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3.89/5 (sur 50 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Taram Boyle est un écrivain gay.

Auteur de romans gays dont les best-sellers "Un Amour à satisfaire" (2020), "L'Amour suprême" (2021) et "Un Amour de soumis" (2021), il explore les nombreux aspects de l'homosexualité masculine.

page Facebook : https://www.facebook.com/Taram-Boyle-%C3%89crivain-Gay-673755702723135/
Twitter : https://twitter.com/taramboyle?lang=fr

Source : amazon
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Sortie le 29 nov. 2022 En vacances en Italie avec sa femme, Thomas se sent frustré après la perte de son meilleur ami. En découvrant sa belle famille, il rencontre Eliott, à peine majeur, aussi charmant qu'avenant. Une relation scandaleuse va naître entre eux, dans la plus grande discrétion. Mais le désir est un dictateur intransigeant qui ne supporte pas les secrets... Pour son neuvième roman, Taram Boyle utilise l'univers familial comme décor, pour une romance où le désir est un ogre insatiable.


Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Julien avait rendez-vous chez un entrepreneur spécialisé dans le commerce de produits d’importation qui souhaitait être coaché pour améliorer son aisance en public. Il disposait de peu d’informations à son sujet, car une secrétaire s’était présentée sur son répondeur sur recommandation d’un PDG avec qui Julien n’avait plus aucun contact.
Le coach professionnel se présenta sur le perron d’un chic appartement du VIIe arrondissement un peu en avance et il dut sonner à de multiples reprises avant qu’une grande femme brune au regard humide lui ouvre la porte :
— Indiana Duchêne. Valentin, mon mari, n’est pas encore arrivé, mais vous pouvez entrer, dit-elle en boutonnant son chemisier mal engoncé dans sa jupe droite.
Un homme vêtu d’un sweater et d’un jogging sortit de l’une des pièces en ajustant de manière précipitée et presque coupable ses vêtements et ses cheveux.
— Je t’appelle, dit-il en faisant un signe à la jeune femme qui venait d’allumer une cigarette.
Julien fit mine de ne pas comprendre la situation.
De toute évidence, les deux adultes venaient de faire l’amour et le coach avait involontairement interrompu leurs ébats.
— Vous voulez un café ? lui proposa Indiana Duchêne qui, une fois apprêtée, paraissait aussi jolie que raffinée.
— S’il vous plaît, merci.
Au lieu de se rendre à la cuisine, la jeune femme retourna dans le couloir où elle donna un dernier baiser à son amant. Ils échangèrent encore quelques mots avant qu’il ne prenne congé.
N’osant se retourner et surprendre une seconde fois ce couple adultère, Julien observa le mobilier et la décoration autour de lui. Canapé, meubles, murs et moquettes étaient d’un blanc uniforme, ponctué de quelques pointes de couleurs grâce un bouquet de fleurs, un cadre ou des tranches de livres. L’appartement respirait la sérénité et transmettait au visiteur une énergie positive. Cela était bon signe. Lorsqu’elle réapparut avec son petit plateau de verre et ses deux tasses à café design, Julien ne put retenir un commentaire :
— On se sent vraiment bien chez vous. Le cadre est reposant, j’y suis très sensible.
— Vraiment ? demanda-t-elle comme si cette remarque était inattendue. Ne vous fiez pas aux apparences, croyez-moi. Je m’appelle Indiana. L’homme que vous avez croisé est mon professeur de sport, poursuivit-elle en détaillant son regard, comme si elle cherchait à y voir quelques reproches.
Julien lui renvoya un sourire amical, comme pour lui signifier qu’il n’était pas là pour la juger.
— Valentin est doué pour les affaires, enchaîna-t-elle. Il possède une capacité d’analyse qui lui permet d’apporter des jugements fiables sur une situation, une entreprise, un placement ou même une personne. Son point faible est qu’il manque de confiance en lui. Sa peur panique du public le cantonne à des ambitions limitées. Je suis intimement persuadée qu’il pourrait accomplir de grandes choses.
On entendit des bruits de pas et Valentin Duchêne apparut enfin dans le salon.
Julien fut immédiatement troublé par ses cheveux blonds légèrement ondulés, son visage blanc aux lèvres pulpeuses, sa silhouette svelte et sportive. Aussitôt l’image de ce corps nu endormi sur un lit et tenant dans sa main un fruit de la passion lui revint à l’esprit. Évidemment, cela était impossible. Aucune chance que ces deux hommes aient quoi que ce soit en commun. Valentin Duchêne était un homme marié et il n’avait pas de raison de traîner sur des sites de rencontres et encore moins de s’endormir totalement dénudé, tel un désœuvré, après s’être trop longtemps ennuyé face à une caméra.
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— Non, non, vous n’y êtes pas du tout, le coupa Valentin Duchêne en levant les mains. C’est plutôt que je n’aime pas me sentir mauvais dans quelque discipline que ce soit. Et là, je dois avouer que je n’y connais rien du tout. Alors j’appréhende ce que je vais découvrir sur moi…
— Vous n’avez pas à vous inquiéter, Monsieur Duchêne. Vous aurez simplement à vous laisser guider, je m’occuperai de tout.
Lorsque le jeune blond retourna vers le bureau, ses yeux étaient rouges, comme si Duchêne se retenait de pleurer.
Julien, loin de trouver ce spectacle décevant, fut touché par la liberté que montrait son nouvel élève. Non seulement Duchêne se révélait sincère et sensible, mais en plus il l’assumait complètement. C’est à ce moment que le coach professionnel sentit un début d’érection gonfler dans son pantalon. Il en fut aussi surpris que gêné. Comment pouvait-il être excité en telle situation ? Julien croisa aussitôt les cuisses en espérant amoindrir la bosse grandissante qui, déjà au repos, attirait immanquablement l’attention. Mais avec un sexe si volumineux, l’exercice était inutile puisqu’on distingua bientôt les contours avantageux de cette queue impressionnante. Valentin remarqua la gêne de son invité et ses yeux descendirent bientôt au-dessous de sa ceinture, découvrant ainsi l’effet qu’il procurait à son nouveau professeur.
Totalement désarmé devant un incident aussi inattendu qu’inconvenant, Julien retira d’un geste la veste de son costume pour masquer ses cuisses :
— Je… Je suis désolé, bafouilla-t-il, comme un enfant pris en flagrant délit, la main dans un sac de bonbons. C’est… C’est la première fois que ça m’arrive et je…
Valentin demeura immobile, choqué, comme pétrifié par ce qu’il venait de voir. Il leva les yeux avant de murmurer :
— Partez, s’il vous plaît, lui ordonna son nouveau client. Partez maintenant !
