Ashley Poston

Ses joues sont parsemées de discrète taches de rousseur. Je les avais déjà remarquées mais, maintenant, j’ai envie de les relier entre elles comme des constellations.

Je sors à pas lents de la loge, dont je referme la porte derrière moi sans bruit. J'effleure, sur mes lèvres, la plaie que les dents de la Ventouse ont laissée. Mark a peut-être raison. Peut-être ai-je vraiment besoin d'un agent capable de tenir les fans à distance et de jouer les gros bras au cas où...
Aussitôt, j'essaie de me raisonner :
- Non, arrête. Tu fais confiance aux autres. Tu aimes tes fans. Tu es sympa, drôle et cool. Rappelle-toi, tu es Jennifer Lawrence.

Le béguin, le coup de foudre, la passion, l'amour ... Les livres m'ont initiée à tous ces états. J'ai toujours pensé que je craquerais pour ces cils, son regard myosotis ou la douceur de sa peau diaphane, pour le halo formé par ses cheveux dorés, mais ...
Les romans se trompent.
Tout est question d'espace. L'air se fait plus dense, il se charge d'électricité à mesure que Vance se rapproche. Il cale une mèche de cheveux derrière mon oreille, caresse au passage ma joue du bout des doigts. Je suffoque. Ma peau se met à fourmiller. Dans les histoires que j'ai lues, on insiste toujours sur les détails physiques - bouffées de chaleur, tache de rousseur sur la pommette gauche, sourcils froncés au moment où l'être aimé se penche timidement -, mais jamais on n'évoque cette douce sensation d'exister, cette évidence qui s'installe en vous, tout simplement.
Se sentir en sécurité. N'avoir rien à prouver. Ne pas être obligée de rentrer dans le moule. Ne plus être la jeune orpheline ou la fille dont le père est "super sexy", ni l'hypothétique cavalière du garçon le plus populaire du lycée au bal de la rentrée.

Viser les étoiles. Ajuster la cible. Mise à feu !

Mais la passion que je voue à ces ouvrages va plus loin encore. J'aime leur odeur. J'aime les voir alignés sur une étagère. J'aime le frottement du papier sous mes doigts. J'aime les grands formats et les livres de poche. J'aime les mots, leur agencement dans une phrase, et surtout, j'aime les histoires.
J'aime que les livres soient des portes ouvertes sur d'autres mondes, des univers où je n'ai jamais mis les pieds, peuplés de personnages que je ne serais jamais, mais à travers qui je vis mille autres vies que la mienne, sur mille autres planètes étrangères à la mienne. Grâce à eux, je me transforme en princesse, en puissant monarque à la lame intrépide ou en criminelle. Je peux susciter l'admiration, me battre contre le mal, vaincre le Seigneur des Ténèbres, détruire l'Anneau unique et rassembler une Fédération sur le point de sombrer.

— Dix minutes, chef, me prévient Lonny, alias Mon Pire Cauchemar, en glissant la tête par la porte entrebâillée.
— Ah parce que tu donnes l'heure, aussi ?
— Je fais ce pour quoi on me paie.
— Je peux te payer pour disparaître alors ?

Parce que tu as raison : tu n'es pas Carmindor. mais Amara. Et tu sais pourquoi ? Parce que tu as hérité d'une intrigue secondaire toute pourrie et que, pourtant, tu as réussi à y survivre.

Sauf que - surprise ! - ma place est prise. Garrett Taylor, affalé sur la chaise, s'est même permis de poser les pieds sur ma table. Dès qu'il me voit, il se remet d'aplomb. Souriant derrière sa sucette, il me désigne un gobelet 𝑆𝑡𝑎𝑟𝑏𝑢𝑐𝑘𝑠.
- Rosie ! Content de te revoir. Je t'ai pris un café au lait avec deux sucres. J'ai bon ?
- Je ne bois que du café noir ...
- Aussi noir que ton âme ! Comme c'est poétique.

Alors il ne faut pas que je fasse de brut, afin d’éviter que l’univers repaire cette minuscule bulle de bonheur et ne la fasse éclater.

Peut-être tout finit-il par mourir, en effet - mais peut-être que, d'une certaine manière, tout ce qui meurt ressuscite aussi un jour.