J’ai l’impression d’être en enfer, pas celui décrit dans la Bible ou les contes que je lisais quand j’étais petite. Il n’y a pas de démons cornus, ni de créature aux yeux rouges qui crachent des flammes. Juste des êtres humains privés de liberté et affamés. Des morceaux de vie humiliées. Qui luttent, résistent et se débattent pour ne pas mourir. Avec pour seul horizon les barbelés de leur enclos.
Je sais que j’ai passé plus de quatre années dans le ghetto de Lodz – j’avais onze ans quand j’y suis entrée en février 1940 et presque seize quand je l’ai quitté, à l’été 1944 – pourtant j’ai l’impression que ça a duré à peine un an. J’ai des souvenirs encore nets mais j’ai du mal à reconstituer la trame des évènements, comme si la douleur avait creusé des failles, disloqué le temps.
En quatre mois à peine, la guerre avait détruit notre vie, fait de nous des parias. Nous pensions avoir atteint le pire, que le plus dur était passé, que pouvaient-ils nous infliger de plus ? Nous n’avions plus rien. Mais la haine envers les Juifs était trop puissante.
A peine quelques heures se sont écoulées depuis que nous sommes arrivées, et nous voilà déjà transformées, défigurées, comme ces « malades mentales » qu’on avaient aperçues en descendant du train. Nous appartenons à un autre monde, dehors n’existe plus.