Julien, les joues pourpres de honte, n’osa pas protester et se releva vivement, son sexe épais engoncé entre son boxer et son pantalon, lui procurant soudain une vive douleur. Il prit juste la peine de déposer sa carte de visite sur le bureau blanc avant de vider les lieux, honteux, sa veste masquant son pantalon, alors que pour la première fois, son sexe dont il était habituellement si fier, venait de lui procurer l’une des pires hontes de sa vie.
En arrivant chez lui, le grand brun s’abandonna dans l’un des fauteuils du salon, le regard plus sombre que jamais. Pour lui qui pratiquait le yoga, le constat d’échec était d’autant plus difficile à accepter. Depuis plusieurs années il travaillait à contrôler son énergie, ses besoins physiques et ses pulsions. Force était de constater que Julien en était incapable. La part instinctive et animale qui sommeillait en lui semblait plus puissante que toutes les philosophies de vie et toutes les tentatives de restriction apprises au fil des ans. Lové confortablement dans son fauteuil, Julien réalisa que la bosse de son pantalon grossissait à la seule idée d’être devenue un problème majeur. Il laissa sa main descendre vers l’épaisse forme longiligne qui croissait sous l’étoffe et une chaleur réconfortante envahit son bas-ventre. C’est à ce moment qu’il réalisa que seule une sexualité assumée lui permettrait de retrouver l’équilibre qu’il désirait plus que tout. Pour se débarrasser de son encombrant problème de sexe, il devait d’abord y succomber totalement.
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— C’est quoi « L’Amour suprême » ?
— C’est mon pseudo sur… sur un réseau social, rétorqua maladroitement l’étudiant.
— J’ignorais que tu étais sentimental, lui fit-il remarquer. Tu crois au grand amour ?
Jérémy leva ses grands yeux bleus vers la route sur laquelle la lumière du jour déclinait déjà.
— Tout le monde en rêve, tu ne crois pas ? On a tous envie d’aimer et d’être aimé en retour, tout en restant soi-même, honnête, sincère, avec quelqu’un…
— Sincère ? Tu es sincère avec moi ? lui demanda malicieusement son chauffeur.
— Je ne suis pas amoureux de toi ! pouffa le plus jeune, avant de nuancer son propos. J’essaie d’être franc, je n’ai pas intérêt à te mentir.
Malik tourna les yeux vers le paysage pour avaler sa salive, puis il se tourna de nouveau vers Jérémy.
— Oui, c’est certain. Ça te dirait de jouer à un petit jeu, pendant tout le week-end ?
— Pourquoi pas ? Ça consiste en quoi ?
— Interdiction formelle de mentir ! Tu devras toujours me dire la vérité et j’en ferai autant. Tu te sens capable de relever le défi ?
— D’accord, je m’en moque, je n’ai rien à cacher, après tout. Par contre, c’est valable dans les deux sens.
— Bien sûr, acquiesça Malik, satisfait qu’il accepte son challenge. Tu veux commencer ?
— Oui, répondit l’étudiant, l’air pensif. As-tu couché avec les garçons qui t’ont aidé à déménager ?
— Ah ! Non ! Je ne mélange jamais vie privée et travail, c’est une règle chez moi. Ils étaient mignons, n’est-ce pas ? Ces garçons étaient modèles pour Stéphane Davouret, ce sont eux qui m’ont proposé leur aide, d’ailleurs aucun n’est gay.
Le trentenaire en profita aussitôt pour rebondir :
— Maintenant, c’est mon tour. Et toi, es-tu jaloux ?
Jérémy se mit à rougir, un peu décontenancé, ne sachant si cette question était en rapport à la sienne et si elle impliquait un éventuel désir pour lui.
— Quand je suis amoureux, oui, je pense. C’est normal, non ? Et toi, tu es jaloux ?
Malik afficha une petite moue en scrutant la route :
— Ce n’est pas dans ma nature, mais j’ai connu des mecs qui m’ont poussé à me poser des questions et à le devenir. Tu as déjà été amoureux ?
— En fait, parfois, pour faire le malin devant les jeunes du quartier, je fais croire que j’ai déjà eu des tas de filles, mais…
— Ce n’est pas vrai, le coupa Malik, comme si c’était une évidence.
Jérémy rougit et se terra dans un silence que le trentenaire interpréta comme un aveu.
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Un homme grand et musclé, vêtu de noir et portant une cagoule le frôla brusquement en remontant précipitamment la colline en sens inverse. Mais le blond entendit bientôt d’étranges gémissements plaintifs provenant de l’arrière d’un rocher.
Balthazar le contourna et alluma la torche de son smartphone pour découvrir un jeune au visage ensanglanté gisant sur le sol et qui avait l’air mal en point :
— Romain ? s’écria-t-il. Que fais-tu ici ? Qui t’a arrangé dans cet état ?
Le grand jeune homme blond leva ses grands noirs vers lui et prit un air dépité dès qu’il le reconnut :
— Il ne manquait plus que ça ! pesta-t-il. Ça te fait plaisir de me voir ainsi, n’est-ce pas ?
— Tu n’arrives pas à te relever ?
— Il m’a pété la cheville, l’enculé, je n’arrive plus à tenir debout !
— Mais de qui parles-tu ?
— Le détraqué en noir, avec une cagoule, bordel ! Tu l’as pas vu ? J’étais assis sur ce rocher. Je regardais la mer et… Le type m’a attrapé par les cheveux et je suis tombé le cul par terre. Il s’est défoulé sur moi, à coups de pied et de poing. J’ai pas eu le temps de dire « ouf ». Il m’a juste défoncé ! J’ai essayé de me relever, mais ma chaussure s’est prise dans une faille de la roche. J’ai le pied dans le vide ! Il t’a entendu approcher et il s’est tiré, le bâtard !
— Qu’est-ce que tu fichais ici ? Tu ignorais qu’on trouve de tout dans les lieux de drague ?
— C’est pas ce que tu crois. Je ne venais pas ici pour ça ! Tu sais bien que Clément habite juste au-dessus ! Je lui ai envoyé des Snap, des SMS, la panoplie complète ! Il n’a même pas répondu ! Alors… Je sais pas, j’espérais juste qu’il…
— Qu’il quoi ? Tu en as après ses médicaments, c’est ça ?
— Oh ça, non ! Je préfère la MDNA, c’est moins fort. Avec son truc, c’était trop la zone. L’autre jour, je me suis fait un trip à l’envers, j’ai tellement dégueulé, j’ai cru que j’allais carrément crever ! Et puis ça bousille la libido aussi. J’arrive même plus à bander avec ses trucs…
— Bon, on te sort de là, ou tu comptes me raconter tes misères toute la nuit ?
