Lors de son passage à Paris, nous avons pu rencontrer l'autrice camerounaise d'expression française Hemley Boum, à l'occasion de la parution de son dernier roman 'Le Rêve du pêcheur' (Gallimard). Elle nous parle en détail de ce livre dans cette interview, pour nous raconter les vies de Zacharias et Zack, deux générations d'hommes camerounais aux destins différents.
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Cette communauté, ce village et tous ceux le long de la côte, constituaient tout l'univers de Yalana. Elle connaissait chaque recoin des terres, celles qui avaient été longtemps exploitées et devaient être laissées en jachère quelques années pour se régénérer, celles qui supportaient d'être brûlées et nourries à la cendre des plantes calcinées avant d'être à nouveau cultivées, celles qui étaient riches et fécondes, sur lesquelles on pouvait labourer et semer. Elle savait le nom secret de chaque plante, celles qui soignent et celles qui empoisonnent. Yalana connaissait chacune des rivières qui traçaient leur route vers le fleuve, puis se jetaient dans l'océan, le nom et l'histoire de toutes les familles le long de la côte jusqu'à l'intérieur des terres. Elle n'ignorait rien du sens caché des coutumes, de la sagesse transmise par les contes, les légendes, les superstitions. Ce savoir faisait partie d'elle. Ce n'était pas une compétence acquise, quelque chose qu'elle aurait dû apprendre de façon explicite, comme on va à l'école pour acquérir des connaissances que l'on ne posséderait pas autrement, mais un espace amniotique hors duquel elle suffoquait. Aussi fut-elle désarçonnée, effrayée d'être exclue de sa communauté.
(p.164)
L’humiliation est une bien étrange émotion, elle enchaîne le bourreau et sa victime dans un corps-à-corps d’une telle intimité que nul ne peut en présager l’issue.
Les préjugés et les assignations annihilent la possibilité d’une première bonne impression. Les expériences ultérieures avec les autres, les deuxième, troisième impressions seront peut-être meilleures. Encore faut-il en avoir l’occasion. Comment ne pas en vouloir à ceux qui chargent une barque déjà fort lestée ?
Comme ma mère, je me suis tenu au bord du précipice toute ma vie. Je n’ai jamais vraiment renoncé à la séduction de la chute, l’attraction du vide. Se laisser choir, enfin lâcher prise. Toute une vie à affronter le néant en moi. Je comprends Dorothée mieux que personne.
Julienne posait sur moi un regard singulier, scrutateur, elle relevait des détails dont je n’avais pas conscience et les commentait : « J’aime ton rire. Comme si tu essayais de retenir la joie qui déborde de toi, tes lèvres sont closes, ton regard brille, tu as ces soubresauts dans la poitrine, et pour finir, tu laisses aller, tu ouvres grand la bouche et tu rejettes la tête en arrière. J’aime la façon dont ton rire s’échappe de toi. » Son attention continue et bavarde me déconcertait : qui prend la peine de décrire un rire ?
Mais je saurai prendre soin de votre fille, je vous le promets.
Promesse fallacieuse que les hommes se font depuis la nuit des temps au sujet de femmes capables de prendre soin d'elles-mêmes.
(p.252)
Les regrets, Petit Pa’, sont l’autre côté de la vie. Chaque fois que nous faisons un choix, nous renonçons à autre chose et parfois nous nous trompons, nous voudrions revenir en arrière, savoir ce qu’aurait été notre existence si nous avions opté pour tel chemin plutôt que tel autre. Nous fantasmons ce qui aurait pu être, ce qui est à jamais perdu.
À cette étape de ma vie, j’étais persuadé que l’on pouvait se soustraire à ses souvenirs, s’absoudre de ses fautes simplement en se dissociant de celui que l’on était au moment de les commettre. Je pensais qu’il suffisait de décider d’être heureux et d’aller de l’avant pour que le passé disparaisse comme par magie et que la vie redevienne une page vierge. Je suppose que quelque part en enfer, le diable rit encore de ma naïveté.
La région est traversée par des centaines de petites rivières qui tracent des méandres à travers des kilomètres de forêts, creusent dans la terre des sillons d'eau claire, polissent les rochers. Dans le lit des ruisseaux flottent des jacinthes d'eau, leurs fleurs lilas bleuté et leurs racines ébouriffées. Des torrents, des cascades... Sur le sillage de l'eau vive se mouvant vers l'océan la forêt est drue, le sol fertile, la vie luxuriante, presque envahissante. Puis il y a le fleuve, le Ntem majestueux et sa sylve de mangrove. Lorsqu'on s'en approche, la forêt se fait marécageuse, sous-bois serré de palétuviers aux racines aquatiques profondément enfoncées dans l'eau. Et enfin l'embouchure, rencontre et fracas. D'un côté, le fleuve assombri en son fond par un tapis de racines et de feuilles, de l'autre déjà l'Atlantique, son sable, son sel, la puissance de ses courants. Car le fleuve ne glisse pas sereinement dans l'océan, il s'y jette et s'y brise, il s'y engouffre puissamment. À quelques mètres seulement à gauche, ces eaux sont encore douces, accueillantes, et un peu plus loin à droite, l'océan s'apaise. Tous les jeunes pêcheurs apprennent dès leurs premiers coups de rame à contourner le Vidodo, l'embouchure, même les enfants pour qui la plage, l'océan, le fleuve sont incessants et inépuisables terrains de jeu savent que le Vidodo est l'arbre interdit planté au cœur de leur paradis.
(p.18-19)
Chaque fois que nous faisons un choix, nous renonçons à autre chose et parfois nous nous trompons, nous voudrions revenir en arrière, savoir ce qu'aurait été notre existence si nous avions opté pour tel chemin plutôt que tel autre. Nous fantasmons ce qui aurait pu être, ce qui est à jamais perdu. Ils sont conçus dans nos désirs déchirants, contradictoires : il faudrait ne rien avoir vécu pour espérer échapper aux regrets.
(p.337)