Je saisis une robe rouge et la brandis sous la lumière.
— Que penses-tu de celle-ci ? l’interrogé-je, le dos tourné.
— C’est beaucoup trop jeune pour toi.
Mon corps se raidit. Qu’est-ce qui me pousse à la réaction rebelle que je m’apprête à avoir ?
Le fait que j’aime vraiment la robe ou qu’elle sous-entende que je suis vieille ? Ou est-ce quelque chose de totalement différent, quelque chose lié au fait que je baise un gars qui a une vingtaine d’années de moins que moi ? Je ne sais pas.
— Je vais la prendre, déclaré-je en me retournant enfin. Depuis quand est-on trop vieux pour porter ce qu’on aime ? Où est passée l’étudiante qui se moquait du regard des autres ?
— Ce n’est pas pareil, Janie. À ce moment-là, c’était l’idéaliste qui s’exprimait. La réalité est très différente.
Ses propos me donnent soudain envie de remonter le temps, à l’époque où nous étions insouciantes, lorsque le regard des autres nous importait peu.
— Je ne suis pas d’accord. Nous n’avons pas à nous conformer à la norme parce que la société en a décidé ainsi.
Survie, amour, humilité.
Amour, survie, humilité, dans cet ordre précis. L’amour arrive en premier.
Je me dérobe à cette pensée, refusant d’évoquer de bons souvenirs de lui. De nous… Je dois le haïr. Heureusement, mes émotions commencent à passer au second plan alors que mon corps faiblit et que la survie devient également une priorité.
Avec un sourire, elle gonfle ses petits seins. Bien sûr, elle ne porte pas de soutien-gorge. Ses tétons pointent sous le tissu fin. Elle passe la lanière de son sac par-dessus son épaule et prend sa bière, l’emportant dans le couloir des toilettes, sans doute pour éviter que je mette quelque chose dans son verre.
Petite maligne.
Cet homme m'a rendue dépendante de lui dans tous les sens du terme, matériellement, physiquement et émotionnellement. Je n'ai personne d'autre vers qui me tourner. Il n'y a plus que cette maison, cet endroit sublime que j'aime et que je déteste en même temps...
Amour et haine, la description parfaite de ce que nous partageons..
J’ai renoncé à l’amour. Je ne peux pas le ressusciter, tout comme je ne peux pas récupérer les 40 % de ma fonction cardiaque définitivement perdue. La haine s’est imposée et a pris le dessus. Maintenant que la raison de ma haine a disparu, mon cœur est vide. J’ai fait l’expérience de la peur, de la douleur, de l’angoisse, de la colère et même de l’enthousiasme… Toutes ces émotions ou impulsions liées à l’instinct ou à la survie. Mais je ne ressens pas d’amour… Je ressens le soulagement d’être en vie, mais pas de joie. C’est ingrat. Pitoyable. Pathétique, vraiment. Mais je ne peux pas m’en empêcher.
J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de romantique chez lui… Sinon, pourquoi aurait-il tatoué amour, survie et humilité sur sa peau ? En ce qui me concerne, j’incarne sans doute la survie. Il a planifié mon meurtre parce qu’il croyait que je l’avais trahi. Il ne m’aimait pas assez pour me laisser m’expliquer. Un jour, il m’a dit que l’humilité, c’était de porter toutes les responsabilités de ses erreurs, mais pas tous les mérites de ses accomplissements. Eh bien, moi, je porte l’entier fardeau de l’aimer.
Ce n’est plus le garçon de dix ans que j’ai laissé derrière moi, avec ses manches miteuses et ses genoux marqués à force de tomber de son vélo. Il est grand et mince, vêtu d’un costume qui exsude le pouvoir, avec une chemise blanche et une cravate noire. Vingt ans ont passé, mais je reconnaîtrais ses traits de faucon, ses yeux d’un brun glacial et ses cheveux noirs entre mille. Nous tenons nos visages des gènes de notre père.
La structure en bois est un symbole de mon chagrin, noire dans les tons orange et ambre du crépuscule, un rappel difficile de mes fautes et de mes péchés. Retirant avec précaution les fleurs de la boîte, je me punis en humant le doux parfum des fleurs d’oranger. Putain… je suis violemment propulsé dans le passé, dans une maison de ferme abandonnée au milieu d’un champ, avec un ange sur la table de la cuisine, sous mon corps.
Je peux supporter n’importe quoi, tant que ce n’est pas un cantique de Noël. Quelques hommes âgés sont installés autour des tables éparses, à siroter des verres et à jouer aux cartes. Deux types plus jeunes sont au bar. Ils fument en discutant avec la barmaid, accoudée au comptoir, qui fait des bulles avec son chewing-gum. Ils ont tous les deux des verres à shooter devant eux et une bouteille de sambuca sur le côté.
Elle m’appartient encore.
Son désir et son amour sont à moi. Au début, c’est moi qui les lui ai soutirés, mais par la suite, elle m’a tout donné de son plein gré. Puis c’est sa vie entière que je lui ai volée. Même si Ruben a appuyé sur la gâchette, la faute me revient. C’est ma faute si je ne me suis pas débarrassé de lui comme je l’aurais dû. C’est ma faute si je n’ai pas vu ce qui se tramait sous mon nez.