Romain poussa un petit cri en essayant de se relever :
— Putain, ça fait trop mal !
— Je crois bien qu’on va devoir amputer jusqu’au nombril, plaisanta Balthazar. Finies les branlettes au clair de lune !
— Tout de suite ! Vous, les gays, vous êtes vraiment tous de gros obsédés ! Il n’y a que la bite qui vous intéresse ! pesta-t-il. Si je force un peu, je peux sortir mon pied, mais je risque de perdre ma basket et je vais me faire défoncer à la baraque par ma reum !
— Si tu préfères, je vais chercher une scie à métaux. On pourra toujours essayer de sauver la basket, poursuivit Balthazar un brin moqueur.
Il s’agenouilla pour passer le bras de Romain autour de son cou et le soulever d’un mouvement brusque :
— Eh ! C’est horrible ! Tu es sadique, ou quoi ? Tu veux te venger ?
Voyant que cette stratégie ne fonctionnait pas, Balthazar s’agenouilla au pied de l’adolescent. Il parvint à passer deux doigts entre la cheville déjà enflée et la roche qui l’emprisonnait. Il ramassa un morceau de bois et racla le minéral qui s’effrita bientôt. Après une dizaine de minutes de ce travail acharné, Romain put enfin sortir son pied :
— Et en plus tu as sauvé ma basket ! Tu es trop fort ! s’exclama Romain, reconnaissant.
— Ça n’a jamais été que ma seule ambition, continua Balthazar. Ça va ? Tu penses réussir à marcher un peu, ou je dois convoquer l’armée et le GIGN ?
— Non, ça va aller, répondit-il en boitant. Par contre, tu habites loin d’ici ? J’ai pas mal saigné et si je rentre avec le tee-shirt plein de sang, ma mère va encore croire que je me suis battu ou que j’ai replongé dans la came. Elle va me décalquer et me saouler pendant au moins une semaine ! Je pourrais me nettoyer vite fait chez toi ? Promis, j’en foutrai pas partout !
Balthazar observa l’adolescent admettant que si ses excès l’agaçaient, il ne pouvait pas pour autant abandonner le meilleur ami de Clément dans ce lieu de drague alors qu’il venait d’être agressé.
— C’est bon, mais on ne traîne pas, je travaille demain. Il faudra que tu ailles porter plainte. C’est peut-être une agression homophobe !
— Homophobe ? Je ne suis pas gay. Je ne peux pas porter plainte pour ça ! Sinon je vais passer pour un pédé !
Ils gravirent la colline qui semblait encore plus aride que lorsqu’il l’avait dévalée.
— Alors comme ça tu te drogues souvent ? questionna le plus âgé.
— Oui, j’aime bien me défoncer, rétorqua l’adolescent, comme si ce n’était qu’un trait de caractère anodin. Et ce n’est pas la peine de jouer les choqués ! Vous les gays, vous faites dix fois pire. Vous prenez du poppers pour vous en mettre plein le trou. Et le chemsex, c’est pas un traitement contre la grippe ! Faut pas me la raconter, à moi.
— Je ne te juge pas Romain, tenta de le rassurer le blond. C’est juste que tu es un beau garçon, en bonne santé, tu n’as aucune raison d’essayer de fuir la réalité à tout prix.
— Ma vie m’emmerde, continua le jeune homme. Je n’ai pas d’argent, pas d’avenir, personne pour m’aider ou me pistonner… Tu sais, une fois, on en parlait avec Clément et nous sommes arrivés à la conclusion que je suis son négatif. Il est brun, je suis blond. Il a de beaux yeux gris bleuté et les miens sont noirs Il sera bientôt riche et moi je ne serai jamais qu’un cassos. Il est brillant, moi je suis con et buté. Je suis un nid à embrouilles. Je suis nul au lit, je le sais, on me l’a déjà dit, deux fois. Y a pas d’embrouille, c’est comme ça. Dans les soirées, je suis celui qu’il ne faut pas inviter…
— Tu as encore beaucoup à apprendre avant de savoir te vendre correctement… Tu as le droit d’évoluer et de ne pas répéter toujours les mêmes erreurs. Il y a des choses qui s’apprennent.
Ils longèrent la maison de Clément et chacun s’enfonça silencieusement dans ses pensées respectives, comme si cette demeure imposait le respect...
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Jérémy se retourna pour découvrir avec horreur que Duncan et un garçon assez efféminé, l’observaient d’un œil hautain. Une fois encore, l’ex de Malik portait un pull de manufacture exceptionnelle, une grosse écharpe en laine, un jean à la coupe impeccable et des baskets flambant neuves dernier cri. Avec ses cheveux parfaitement alignés, il était flamboyant.
— Viens, Jules. Allons nous réchauffer à l’intérieur, en plus, ce camion refoule.
Malik arriva et les reçut à bras ouverts, ce qui exaspéra immédiatement son invité qui préféra rester en retrait, poussant son zèle jusqu’à terminer le déménagement tout seul.
Mais lorsque tout le mobilier et les cartons se virent entreposés dans la salle à manger, il fut bien obligé de rejoindre les trois jeunes hommes qui montraient une complicité des plus horripilantes.
Duncan se tourna vers Jérémy et le scruta de la tête aux pieds :
— Tu sais, à partir d’un certain moment, une douche devient plus que nécessaire. Ce n’est pas que l’odeur est insupportable, mais c’est plutôt pour la vue !
L’étudiant reçut cette remarque aussi violemment qu’une gifle. Il demeura interdit un instant, avant de s’enfermer dans la salle de bains du premier étage, avec son sac de sport, vexé et humilié au plus haut point.
Il utilisa le savon posé sur le rebord de la baignoire en faïence, mais n’ayant pas emporté de shampoing, il emprunta celui de Malik, rangé aux côtés de crèmes hydratantes et d’un tube de gel lubrifiant intime.
Une fois lavé et séché, il descendit l’escalier principal, ne portant qu’un simple boxeur pour retrouver les autres. Les trois jeunes hommes, regroupés autour d’un album de photos, se turent en le voyant ainsi déambuler :
— Je vous l’avais dit qu’il était canon, déclara fièrement Malik.
— Tu devrais mettre quelque chose sur ton dos, lui conseilla Jules, la Normandie, ce n’est pas vraiment la Côte d’Azur. Il pleut des cordes, dehors.
Mais c’est Duncan qui parut le plus dérangé par cette démonstration :
— Bon d’accord, tu n’es pas trop mal foutu et, visiblement, tu as une belle queue. Mais sache qu’elle ne m’intéresse pas. Je suis un pur actif. Tu peux te rhabiller, mon chéri.
