Texte de lancement de Parlons Psy à Lille, le 2 octobre 2018 par Stéphane Cognon
Bonjour,
Afin de faire connaissance, je vais me présenter brièvement.
Voici les faits :
Après une scolarité compliquée, plusieurs redoublements et une orientation non choisie en seconde, je me préparais péniblement, à l’âge de 20 ans, à passer mon bac.
Je me remettais d’une rupture sentimentale, je fumais régulièrement du cannabis et je ne me sentais à ma place nulle part. J’étais à peine entrer en classe, que je pensais à en ressortir.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai commencé à m’isoler de plus en plus, à me sentir angoissé, à entendre des voix et à croire que l’on pouvait lire dans mes pensées.
Cela devenait de plus en plus préoccupant et mes proches semblaient désarmés. Notre médecin de famille, conseilla à mes parents de m’emmener voir un psy. Mais c’était déjà un peu tard.
Un premier coup de pouce du destin arriva lorsque ma sœur étudiante en médecine assista à une conférence d’une psychiatre sur la schizophrénie.
Elle revint au domicile familial et conseilla à mes parents de m’emmener dans le service de cette psychiatre qui était chef de service d’un hôpital de l’assistance public en région parisienne.
Arrivé sur place, les médecins que je vis proposèrent à mes parents de me garder.
Je restais hospitalisé 3 mois, de juin à début septembre.
Après cet épisode, comme j’étais convenablement remis, pour la rentrée des classes, mes parents m’avaient trouvé une place en terminale dans un lycée privé.
Je prenais un traitement que je supportais plutôt correctement et je voyais ma psy régulièrement.
Cette année fut une année ou je retrouvais mes esprits et ou je repassais mon bac avec succès cette fois.
Après mon bac je commençais une école de photo. Cette formation me plaisait, mais j’avais du mal à être assidu, indépendamment de la pathologie dont je ne ressentais plus les affres.
J’ai quitté cette école et j’ai cherché du travail, sans succès.
Mon père, chef d’entreprise dans le BTP, me voyant végéter, me proposa d’aller me former sur les chantiers.
Pour moi, qui n’avait aucune idée de ce qui m’attendait, ce fut une révélation. J’étais enfin utile à quelque chose et on avait besoin de moi sur le site. Il fallait de la rigueur, c’était physique, mais cela m’évitait de gamberger et cela me convenait. J’étais tellement bien, reconstruit, stable, que je décidais d’arrêter mon traitement et de ne plus voir ma psy.
Au bout d’une année à ce rythme, j’eu de nouveau des symptômes de la maladie, de manière assez fulgurante. Après une errance, je rentrais péniblement chez moi. Je décidais d’aller revoir ma psy. Elle me donna un nouveau traitement, le même que je prends depuis 25 ans, et qui me stabilisa après quelques semaines.
Après cet épisode, je n’ai plus arrêté mon traitement, ma psy est partie à la retraite cette année, je n’ai pas arrêté de la voir pendant tout ce temps.
Mon père a vendu son entreprise. Je suis resté dans le groupe qui l’a acquis dans lequel j’ai occupé plusieurs postes en saisissant les opportunités.
J’ai 50 ans, une femme et 3 enfants (3 garçons).
Aujourd’hui, lorsqu’en fin de journée je suis fatigué, je ne mets pas ça sur le compte des médicaments, je sais que mes activités et mon rôle de papa n’y sont pas pour rien.
Il y a 2 ans, j’ai écrit un petit livre sur mon histoire. Je l’ai écrit avec distance, recul et humour.
Ce n’était pas un besoin personnel de me livrer, pour ça j’avais le cabinet de la psy, mais plutôt un désir d’écrire et en plus, ça tombait bien, j’avais le sujet.
Ce petit livre a changé beaucoup de choses pour moi.
Pour les personnes qui ne m’ont pas connu à l’époque, cela a servi de coming out ou de schizo out, comme on voudra.
Lorsque je présente mon livre autour de moi, je n’ai que de bons retours. Souvent, les personnes me disent qu’elles connaissent quelqu’un, dans leur famille ou parmi leur entourage qui a un problème psychique, elles me disent qu’elles trouvent ma démarche courageuse. J’ai parfois eu des remarques du style « ah, je me disais bien qu’il y avait quelque chose ». Mais rien de stygmatisant, c’était toujours bienveillant.
Je vais vous donner l’exemple de mon patron à qui son assistante avait fait passer le livre à ma demande. Je savais qu’il l’avait lu, je ne savais pas ce qu’il connaissait de mon histoire. J’ai attendu un peu, puis j’ai été le voir dans son bureau. Je vais vous retranscrire l’entrevue.
« C’est très bien Stéphane, je ne connaissais pas ton histoire, ton livre est agréable à lire, tu expliques bien ton propos et puis c’est pas donné à tout le monde d’écrire un livre !
J’étais plutôt fier, je balbutiais quelque chose qui ressemblait à de la fausse modestie « ah bon, tu crois oh tu sais, cela m’est venu rapidement, c’était ce qu’il me passait par la tête… »
Et là, il me coupa et me fit remarquer que de mon côté j’étais incapable de faire son travail, histoire de rappeler qui était le patron.
