Jamais encore Goldberger n’était entré dans l’eglise de Rosental. Il s’étonna de sa beauté et de sa simplicité. Et tandis qu’il s'abandonnait encore à sa surprise, il fut saisi d’un second étonnement : comme la simplicité était une chose complexe !
Ferdinand n'avait pas le mépris instinctif. Pour qu'il y accède il lui fallait le truchement de la réflexion.
Chacun portait ses propres lunettes et voyait le monde à travers elles.
Il avait le visage blême, la silhouette efflanquée, et, pour un instant, il lui semblait qu'il n'était encore en effet qu'un enfant, alors qu'il n'en était déjà plus un depuis longtemps, et à la vérité n'en avait jamais été un.
( p.294)
Lorsque Katja lui disait qu'elle l'aimait- peu souvent, mais c'était arrivé-, il se contentait de sourire, avec un air presque douloureux, comme s'il ne supportait pas d'entendre quelque chose d'aussi beau, ou doutait que ce fût vrai, ou encore que les mots eux-mêmes lui faisaient peur, et il ne répliquait jamais rien.
( p.341)
(...)si ses yeux revenaient se poser avec insistance sur le berger, ce n'était, cependant, pas seulement pour cela, mais parce qu'il lui tendait en quelque sorte un miroir de lui-même : n'étaient-ils pas voués en effet, l'un et l'autre, à mener dans la solitude une vie de labeur, en retrait du monde, avec pour seule compagnie les bêtes de troupeau, avant, le soir tombé, d'aller se poser quelque part pour boire et fumer, les yeux perdus dans le vague, éteints de fatigue ?
( p.190)
Et les larmes lui montèrent au yeux, car elle comprit en cet instant que le début de la fin avait commencé. Une joie anticipée la submergea, elle se réjouit à l'idée de l'été, de l'automne, de l'hiver à venir, savoura l'instant présent, paisible et bienheureux, la clarté persistante de ce ciel si haut, le vin lourd, sombre et chaud, et s'étonna des prodiges qui s'étaient accomplis pendant cette journée. Mais rien ne lui prodiguait une joie plus puissante que la certitude de s'approcher de la fin, de ne plus être éloignée de l'instant où elle retournerait à l'éternité.
Et s'il avait dit oui, c'était aussi parce qu'il repensais à toutes ces fois où, dans l'enfance, puis dans l'adolescence, il avait caressé l'espoir que son père pût lui présenter, une fois, une seule, un projet qui les eût associés tous les deux, non par nécessité, mais parce que cela avait du sens N'était-ce pas d'ailleurs la conception qu'il s'était toujours faite de l'espoir: entreprendre les choses non pas parce qu'on était certain de leur réussite, mais parce que cela avait un sens ?
( p.74)
L'espace d'un instant, Jacob se demanda ce qui se serait passé si Alexander avait été attiré par une femme dans le genre de Katja, et non par Lilo, qui plaçait les jolies choses au- dessus de tout et n'aspirait qu'à en posséder toujours davantage.
( p.217)
'' Alors comme ça tu es agriculteur ? J'imagine que ce doit être passionnant"
Passionnant ? Décidément , ces gens-là ne savaient pas de quoi ils parlaient. En même temps , Jakob se sentit flatté. Il n'ignorait pas, après tout , que le regard que la société portait sur les paysans n'était guère bienveillant, et qu'on ne voulait rien avoir à faire avec eux. Les discours creux que l'on tenait depuis peu à la radio au sujet de la sécurité d'approvisionnement et de la nécessité de préserver les sols n'y avaient au fond rien changé. Une fois encore il ne répondit pas. Mais elle se montra tenace :
"si j'avais la possibilité de tout recommencer à zéro , je suivrais une formation d'agricultrice."
Ce message l'ulcéra. Il la revoyait en pensée, assise au grand soleil par le plus rayonnant des matins d'été , oisive , les yeux dans le vague , un doigt dans la bouche.
"il me semble qu'il n'est pas trop tard. Tu es encore jeune , que je sache !
- J'ai vingt-sept ans. Je ne suis plus dans ma prime jeunesse. Et je crois qu'il n'est pas si facile de changer de vie. J'entends : de rompre vraiment avec les liens qui nous attachent au passé." p.74/75