— Tu as si peu de choses à dire, pour raconter ta vie sexuelle à un inconnu au bout de deux minutes ? Je serais triste, à ta place. De toute manière, jamais je ne coucherai avec un type de ton espèce.
Duncan caressa les cheveux de Malik, comme si c’était un petit chien et l’enlaça par-derrière pour le serrer exagérément.
— Pauvre chéri, tu es tombé sur un garçon de mauvais goût, il n’y a qu’à voir son boxer de cassos.
— Arrête de me tripoter comme ça ! s’énerva Malik, en essayant d’enlever ses mains. Nous ne sommes plus liés.
Mais ce dernier ne prit pas cette remarque au sérieux et embrassa bruyamment le trentenaire sur la joue.
Cet abus fit sortir Jérémy de ses gonds et il traversa la cuisine en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il attrapa le bras de Duncan d’un geste et le bloqua dans son dos, pinçant fortement les muscles de son cou entre ses doigts. Le visage du jeune fauteur de troubles se retrouva brutalement écrasé contre le frigo :
— Tu ne comprends pas le français, la petite pédale ? lui lança Jérémy, en proie à une vive colère. Excuse-toi ?
— Eh ! Mais ça ne va pas ou quoi ? Tu es cinglé ! Aïe !
— Excuse-toi ou je te pète le bras ! Un… Deux…
— Désolé, Malik, je ne recommencerai plus et…
— Ça suffit ! Lâche-le ! cria le trentenaire.
Jérémy écarquilla les yeux, se sentant trompé au plus haut point. Il repoussa Duncan qui atterrit tête la première dans les bras de son ex, sous les yeux médusés de Jules.
— Tu as raison, souffla l’étudiant. Restez bien ensemble. Surtout ne changez rien !
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Jérémy vivait dans un univers très éloigné des vernissages et des mondanités parisiennes. Après ses cours dans une école d’architecture, il empruntait chaque soir la ligne C, afin de rejoindre un quartier sensible de Gennevilliers. Depuis sa plus tendre enfance, il vivait avec sa mère dans un F2 minuscule offrant une vue sur des tours.
Pourtant, la promiscuité, l’absence d’intimité et la pauvreté, ne le gênaient pas outre mesure. Abandonné par son père dans les premières années de sa vie, Jérémy savait qu’il ne pouvait compter que sur sa maman. Tenace et ne ménageant jamais ses efforts, cette dernière travaillait comme caissière polyvalente chez Lowprice, une supérette de la cité voisine. Soudés de manière presque fusionnelle, Jérémy et elle faisaient tout pour se donner l’illusion que leurs existences n’étaient pas si difficiles. Chacun se privait afin de permettre à l’autre de menus plaisirs jusqu’alors inabordables.
Ainsi, l’une des baskets de Jérémy était percée sous la semelle depuis plusieurs semaines et il préférait reculer le moment où il en réclamerait une nouvelle paire. Sa mère, acculée par les dettes, ne mentionnait jamais ses problèmes d’argent, considérant que son fils ne devait pas se préoccuper des ressources familiales.
Lorsqu’elle le vit arriver portant une veste étrangère, elle lui fit aussitôt la remarque :
— Elle est magnifique, lui dit-elle, les yeux brillants d’amour et d’administration pour sa progéniture. Où as-tu trouvé une aussi belle redingote ?
— Ce n’est pas à moi, lui expliqua-t-il en la retirant pour lui montrer les taches et lui raconter ses maladresses pendant le vernissage.
— Tu es un brave garçon, mais tu accordes un peu trop facilement ta confiance, lui déclara-t-elle, en lui coupant une part de tarte au thon. Cela a toujours été ton problème. Tu crois que les gens sont aussi honnêtes que toi. Il faut que tu apprennes à te protéger, Jérémy. La vie professionnelle n’est pas rose. Il y a toujours quelqu’un qui essaie de te faire tomber, même si tu ne fais d’ombre à personne.
— Je sais tout cela, Maman, répondit-il pour éviter de discourir à nouveau autour du sujet de sa naïveté.
— C’est juste que… Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose, expliqua-t-elle avant de se laisser tomber mollement sur la banquette en bois qui suivait l’angle autour de la table de la cuisine. Paris est peuplé de requins où les vieux se repaissent de la jeunesse en la pervertissant ! Certains convoitent les femmes, comme les hommes, sans aucune réserve, ni respect.
Sa mère était une femme petite et fine qui avait conservé la souplesse de son adolescence. Mais son visage commençait à marquer les premiers signes de fatigue et quelques cheveux blancs trahissaient des soucis en nombre.
Jérémy s’empressa d’abréger son repas.
Sa mère lui cachait quelque chose et elle utilisait ces prétextes pour exprimer son désespoir.
— J’ai déposé des CV dans plusieurs entreprises, hier, dit-il plus tard, en lavant la vaisselle. On ne sait jamais…
— Je ne veux pas que tu travailles, tant que tu n’auras pas terminé tes études, l’interrompit-elle. J’ai abrégé les miennes par amour pour ton père et regarde le résultat. Je mène une vie à me contenter du strict nécessaire. Consacre-toi à fond à ta future carrière, c’est tout ce que je te demande. On peut se priver en attendant des jours meilleurs, si ça en vaut la peine.
Jérémy acquiesça d’un hochement du menton avant de s’installer sur le bureau de sa petite chambre, le casque sur les oreilles pour y travailler jusqu’à tard dans la nuit.
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La journée avait bien commencé, avec un ciel bleu sans nuage et un soleil invincible. Il faisait déjà chaud, lorsque le cortège de véhicules rutilants et décorés de rubans, arriva sur le perron de la mairie pour déposer les mariés, au rythme de la musique entêtante de « Daouar Daouar » de Khalass & Ghania.
Sakina et Mounir furent joyeusement acclamés par des « youyous », des cris et des applaudissements. La future mariée, vêtue d’une magnifique robe ample ornée de dentelle, ne laissait pas deviner sa grossesse, et souriait comme si elle vivait un rêve. Son compagnon, quant à lui, avait les cheveux huilés, impeccablement peignés et la barbe coupée du jour. Il arborait un smoking du plus bel effet, soulignant sa carrure massive et ses longues jambes.
Abad et Malika surveillaient silencieusement le défilé familial, depuis les marches de l’escalier menant à la salle des mariages. Le jeune homme ne cessait de recevoir des compliments des membres de sa famille pour sa tenue de haut standing qui semblait taillée pour lui.