Nous avons devisé, de manière très informelle et pour finir, il me fit une remarque sur le fait que si la parole était plus libérée sur les maladies psychiques et si les personnes pouvaient en parler sans craindre le jugement des autres, alors peut-être que la consommation d’anti dépresseurs baisserait.
J’étais soulagé après notre échange.
Nous ne sommes pas égaux face à la maladie. Beaucoup de facteurs rentrent en jeu.
Mon parcours de rétablissement est peut-être moins fréquent, mais il existe.
J’ai eu de la chance, j’ai été bien entouré, bien aidé, mais cela aurait pu être complétement différent, j’en suis conscient.
Il n’y a pas de recette.
J’ai vu, il y a peu de temps, un commentaire à propos d’une vidéo ou j’étais interviewé, une personne demandait en commentaire qu’elle était mon traitement. Cela m’a fait penser à la scène dans le film « Quand Harry rencontre Sally » lorsque Sally simule un orgasme au restaurant et qu’une cliente attablée à côté demande à avoir le même plat, en espérant avoir les mêmes effets.
Il n’y a pas de recettes et je me garderais bien de dispenser des conseils.
Mais puisque nous sommes rassemblés ici pour faire avancer le sujet sur la santé mentale, je voudrais soulever des questionnements venant de ma propre expérience. Ce n’est pas que je sois egocentrique mais c’est le sujet que je maîtrise le mieux.
Peu de temps après mon internement, ma psy nous recevait mes parents et moi, pour faire le point. Je me souviens qu’entre autres choses, elle nous déclara que je n’aurais pas besoin de psychanalyse. La seule psychothérapie suffirait. Cela m’a marqué et j’ai souvent pensé aux personnes et/ou familles mal orientés après des symptômes d’un maladie psychique vers un psychanalyste mal formé lui aussi ou mal intentionné et qui leur fera perdre du temps. Ce temps précieux, on le sait au début de la maladie, qui est à l’origine des retards de diagnostiques.
La schizophrénie se soigne avec un traitement adapté, une psychothérapie, une hospitalisation si nécessaire. La famille n’y est pour rien, elle est le plus souvent désemparée et a besoin d’aide et d’outils pour soutenir le malade.
Je pense que lorsque l’on tombe dans cette pathologie, on peut en vouloir à la terre entière, mais à personne en particulier.
Un discours sain et rempli de bon sens, fait plus de bien qu’une psychanalyse.
Nous ne savons pas avec certitude ce qui marche, mais nous pouvons peut-être dire ce qui ne marche pas, non ?
Au niveau du terme, Schizophrénie. J’en vois qui s’offusque de son emploi galvaudé dans la presse ou par les politiques.
Nous savons, nous que ce n’est pas un symptôme de double personnalité, mais le terme de par son absence d’explication et de représentation dans les médias a pris une autre signification. Le terme est comme celui de la folie, utilisé à tort et à travers, la représentation qu’en a fait l’univers cinématographique, n’a pas aidé non plus. La nature a horreur du vide donc elle a donné à la schizophrénie une définition qui est devenu populaire.
C’est donc à nous de faire connaitre les maladies psychiques, de les représenter, de dire que l’on peut vivre avec, se rétablir, lutter contre.
Bien sûr, le parcours est plus compliqué, plus chaotique, semé d’embuche.
Mais peut-être qu’un jour on pourra proposer comme cela a été proposé pour une maladie chronique comme le cancer, un label « Je suis rétabli d’une maladie psychique » ou « je vis avec une maladie psychique » qui prouvera à un employeur notre capacité à être engagé pour le poste, car après ce que l’on a enduré, ou ce que l’on endure, on est plus fort désormais et on sait faire face à certaines situations.
J’ai vu la même psy pendant 30 ans et avec le recul, je me dis qu’elle était précurseur. A elle seule, elle m’a fait prendre conscience que c’était à moi de prendre en main ma pathologie, on parle aujourd’hui d’empowerment et d’Education Thérapeutique du patient, elle a su donner des pistes à me parents pour qu’ils puissent me soutenir et m’aiguiller, on a des programmes pour les familles, le lien que l’on a tissé elle et moi, au fur et à mesure du temps m’a rendu coopérant avec le monde médical, je connais leur code et cela m’a facilité les choses lorsque j’ai eu besoin de soins, en gardant à l’esprit que les médecins restent des humains avec leur faille.
J’ai l’impression que 30 ans après désormais, tout est là et tout est là dans cette salle sûrement.
Peut-être faut-il alors parler des bonnes pratiques, des initiatives qui marchent, des bonnes volontés et ne plus perdre de temps avec ce qui ne marche pas.
Par exemple, a-t-on besoin d’une énième étude sur le cannabis, alors que l’on sait très bien que sa consommation est à proscrire pour un cerveau déjà fragilisé ?
Ce n’est qu’un exemple, il y en a d’autres.
Nous avons aujourd’hui la chance d’être rassemblés, nous tous, les acteurs de la santé mentale, pour un échange d’idées, de points de vus, de bonnes pratiques.
Profitons de cette occasion pour faire avancer les choses.
Merci à