L'église confond charité et politique d'immigration.
On se plait à se figurer le moment où, achevant sa course terrestre, Fra Angelico fut guidé vers le Paradis par son ange, plein d'une particulière charité pour celui qui, toue sa vie durant, avait si bien dévoilé aux hommes la suavité et la beauté de la compagnie angélique
Dédoublement entre l’écrivain de langue française, passant l’essentiel de sa vie à Paris, et l’américain, le Sudiste, qu’il resta toujours immuablement au fond de son cœur ; entre l’homme social, qui semblait extérieurement si sage et si policé, et l’inconnu qui guidait sa plume pour écrire des livres où bouillonnaient les plus impétueuses fureurs ; entre une réalité qui lui paraissait souvent si irréelle et des songes qui lui semblaient bien davantage dire la vérité ; entre le catholique fidèle à son Église et l’homosexuel dont cette même Église réprouve les pratiques ; entre le chrétien sincère et exigeant, épris de sainteté, et l’homme de plaisir trop souvent esclave du démon de la chair ; et, en définitive, entre le ciel et la terre, entre l’appel vertigineux des étoiles et la tentation de rester confortablement vautré dans la pesanteur de la matière.
L'auteur évoque Julien Green.
Pendant dix ans, il mène à Paris une vie de littérateur ignoré, continuant de publier en Roumanie. Puis, en 1947, il saute le pas : jugeant absurde une entreprise de traduction de Mallarmé en roumain, il renonce à sa langue. Et donc, à sa patrie : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une Patrie, c’est cela et rien d’autre. » Son premier livre en français, « Précis de décomposition », il s’y reprendra à quatre fois pour l’écrire (« Si Pascal a rédigé dix-sept fois ses « Provinciales », moi, comme métèque, il faut quand même que je fasse un effort. ») Le style bouillonnant et lyrique des livres roumains fait place à une écriture précise, corsetée, classique, à l’école des mémorialistes du XVIIIe siècle. « La langue française m’a apaisé comme une camisole de force calme un fou. »
L'auteur évoque Cioran.
Tout aussi lucide que Tocqueville, et tout aussi coupable que lui d'avoir préparé le terrain aux désastres qu'il prévoyait, il prophétise l'avènement d'une "société d'abeilles" réduite à une uniformité stérile par l'individualisme, à un matérialisme désespérant par l'utilitarisme, à la barbarie par la société des loisirs. La liberté de la presse même lui semble en ses dernières années devoir conduire à la tyrannie de l'opinion. De plus en plus conscient que "nous avons perdu dans l'ordre moral plus que nous n'avons gagné dans l'ordre matériel", il place désormais tous ses espoirs dans la religion, "avenir du monde".
L'auteur évoque Chateaubriand.
Pour Raspail, comme l'a dit joliment Sylvain Tesson, "la géographie est le socle de la spiritualité", de la même façon que l'attitude est la colonne vertébrale de l'âme.
Quand monte le soir d'été sur les hauteurs de San Miniato ou sur les bords de l'Arno, et que le crépuscule florentin enflamme les couleurs d'une intensité presque immatérielle, ou lorsque la fragile lumière d'aurore y nimbe toute chose d'une intime douceur, il est évident que Fra Angelico n'est pas né là par hasard.
Le débat est cependant brouillé par le nouveau sens donné au mot “identité” par les développements du progressisme sociétal : aujourd’hui, ce qu’on fustige souvent sous le nom de “repli identitaire”, ce n’est plus seulement une identité nationale trop fermée, trop repliée sur soi ; c’est aussi le repli, destructeur de l’identité nationale, sur des identités particulières, communautaristes, qui nient la possibilité même d’un être commun : aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains ne se reconnaissent plus comme Français, Québécois ou Italiens – c’est un type d’identité qui leur fait horreur, et qu’ils récusent absolument –; l’identité qu’ils revendiquent, qu’ils se considèrent comme “racisé”, “gender-fluid”, “transgenre”, “binaire”, “antispéciste”, “vegan” ou “woke intersectionnel”, ne peut être en aucun cas une médiation vers l’universel, car elle enferme ceux qui la revendiquent dans un club fermé où ils se sentent en permanence agressés par ceux qui ne leur ressemblent pas (au point de réclamer des “safe spaces”, des espaces sauvegardés où ils puissent se retrouver entre eux, à l’abri de ces “micro-agressions”). Autant l’identité de la patrie, grande (la nation) ou petite (la province, la région), est une médiation qui permet de sortir des micro-identités pour se reconnaître dans une identité plus large qui, vous dépassant, est une porte ouverte sur l’universel, autant ces micro-identités, de nature véritablement tribaliste, sont excluantes, renfermées sur elles-mêmes, opposées par essence à toute forme d’universalisme véritable – tant à celui qui permet à tout un chacun, quelle que soit son origine, de s’assimiler à une culture qui n’est pas la sienne, comme à celui plus large encore qui autorise à se sentir frère de n’importe quel être humain. Conception moderne de la liberté, qui aboutit paradoxalement à un enfermement.
De cette admiration chardonnienne, beaucoup font une circonstance atténuante en faveur de l'ancien président. Qu'on nous permette au contraire d'y voir une aggravante, preuve supplémentaire du cynisme diabolique d'un homme qui savait pertinemment la valeur de tout ce que sa politique s'est acharnée à méticuleusement détruire, et que l'œuvre de Chardonne illustre à merveille : la solidarité ancestrale des héritages provinciaux, le goût de la transmission, la vertu de l'enracinement et de la lenteur, une certaine passion de la chose bien faite qui est le pendant bourgeois de l'éloge péguyste de l'artisan attaché à réussir à la perfection son barreau de chaise ; jusqu'à l'amour même, en tant qu'il n'est pas la simple soumission aux caprices de la passion, mais la maturation patiente et fidèle du sentiment à travers les vicissitudes de l'existence.
l'auteur évoque l'admiration de Mitterrand pour Chardonne.
Les peuples oubliés, disparus, martyrisés par l'histoire et les hommes, ce fut dans ces années de globe-trotteur la grande affaire de Jean Raspail, qui l'a racontée notamment dans "La Hache des steppes" (1974) : " S'il reste un survivant, je veux le voir et lui parler, lui saisir la main, savoir à quoi ça ressemble un homme vieux de milliers d'années et qui le sait." Serrer la main des oubliés de l'histoire, les honorer d'un salut plein d'empathie pour éviter que leur mémoire ne sombre tout à fait dans l'oubli, voilà une facette qui corrige l'image que la bien-pensance médiatique s'est empressée de déduire du "Camp des Saints";
Morand est, de toutes ses fibres d'écrivain, un classique, mais un classique foudroyant : ses images abruptes, la brutalité de son style, qui en masquent l'impeccable tenue et la fondamentale sobriété, lui sont imposées par le souci de suivre l'époque dans toutes ses convulsions, qui sont celles d'un monde entré dans une douloureuse agonie. L'œuvre de Morand semblait un feu d'artifice : c'était un redoutable et fatal dynamitage ; et l'apparente gaité des hourras de la fête s'avérait être des râles d'une mort qui ne voulait avancer que dissimulée derrière un masque de carnaval.