Lorsque Sakina et Mounir s’approchèrent de l’escalier, Abad éprouva un violent haut-le-cœur. Malika empoigna aussitôt sa main :
— Il faut que tu relativises la situation, lui murmura-t-elle à l’oreille, sinon on court au désastre. Demain, ce mariage sera terminé et tu n’auras plus à le voir.
Malika officiait à merveille dans le rôle de la dulcinée attentive à son fiancé. Pour l’assemblée, qui les voyait si complices, il ne faisait aucun doute que Malika et Abad formaient un couple parfait. Elle ne démentit pas la rumeur. Et même si de nombreux jeunes hommes présents, tous très beaux, auraient pu la contenter, elle ne leur montra aucun intérêt.
Discret au point d’en paraître absent, Abad fouillait secrètement la cohorte d’invités, à la recherche de Gibran qu’il brûlait d’impatience de retrouver. Pour lui, c’était le seul événement intéressant de la journée. Il en était sans nouvelle directe depuis bientôt deux ans et il redoutait le moment où il allait le voir avec le trac d’un soir de première, telle une épreuve de vérité.
Jusqu’à l’adolescence, les deux cousins avaient passé tous les étés ensemble dans la maison de leurs grands-parents, connaissant une franche complicité et une innocente complémentarité proche de celle d’une fratrie. Malheureusement, après quelques malentendus et un été passé loin l’un de l’autre, il fut dit qu’Abad considérait les Algériens du bled comme des péquenauds et Gibran répondit qu’il n’avait pas besoin de lui et qu’Abad était mieux à cirer les pompes des colons.
Après la signature du registre par les mariés et les vœux du maire, tout le monde se retrouva dans le parc d’un petit château, non loin de Joinville-le-Pont.
Un photographe accompagna la famille et les proches à proximité d’une jolie fontaine afin d’immortaliser ce grand jour.
Abad fit bonne figure, pendant presque toute la séance, mais lorsque Mounir vint l’attraper par le bras afin que le photographe réunisse les hommes de la famille, il courut se cacher derrière le tronc d’un arbre pour y vomir.
— Quelle petite nature ! lança le jeune marié, vexé d’être ainsi repoussé.
Abad lui lança un regard assassin et contourna le photographe d’un pas excédé, sous les yeux dépités de ses parents.
Fadil courut pour le rejoindre :
— Bravo, tu as tenu au moins trente minutes, le félicita-t-il ironiquement. Tu sais où sont les toilettes ?
— Dans le bâtiment principal, derrière les vestiaires, lui répondit-il. Je t’accompagne, j’en ai plein les chaussures. Finalement, ton frère ne vient pas ?
— Il a dit qu’il ne se présenterait que pour le repas, répondit Fadil, en fouillant dans ses poches, l’air soucieux. Ils me préparent un micmac, avec mon père. Je ne comprends pas trop où ils veulent en venir, mais Gibran va dormir chez moi pendant tout son séjour. J’ai l’impression qu’ils espèrent m’espionner.
Arrivé à destination, Abad utilisa du papier toilette pour nettoyer ses chaussures souillées.
— J’ai une haleine de poisson pourri, tu n’aurais pas un chewing-gum ?
— Non, mais j’ai de quoi transformer cette soirée en rêve !
Fadil sortit de la poche de sa veste, une carte de crédit et un sachet de poudre blanche, avant de dessiner sur un petit miroir un rail de coke :
— Tu en veux, frère ? C’est ma tournée !
Abad écarquilla les yeux de stupéfaction.
— Oh ! Mais tu es sérieux, là ?
— Allons, arrête de jouer le rabat-joie, depuis tout à l’heure. C’est de la super bonne. Tu maries quand même ta frangine, aujourd’hui ! Il faut marquer le coup !
Abad haussa les épaules, termina d’astiquer ses chaussures et regagna seul la salle de banquet où des serveuses distribuaient du thé ou des boissons fraîches sans alcool aux nombreux invités.
Malika se précipita derrière lui pour l’enlacer :
— Ça va, mon beau fiancé ? Je ne te fais pas trop honte ? questionna-t-elle, avant de l’embrasser dans le cou.
— Au contraire, tu es tellement dans ton rôle que toute la famille va finir par vouloir nous marier, lui rétorqua-t-il en se retournant pour l’étreindre à son tour. Mais si tu me considères comme ton frère, notre relation ne serait-elle pas un peu contre nature ?
Malika éclata d’un rire charmant, attirant vers ce faux couple les regards jugeurs de la centaine d’invités qui se demandait qui avait enfin pu décoincer le bel Abad.
— Il y a un « point selfies », reprit-elle. Il faut se photographier avec un polaroid pour que les mariés gardent un souvenir de tous ceux qui étaient présents le jour de leur mariage.
Abad accepta et ils attrapèrent un cadre doré ancien avant de se prendre en photo à de multiples reprises en effectuant des grimaces et en éclatant de rire.
Les mariés apparurent quelques instants plus tard, face à une haie d’honneur et de nouveaux applaudissements.
Des mignardises algériennes furent servies sur des plateaux d’argent, avec du Champomy, tandis que des musiques traditionnelles étaient jouées sur la sono.
Après ce long apéritif, la famille et les proches se rassemblèrent dans une autre salle, où des tables rondes ornées de rubans dorés et de fleurs les accueillirent face à une petite scène.
Abad et Malika furent placés avec des jeunes du bled, dont deux adolescents qui passèrent le plus clair de leur temps à jouer sur leur smartphone.
En voyant l’heure avancer, Abad considéra avec déception que Gibran ne viendrait plus et il en éprouva une sorte de soulagement.
Lui qui était son confident, son exemple et même son protecteur, était devenu, au passage à l’âge adulte, une faiblesse, une menace, un souvenir qu’on préfère oublier.
Les entrées furent bientôt servies, des cailles farcies aux raisins qui laissèrent Abad perplexe :
— Qu’est-ce que tu as ? questionna Malika. Tu n’aimes pas ?
Il scruta son assiette avec le sentiment étrange de voir un petit animal à peine mort au milieu d’une savante présentation.
— Non, c’est juste que…
Il leva les yeux et croisa subitement le regard de Gibran qui l’observait durement depuis l’extrémité de la pièce d’un œil fixe et perçant, immobile.
L’instant tant redouté venait de se produire et il ne s’y attendait pas. Comme toujours, sa simple vue suffit à anéantir toutes les préparations psychologiques auxquelles il s’était inconsciemment soustrait. Gibran survolait dix catégories au-dessus de tous les invités réunis. Ses cheveux noirs bouclés mi-longs et brillants encadraient un visage fin et harmonieux, avec un nez légèrement retroussé, des lèvres sensuelles et un regard noir, respirant l’intelligence, qui semblait lire au plus profond des êtres.
