Le brigandage n'est pas organisable. Je me trompe, on peut l’organiser, et voici comment : placez dans chaque commune une autorité plus jalouse du droit exceptionnel que du droit public ; établissez dans chaque arrondissement, dans chaque département des magistrats haineux, intolérants et fanatiques ; constituez au sommet de cette hiérarchie un chef suprême aveuglé par l'orgueil de la domination et nourri dans des dogmes impies ; donnez à cet homme quatre ou cinq cent mille hommes armés pour soutien ; et la spoliation pour mot d'ordre et la violation des droits acquis est consommée. Mais on me dit que le tableau ci-dessus n’est autre chose que l'organisation administrative, fondée par les constitutions. Je l’avoue, et il suit de là qu'un malfaiteur qui ne s'emparerait pas de l'administration de l'État ne serait nullement à craindre. Mais cela revient à dire aussi que cette administration nous annule de telle sorte que nous sommes à l'entière discrétion du premier audacieux que les hasards y peuvent précipiter.
Nous avons élu des représentants pour rédiger un contrat qui déterminât, par des clauses précises, la ligne suprême où finit le peuple et où commence l’administration ; elle a décidé, sans l’écrire, que le peuple finissait partout et que le gouvernement commençait partout aussi.
Vous avez cru jusqu’à ce jour qu’il y avait des tyrans ! Eh bien vous vous êtes trompés, il n’y a que des esclaves : là où nul n’obéit, personne ne commande.
Qui dit anarchie, dit négation du gouvernement ;
Qui dit négation du gouvernement, dit affirmation du peuple ;
Qui dit affirmation du peuple, dit liberté individuelle ;
Qui dit liberté individuelle, dit souveraineté de chacun ;
Qui dit souveraineté de chacun, dit égalité ;
Qui dit égalité, dit solidarité ou fraternité ;
Qui dit fraternité, dit ordre social ;
Donc, qui dit anarchie, dit ordre social.
Il n’a jamais été vrai, il ne sera jamais vrai, il ne peut pas être vrai qu’il y ait sur la Terre un intérêt supérieur au mien, un intérêt auquel je doive le sacrifice, même partiel, de mon intérêt ; il n’y a sur la Terre que des hommes, je suis homme, mon intérêt est égal à celui de qui que ce soit ; je ne puis devoir que ce qui m’est dû ; on ne peut me rendre qu’en proportion de ce que je donne, mais je ne dois rien à qui ne me donne rien ; donc, je ne dois rien à la raison collective, soit le gouvernement, car le gouvernement ne me donne rien, et il peut d’autant moins me donner qu’il n’a que ce qu’il me prend. En tout cas, le meilleur juge que je connaisse de l’opportunité des avances que je dois faire et de la probabilité de leur rentrée, c’est moi ; je n’ai, à cet égard, ni conseil, ni leçon, ni surtout d’ordre à recevoir de personne.
La société est la conséquence inévitable et forcée de l’agrégation des individus. L’intérêt collectif est, au même titre, une déduction providentielle et fatale de l’agrégation des intérêts privés. L’intérêt collectif ne peut être complet qu’autant que l’intérêt privé reste entier, car comme on ne peut entendre par intérêt collectif que l’intérêt de tous, il suffit que, dans la société, l’intérêt d’un seul individu soit lésé pour qu’aussitôt l’intérêt collectif ne soit plus l’intérêt de tous et ait, par conséquent, cessé d’exister.
Il est donc vrai qu’un parti, quel qu’il soit, n’existe et n’est craint que parce qu’il aspire au pouvoir ; il est donc vrai que nul n’est dangereux qui n’a pas le pouvoir. Il est vrai, par conséquent, que quiconque a le pouvoir est tout aussitôt dangereux ; il est, par contre, surabondamment démontré qu’il ne peut exister d’autre ennemi public que le pouvoir.
Il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du peuple, car quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve placé, quel que soit l’homme qui en est investi, de quelque nom qu’on l’appelle, le pouvoir est toujours le pouvoir, c’est-à-dire le signe irréfragable de l’abdication de la souveraineté du peuple, la consécration d’une maîtrise suprême.
L’abnégation, c’est l’esclavage, l’avilissement, l’abjection ; c’est le roi, c’est le gouvernement, c’est la tyrannie, c’est la lutte, c’est la guerre civile.
L’individualisme, au contraire, c’est l'affranchissement, la grandeur, la noblesse ; c’est l’homme, c’est le peuple, c’est la liberté, c’est la fraternité, c’est l’ordre.
Mon histoire est le résumé complet de l’histoire de l’humanité ; je n’en connais pas, je n’en veux pas connaître d’autre. Quand je souffre, quel bien me revient-il des jouissances d’autrui ? Quand je jouis, que retirent de mes plaisirs ceux qui souffrent ? Que m’importe ce qui s’est fait avant moi ? En quoi suis-je touché par ce qui se fera après moi ? Je n’ai à servir ni d’holocauste au respect des générations éteintes, ni d’exemple à la postérité. Je me renferme dans le cercle de mon existence, et le seul problème que j’aie à résoudre, c’est celui de mon bien-être. Je n’ai qu’une doctrine, cette doctrine n’a qu’une formule, cette formule n’a qu’un mot : JOUIR !