La Grande Librairie reçoit Fabrice Luchini, un amoureux des auteurs qui met en scène leurs textes depuis quelques années.
Avec lui le philosophe Alain Finkielkraut. Également en plateau, Claude Arnaud dont l?anthologie « Portraits crachés. Un trésor littéraire de Montaigne à Houellebecq », publié chez Robert Laffont est un véritable régal...
La connaissance des éléments composants de notre âme nous est donnée non par les plus fines perceptions de notre intelligence mais — dure, éclatante, étrange, comme un sel soudain cristallisé — par la brusque réaction de la douleur. (Marcel Proust).
Je n'ai plus de goût pour rien, je regarde la vie s'écouler derrière une sorte de vitre, qui me rend étranger à tout élan, incapable de la moindre spontanéité.
Une Caravelle d'Air France nous dépose à Marseille-Marignane où un Bréguet Deux-Ponts s'apprête à décoller pour la Corse, mais je préfère l'avion à hélice, un coucou qui vole si bas que je vois tout des côtes camarguaises, avec leurs rizières et leurs salines, puis des courants de la mer qui convergent vers l'île. En survolant la Giraglia, j'ai l'impression de toucher des yeux ce caillou couvert de myrrhe et de lentisque. Les hublots deviennent autant de masques qui grossissent les contreforts du cap Corse, un index tendu vers le golfe de Gênes.
Une forte odeur de maquis me gagne à l'aéroport de Bastia-Poretta, quelque chose d'âpre et d'entêtant qui fait battre mon coeur et me confirme que je suis corse, aussi.
Le cadet [Cocteau] espère encore faire de son destin une oeuvre à la Oscar Wilde ? L’aîné [Proust] sait déjà qu’il lui faudra sacrifier bien plus pour aboutir au Livre.
... Cocteau intègre définitivement la garde rapprochée proustienne, adopte ses rites et ses jeux. L’osmose se fait d’autant mieux qu’il a hérité en partie des valeurs qui soudèrent le trio Proust-Hahn-Daudet aux alentours de 1900, quand le symbolisme s’était dressé contre le matérialisme étroit de la civilisation industrielle et le scientisme assez prosaïque d’une bourgeoisie fière d’avoir percé les mystères de la nature.
... J'ai sept ans, nous partons visiter le paquebot Liberté au Havre, j'arbore fièrement le blazer à écusson royal qu'elle vient de m'acheter chez Mamby, je bondis en découvrant la salle des machines. Enfin ensemble! Je tire sur son tailleur de laine pour l'entraîner vers la salle de bal, je nous imagine déjà gagner la haute mer...
Il est si optimiste, il a une si grande confiance en son étoile qu'il fait toujours beau où qu'il aille. (p. 79)
De simple locataire de mon être, j'en suis devenu le propriétaire à force d'en explorer les étages.
je ne tremble plus.
Je suis enfin moi. (p. 173)
Pierre n'oublie sa condition de jeune adulte que l'été, en jouant au ping-pong, au badminton ou à saute-mouton, sur les plages de Lavasina, de Miomo ou de Toga, à la sortie nord de Bastia. Alors il redevient l'enfant préféré de Hubert et Marie-Paule, l'espoir de la Reconstruction, teint hâlé et cheveux noirs de jais.
Il y a des écrivains que tout concerne et qui rêvent d’attraper l’essence du monde dans leurs filets. Il en est d’autres qui n’ont qu’un objet, sous les masques de la fiction ou du document. Interrogation obsédante, territoire hanté, histoire familiale traumatisante, il ne s’agira que de cela.