Abad sentit une bouffée de chaleur le submerger, avant qu’une brutale nausée s’empare de lui. Il se leva, presque chancelant, une main devant lui. La salle de bal tournoya autour de lui, comme si elle était devenue un manège fou :
— Qu’est-ce qui t’arrive ? s’inquiéta Malika, dont le visage flou était méconnaissable. Tu n’es pas bien ?
— Je… Je reviens tout de suite… Ce n’est rien… Continuez sans moi…
Blafard, le jeune homme traversa la salle, comme une flèche, titubant, oubliant les usages, les invités, Gibran et le reste, se dirigeant sauvagement vers les toilettes pour y vomir à nouveau.
Mais cette fois, il se mit à grelotter et à transpirer abondamment.
Brusquement courbaturé, il parvint à se relever pour se rendre jusqu’aux lavabos et rincer abondamment sa bouche. Mais au lieu de retourner dans la salle de réception, il décida d’aller prendre l’air, dans le parc, afin de se remettre de ses émotions.
Il faisait encore bon, en cette nuit printanière étoilée qui présageait une journée ensoleillée, le lendemain.
Abad s’adossa contre la façade du petit château en pierre, soupirant profondément, avec le sentiment d’avoir échappé au pire.
Un nuage de fumée parfumée à la cerise traversa le paysage et il se tourna vers la gauche pour découvrir que Gibran vapotait non loin de lui, sans un bruit.
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Chaque soir, Balthazar s’arrêtait chez sa mère, un brin aigrie et cynique. Elle vivait seule depuis trop longtemps dans une jolie maison de pêcheur multicolore, avec un petit jardin donnant directement sur la mer, dans le vieux village. Ulysse, son vieux chat de gouttière trônait dans la demeure, tel un prince acariâtre, crachant et griffant tout le monde, au gré de ses humeurs. Il exigeait un filet de poisson quotidien et seule sa maîtresse pouvait le caresser.
— Ça va, Maman ? Louise t’a apporté des oursins et j’ai acheté tes magazines.
— Je n’en veux pas, lâcha-t-elle sèchement. Et je te défends de les donner à Ulysse ! L’évier de la cuisine est encore bouché, se plaignit-elle pour la centième fois.
— C’est parce que tu ne vides pas correctement ton assiette dans la poubelle avant de la laver.
— Bien sûr que si ! répondit-elle en s’approchant, traînant les pieds dans ses patinettes comme si elle effectuait du ski de fond.
Alors qu’il dévissait le siphon de l’évier, Ulysse s’approcha de Balthazar, avec son air supérieur, conscient qu’il avait une meilleure place auprès de sa maîtresse que lui.
Des haricots verts, des petits morceaux de papier, et un bout d’os de poulet tombèrent dans la bassine que Balthazar jeta aux toilettes, sans faire de commentaires.
— Tu ne restes pas manger ? demanda la mère, sur un ton de reproche, tout en attrapant un magazine de ragots mondains.
— Non, je n’ai pas très faim, Maman.
— C’est Louise qui t’a encore coupé l’appétit, en te racontant ses histoires de fesses avec tous ses amants. Tu peux reprendre ses oursins. Je n’ai vraiment pas envie de me retrouver aux urgences avec une maladie vénérienne.
— Tu exagères. Louise est une fille généreuse, réfléchie et attentive, même dans les coups durs. Elle pense toujours à toi. Ses oursins ont été péchés ce matin. Elle sert aujourd’hui les mêmes aux clients de son restaurant.
La mère leva les yeux de son magazine, comme pour lui signifier que cela ne la rassurait pas. Elle changea de sujet :
— Tu as vendu quelque chose ?
— Non toujours rien.
— Il faut peut-être penser à changer de voie, avant de boire le bouillon, mon petit. Tout le monde n’est pas fait pour le commerce. Et dire que tu voulais transformer l’annexe de ta galerie en salle de spectacles. Tu as enfin payé ton URSSAF ?
Honteux, Balthazar évita son regard et s’approcha d’Ulysse pour se donner une contenance, mais ce dernier cracha devant sa main avant de se tourner pour lui exposer son gros postérieur.
— Va chercher le carnet de chèques dans le petit bureau à côté de la télévision, lui dit sa mère. Ça ne me dérange pas de payer tes charges, c’est juste ton héritage qui part en fumée en entretenant les feignasses de fonctionnaires. Moi, l’argent, tu sais…
Le fils se sentit misérable de se rabattre sur le trésor de guerre de sa mère. Mais avait-il d’autre choix ?
Sa mère lui signa un chèque en blanc.
— Inscris le montant nécessaire pour te remettre à flot et pose-le sur ton compte, dit-elle après avoir signé le document d’un geste désinvolte. Tu sais bien que ton père avait fait le nécessaire… Et puis je n’aime pas te voir ainsi. Tu es comme moi, tu n’as jamais su être pauvre.
Le fils plia soigneusement le gage de sa liberté retrouvée et le rangea méticuleusement dans son portefeuille. Puis il embrassa le front de sa bienfaitrice et repartit chez lui à pied en profitant du léger vent du soir qui rafraîchissait l’atmosphère en faisant glisser nonchalamment les nuages bas et nombreux.
Balthazar habitait dans un petit pavillon construit sur le toit d’un immeuble offrant une vue imprenable sur la mer. Il disposait d’une grande terrasse avec de très nombreuses plantes, fleurs, arbustes et même un olivier qui trônait au coin, tel un trophée érigé vers le ciel. Pour couronner le tout, aucun vis-à-vis ne nuisait à son intimité.
Souvent le soir, il prenait une douche, avant de lire nu, sur une chaise longue, à l’abri des regards, loin du tumulte de la ville, entouré de ses innombrables plantations où chantaient les cigales.
Il cherchait justement un peu de littérature pour accaparer ses pensées dans ses piles d’ouvrages. Il venait de terminer « Les Amours contre nature », car il ne vivait plus ses histoires d’amour qu’à travers les livres. Et c’est à ce moment qu’il tomba sur un vieil album de photos, sur la couverture de laquelle figurait Marcus, torse nu, posant avec son sourire ravageur qui charmait toujours son entourage.
Il en tourna aussitôt les pages avec une nostalgie et une tristesse qui l’accompagnaient depuis trop longtemps.
Son ex était un bel homme brun au teint mat, avec un corps musclé et velu. Il avait longtemps travaillé comme steward pour Air France. Ses déplacements incessants avaient eu raison de sa fidélité. Après de larmoyants regrets suivis d’excuses sincères, le Don Juan avait recommencé quelque temps plus tard. Puis ses écarts exceptionnels s’étaient transformés en vie cachée, pour finir en raison de vivre. C’est au cours de ces soirées festives, à tenter de tromper sa solitude, qu’il avait goûté aux plaisirs dangereux des paradis artificiels qui transforment tout en poudre, ou en poussière. C’est cette seconde option qui avait achevé prématurément son destin si prometteur.
