Rencontre avec Armand Gatti et Jean-Jacques Hocquard - Part 4
Savoir que, lorsqu'on dit quelque chose à quelqu'un, ce n'est pas ce qu'on lui dit qui se met à exister, mais une infinité d'aventures possibles et impossibles en même temps. Les mots jouent, sur la pensée, le même rôle que la lune sur les marées.
Madame éléphante
se promenait, enivrée
par le pépiement de la forêt.
En passant, son pied
écrase une mère perdrix.
Les petits crient affolés.
Madame éléphante
sent alors les larmes
lui mouiller les yeux.
Moi aussi, je suis
une bonne mère
je vais vous réchauffer
Et avec ses quatre cents
kilos d'amour maternel
Elle s'assied sur le nid.
[un poème de l'armée des chignons]
Espace orange
Auguste G 30 ans .- Avoir échappé à tant de balles de mousqueton et mourir d'un coup de crosse pour ne pas avoir respecté l'ordre.
Espace noir
Auguste G 46 ans .- L'ordre, je l'ai pourtant toujours respecté - mais ce ne devait pas être le même.
Espace rouge
Auguste G sans âge .- Il faut le dire que ce n'était pas le même.....
(extrait du "répertoire du théâtre contemporain de langue française" paru aux éditions "Nathan" en 2000)
J'ai toujours cru que, par la beauté des mots, on pouvait changer le monde.
Parti, trop tôt, le 6 avril 2017 à 94 ans.
Le silence que l’on entend
l’absence que l’on touche
la distance qui est proche
les mots comme un bélier noir
qui de rocher en rocher
se racontent sur toute une montagne.
Les alphabétiseurs ont découpé, charcuté, trituré pour trouver de quoi écrire l’homme nouveau. Aux pieds de la table de dissection, le foie, les entrailles, les poumons sont dans des baquets. Au milieu, pour montrer (peut-être) que même dans un baquet ils continuent à habiter les deux corps : les cœurs jumeaux. A l’endroit où s’agrafe la température, deux petits sexes comme deux escargots de mer qui ont perdu leur coquille, découpés pour que le microscope puisse y découvrir le pourquoi et le comment des races. Des races alphabétisées. Les jumelles n’ont plus de regard. Quatre trous vides à la place. Les yeux vairons, qui dans les roulottes faisaient d’elles un porte-bonheur, regardent maintenant à travers le verre d’un bocal où Mengele les collectionne.
A une époque où j'avais des rapports assidus avec les ménageries et leurs pensionnaires, les Editions du Seuil, émues par la forte odeur de bête que je portais sur moi, me demandèrent d'écrire un livre sur les fauves. J'acceptai de de le tenter. Entre-temps un jury de grands reporters a eu la bonté de m'attribuer le prix Albert-Londres pour un reportage paru dans le "Parisien libéré" : "Envoyé spécial dans la cage aux fauves". Sans beaucoup hésiter, j'en ai fait cet ouvrage. Il s'agit bien entendu d'un livre tranquille qui ne fera hurler personne. C'est mon seul regret.
Ce pourrait alors être la tentation d’inverser la chute d’Icare. L’horizon (lieu de rencontres optiques des lignes parallèles) aurait disparu et les objets y seraient contournés – non plus vus dans un espace privilégié, où la philosophie et la famille agonisent et d’où l’histoire s’est retirée.
L a réalité transmute la vieille fiction. A peine arrivé à Pékin, il faut faire place aux couleurs, aux sons, à la cordialité, à la confiance et par-dessus tout à u n certain mystère dont la seule expression visible est le sourire. Il y a dépaysement et repaysement à la fois.
Je me disais:
Nous sommes des satellites
sans savoir autour de quoi
nous tournons
Nous sommes des satellites habités
Un homme qui tombe
c'est la création
qui s'écroule
Mais nous continuons à tourner
avec le poids
de ceux qui s'en vont