polémique du concept de
norme il faut, selon nous, chercher la raison dans l’essence du rapport normal/anormal. Il ne s’agit pas d’un rapport de contradiction et d’extériorité, mais d’un rapport d’inversion et de polarité. La norme, en dépréciant tout ce que la référence à elle interdit de
tenir pour normal, crée d’elle-même la possibilité d’une inversion des termes. Une norme se propose comme un
mode possible d’unification d’un divers, de résorption, d’une différence, de règlement d’un différend. Mais se proposer n’est pas s’imposer. A la différence d’une loi de la nature, une norme ne nécessite pas son effet
.
C’est dire qu’une norme n’a aucun sens de norme toute seule et toute simple. La possibilité de référence et derèglement qu’elle offre contient,du fait qu’il ne s’agit que d’une possibilité, la latitude d’une autre possibilité qui ne peut être qu’inverse. Une norme, en effet, n’est pas la possibilité d’une référence que lorsqu’elle a été
instituée ou choisie comme expression d’une préférence et comme instrument d’une volonté
de substitution d’un état de choses satisfaisant à un état de choses décevant.
Ainsi toute préférence d’un ordre possible s’accompagne, le plus souvent implicitement, de l’aversion de l’ordre inverse possible
A la différence de l'humanité qui, selon Marx, ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre, la vie multiplie d'avance les solutions aux problèmes d'adaptation qui pourront se poser.
Nous nous demanderons maintenant si, en considérant la vie comme un ordre de propriétés, nous ne serions pas plus près de comprendre certaines difficultés insolubles dans l'autre perspective. En parlant d'un ordre de propriétés, nous voulons désigner une organisation de puissances et une hiérarchie de fonctions dont la stabilité est nécessairement précaire, étant la solution d'un problème d'équilibre, de compensation, de compromis entre pouvoirs différents, donc concurrents. Dans une telle perspective, l'irrégularité, l'anomalie ne sont pas conçues comme des accidents affectant l'individu mais comme son existence même. Leibniz avait baptisé ce fait plus qu'il ne l'avait expliqué, en affirmant qu'il n'y a pas deux individus semblables et différant simplement solo numero. On peut comprendre à partir de là que si les individus d'une même espèce restent en fait distincts et non interchangeables c'est parce qu'ils le sont d'abord en droit. L’individu n'est un irrationnel provisoire et regrettable que dans l’hypothèse où les lois de la nature sont conçues comme des essence génériques éternelles. L'écart se présente comme une aberration que le calcul humain n'arrive pas à réduire à la stricte identité d'une formule simple, et son explication le donne comme erreur, échec, ou prodigalité d'une nature supposée à la fois assez intelligente pour procéder par voies simples et trop riche pour se résoudre à se conformer à sa propre économie. Un genre vivant ne nous parait pourtant un genre viable que dans la mesure où il se révèle fécond, c'est à dire producteur de nouveautés, si imperceptibles soient-elles à première vue. On sait assez que les espèces approchent de leur fin quand elles se sont engagées irréversiblement dans des directions inflexibles et se sont manifestées sous des formes rigides. Bref, on peut interpréter la singularité individuelle comme un échec ou comme un essai, comme une faute ou comme une aventure. Dans la deuxième hypothèse, aucun jugement de valeur négative n'est porté par l''esprit humain, précisément parce que les essais ou aventures que sont les formes vivantes sont considérés moins comme des êtres référables à un type réel préétabli que comme des organisations dont la validité, c est à dire la valeur, est référée à leur réussite de vie éventuelle. Finalement c'est parce que la valeur est dans le vivant qu'aucun jugement de valeur concernant sont existence n'est porté sur lui."
C'est donc d'abord parce que les hommes se sentent malades qu'il y a une médecine. Ce n'est que secondairement que les hommes, parce qu'il y a une médecine, savent en quoi ils sont malades.
Les conditions, qui les connaît les change
De n'être pas malade dans un monde où il y a des malades un malaise naît à la longue.