Alexis Karklins-Marchay

Balzac avait annoncé lui-même l'ambition qui était la sienne avec sa Comédie Humaine : peindre dans les moindres détails la société dans laquelle il vivait. A travers ces dizaines d'ouvrages qui composent son œuvre majeure, il y parvient de façon époustouflante, réussissant à la fois à mettre en lumière les structures sociales, à faire ressortir les valeurs dominantes de l'époque, à livrer des analyses sur le fonctionnement de la politique et à traiter des thèmes essentiels comme l'éducation, les médias, la religion et l'émancipation des femmes. L'écrivain n'était pas plus sociologue de profession qu'il ne fut économiste. Mais sa plume de génie, couplée à son sens aigu de l'observation et à l'élaboration d'une pensée hors norme, lui permet de brosser un portrait de la société française dont la profondeur continue d'impressionner et de faire écho à l'heure actuelle. C'est particulièrement le cas lorsqu'il s'intéresse aux valeurs qui dominent le pays à l'époque de la Restauration et plus encore, pendant la monarchie de Juillet. Une précision s'impose cependant. Balzac tend à noircir le tableau qu'il compose et occulte la modernisation que la France connaît à son époque - une modernisation qu'il voit d'un mauvais œil, lui qui ne peut s'empêcher d'idéaliser la France prérévolutionnaire et qui n'aime pas ce qu'elle est devenue. Le monde de Balzac n'est pas une description objective de la société de la première moitié du XIXe siècle, mais il offre une perspective propre à l'auteur, liée à son histoire, sa sensibilité, ses opinions et ses relations.

Balzac lui-même fut brièvement tenté de s'engager en politique mais cet engagement aurait été incompatible avec le grand dessein qu'il s'était donné : celui d'écrire une fresque immense embrassant la civilisation française dans son ensemble, saisissant son propre génie, tissant les liens et les continuités au fil de l'histoire, représentant son époque dans toute sa diversité, analysant le comportement des hommes et des femmes de son temps et ce, en dépeignant le pays avec une acuité et une précision qui continuent de fasciner. La Comédie Humaine, en nous parlant de la France, nous parle de nous.

[Paris]...Une ville pleine de défauts, qui corrompt les mœurs, qui ne vit que pour et par le pouvoir et notamment celui de l'argent, qui valorise l'apparence et la fortune, qui fait le lit des ambitions plutôt que de la solidarité, qui flatte les ego et défait les carrières, une ville, enfin, qui voit coexister la richesse et la misère sans qu'elles se parlent.