En rentrant d’un week-end parisien, Balthazar avait retrouvé le corps froid de son amant étendu sur une descente de lit, à la fois désemparé, choqué et traumatisé, par toutes ces révélations successives. Les tromperies, les drogues, la mort, l’abandon, l’absence, le deuil interminable.
Pendant quelques semaines, Balthazar n’avait survécu que grâce à des antidépresseurs qui l’empêchaient de ressentir le moindre sentiment.
Sa vie à lui était devenue d’une platitude magistrale. Mais il valait mieux supporter l’ennui que de tenter d’affronter l’impensable vérité qui le rendait responsable de cette tragédie.
Balthazar referma l’album d’un claquement sec et le rangea avec la sensation que cette torture mentale n’avait que trop duré.
Nu, avec son verre de vin à la main, il traversa le salon, puis la terrasse pour s’accouder à la rambarde entourant la propriété.
Il contempla songeusement la nuit au ciel monochrome en écoutant chanter les cigales. Au loin, des nuages s’écartèrent soudain au-dessus de la mer pour laisser la pleine lune irradier les vagues, comme pour lui promettre un nouvel espoir.
Le moment était peut-être venu de laisser ce passé si lourd derrière lui et d’essayer d’apprendre à découvrir une nouvelle façon de vivre.
Balthazar ignorait sans doute que le destin aime s’amuser avec les habitudes des gens tranquilles, qui se plaisent à accepter leur sort. Il allait bientôt se retrouver sur le devant de la scène et défrayer la chronique, de la façon la plus inattendue.
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Au-delà de la terrasse, bien au-dessus de la mer, un éclair de chaleur illumina brusquement la nuit moite, comme un avant-goût de l’orage tant attendu. Les visages des six adultes semblèrent subrepticement s’arracher à l’obscurité pour devenir blafards, avant que chacun reprenne ses murmures pour s’indigner des prix de l’immobilier qui s’enflammaient à La-Forge-sur-Mer.
Pendant tout le repas, Balthazar observa discrètement Clément qui effectuait docilement le service. Bientôt sa silhouette juvénile, à la fois souple et preste, se détacha de l’attablée pour débarrasser les couverts et les assiettes à dessert.
Il disparut dans le salon à pas feutrés, les bras encombrés, derrière la grande baie vitrée.
Balthazar se tourna vers la mer au moment où il reçut une grosse goutte de pluie qui présageait l’arrivée prochaine de l’orage. Mais personne, autour de la table, ne bougea d’un pouce.
L’homme blond commençait à s’impatienter lorsque Clément réapparut, portant un large plateau avec trois grosses bougies, le service à café, et une assiette contenant des biscuits chocolatés.
Avec ces chandelles l’éclairant sous le menton, il aurait pu paraître effrayant, voire fantomatique. Mais non, Clément semblait toujours aussi jovial, ses grands yeux de loup des neiges pétillaient de vie. Bien que ne prononçant aucun mot, il semblait savourer l’atmosphère amicale et intime qui émanait de cette soirée tranquille avec les amis de Gabriel, dont le plus jeune devait avoir au moins le double de son âge.
Après avoir servi les invités, Clément s’éclipsa de nouveau, sous le regard intrigué de Balthazar pour qui il était devenu la seule distraction intéressante de cette réception où les adultes l’ennuyaient.
— Il aime rendre service, lui expliqua Gabriel, en devinant l’intérêt de son invité pour son protégé. Il s’imagine qu’il a besoin de payer son droit de vivre chez moi, alors que je ne lui ai jamais rien demandé. J’ai renoncé à le convaincre du contraire.
— Ce… ce n’est pas votre fils ? questionna Balthazar, stupéfait par cette révélation.
— Non. Mon ex-femme n’en voulait pas, à mon grand regret. Mais après notre divorce, je me suis bien rattrapé. Nous avons une relation très particulière, presque fusionnelle, reprit Gabriel, un brin crâneur, en allumant une cigarette. La seule chose que je crains avec lui, c’est qu’il mette une fille enceinte. Clément est très demandeur, sur le plan affectif. Vous savez, la maman de Clément est morte d’un accident de voiture. Son père a succombé d’un cancer du sang, quelques mois plus tard. Provoqué par le chagrin, sans doute… Il s’est retrouvé orphelin, il y a deux ans. Sur son lit de mort, son père m’a fait jurer de m’occuper de lui jusqu’à sa majorité. Alors, j’ai demandé à Clément s’il voulait que je devienne son tuteur. Cela s’est fait naturellement…
— Et comment ça se passe pour ses études et la vie quotidienne ? Ce n’est pas trop difficile ?
— Clément n’est pas un garçon compliqué, vous savez. Il ne cherche pas le conflit. Je crois qu’il est conscient que je ne souhaite que l’aider. Alors il veut juste me simplifier la tâche.
Louise s’immisça subitement dans la conversation, tout en tenant dans sa main celle de Gabriel.
— Les enfants ne sont pas en sucre, non plus, essaya-t-elle de nuancer. À seize ans, moi, je travaillais déjà. Je me levais dès l’aube pour aller acheter le poisson au port et l’apporter sur les stands de mes parents, quelle que soit la saison. Ce n’était pas facile pour moi qui étais si jolie, fragile et naïve. Les pêcheurs ne tarissaient pas d’éloge à mon égard. Les filles de la ville enviaient déjà ma souplesse et mes aptitudes de gymnaste. J’étais encore innocente, mais je devais apprendre à me protéger de tous ces beaux jeunes hommes qui ne rêvaient que de me serrer dans leurs bras virils.
Balthazar se leva brusquement pour rentrer dans la maison, à la recherche des toilettes.
Il se trompa de porte et pénétra dans la cuisine où Clément lavait la vaisselle sous une lumière tamisée. Sarah Vaughan miaulait « Summertime » sur une petite enceinte connectée, donnant une note mélancolique à la scène :
— Eh ! Bien dis donc, Gabriel doit être content de t’avoir sous la main, commença Balthazar pour l’aborder. Si j’ai bien remarqué, c’est toi qui t’occupes de tout, ce soir.
Surpris, le jeune homme sursauta et lâcha dans l’eau le verre à vin qu’il frottait pour se retourner, dévoilant son charmant sourire.
— Oh ? Balthazar ! Ça va ? Tu passes une bonne soirée ?
Clément possédait des cheveux noirs raides qui retombaient en une longue mèche sur son visage, couvrant régulièrement ses grands yeux gris bleutés.
Il émanait de sa personne une certaine nostalgie teintée d’amertume, comme si, en dépit de son jeune âge, il en avait déjà trop vu et trop supporté.
— Je n’aime pas rester à ne rien faire, poursuivit-il, doucement. Et puis je suis content que Gabriel reçoive un peu. Il passe sa vie dans son cabinet de kiné et ne s’octroie pas beaucoup de temps. Je trouve qu’il ne sort pas assez, à part pour faire de la plongée. Il n’est pas si vieux que ça et…
Il s’arrêta subitement de parler, comme s’il regrettait ses paroles.
— Il n’est pas si vieux et… ? insista Balthazar.
— Non, rien… je suis trop bavard, excuse-moi, dit-il en baissant les yeux. Je sais que je ne suis pas très intéressant…
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Fraîchement douché, Abad longeait maintenant un trottoir du septième arrondissement de Paris, vêtu de son survêtement de sport et d’un sweater dont la capuche dissimulait sa chevelure lisse et noire. Il tenait dans sa main une grosse boîte à chapeau et un sac Adidas qui paraissait presque vide. En arrivant à l’angle de la rue, il pressa le pas pour parcourir les deux cents mètres qui le séparaient de la demeure d’Yves Lhuillier, un haut fonctionnaire qui se plaisait à rappeler qu’il possédait des informations sur le Tout-Paris et qu’il pouvait aisément en tirer parti. Prétentieux, mais généreux, il devenait insatiable lorsqu’il s’agissait de s’occuper de lui.
Alors qu’Abad allait atteindre son but, la sonnerie de son portable retentit. C’était Fadil :
— Écoute, mon frère vient d’appeler, lâcha-t-il d’un ton sinistre, comme s’il annonçait une mauvaise nouvelle.
Il marqua une pause, espérant une réaction de la part d’Abad qui demeura silencieux.
— Gibran est un peu inquiet. Je lui ai expliqué que tu étais à cran, en raison du mariage de ta sœur. Il sait que tu ne peux déjà pas supporter Mounir, alors il ne veut pas envenimer la situation. Gibran propose de se faire porter malade à la dernière minute, afin de ne pas créer d’histoire. Qu’en penses-tu ?
La simple évocation du prénom de « Gibran » fit brusquement remonter en Abad une mêlée de souvenirs confus et il se sentit soudain fébrile, au point d’interrompre sa marche.
— Allô ? insista Fadil. Toujours là, frère ?
— Non, excuse-moi. C’est juste que je… Je suis touché. Je pensais que pour lui, j’étais devenu un… enfin…
— Je sais que vous avez quelques différends, mais ce n’est pas un mauvais gars. C’est juste dommage que vous soyez fâchés. Tu devras t’en tenir également à distance pour ne pas envenimer les choses. D’accord ? S’il te parle, tu assures le service minimum…
— Si ça continue, c’est moi qui vais tomber malade, plaisanta Abad, en réalisant que l’évènement menaçait de lui coûter nerveusement beaucoup plus cher que prévu. Il peut venir tranquille. Je ne suis pas aussi à cran que tu l’imagines. Ça fait un an et neuf mois qu’on ne s’est plus vus, je peux continuer d’ignorer Gibran le temps d’un mariage avec un connard.
Un nouveau silence s’installa :
— Tant mieux, parce que tu dois savoir que Gibran ne vient pas juste pour le week-end. Il veut terminer son doctorat en littérature arabe et il va rester sur Paris plusieurs semaines…
Abad encaissa cette autre nouvelle, encore plus affolante. Gibran et lui allaient vivre dans la même ville.
— Il sera avec… avec sa copine ?
— De qui parles-tu ? s’étonna Fadil.
— La fille super belle en maillot avec qui il était au bord de la piscine, à Alger ? Je les ai vus s’embrasser sur son Instagram.
Le cousin éclata de rire :
— Ah ? Parce que tu mates son Insta ?
— Mais non, c’est passé sur mon fil, se justifia le plus jeune, d’une voix hésitante. Yasmina, je crois. Et…
— C’est bon, frère, je te taquine. Gibran est trop beau pour une seule gonzesse, tu comprends ? Il les fait défiler deux par deux dans son pieu. Si l’une n’est pas contente, elle dégage et il la remplace d’un claquement de doigts par une autre et…
Abad éloigna le combiné de son oreille, comme si écouter ces détails intimes à propos de son autre cousin l’écœurait et menaçait de détruire définitivement sa libido déjà dévastée.
Au même instant, il reçut une notification de la part d’Yves Lhuillier :
« Tu viens ou pas ? Je te préviens, si tu es en retard, je baisse tes émoluments. ».
— Écoute frère, j’ai un rendez-vous. Dis juste à Gibran que je serai content de le revoir et que… Ou qu’il faut faire table rase du passé et… heu… Non. Ne lui dis rien… Qu’il fasse comme il veut…
Abad raccrocha, sentant une boule d’amertume gonfler dans sa gorge à mesure qu’il s’approchait de la porte de la demeure luxueuse.
Il sonna quatre coups et courut dans la cage d’escalier avant d’ouvrir sa boîte à chapeau pour en extraire son magnifique masque d’Anubis et l’enfiler soigneusement.
Comme les fois précédentes, la porte de l’appartement n’était pas verrouillée et il se glissa à l’intérieur sans faire de bruit, tel un voleur aguerri.
Mais l’idée de revoir Gibran modifiait brusquement sa perception du cadre dans lequel il s’amusait à tromper son monde.
Abad avait toujours considéré Gibran comme une sorte de modèle, un mentor ou un protecteur. Il l’avait sauvé un jour de la situation la plus horrible qui soit et son aîné avait ainsi définitivement acquis son plus profond respect. Les enfants font parfois des promesses qu’ils tiennent tout au long de leur vie d’homme et Abad était de ceux-là. Dans l’ombre et le silence, il vouait secrètement une sincère admiration pour son cousin dont les bonheurs le réjouissaient, plus qu’ils ne le rendaient jaloux.
Abad fut rappelé à la réalité par une odeur de vieux meubles, de livres, de cire, et de parfum d’un autre âge.
Plongés dans l’obscurité et dans un silence morbide, les lieux pouvaient susciter l’inquiétude, ou la peur, en fonction de l’heure et de la lumière. En effet, à plusieurs endroits, des bustes de marbre trônaient sur des colonnes et dans la pénombre, on pouvait aisément les confondre avec d’éventuels agresseurs parés à s’animer à tout moment.
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