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4.31/5 (sur 13 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Julien Villa s’est formé au Conservatoire du Ve Arrondissement de Paris de 2001 à 2004, puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris (CNSAD) de 2004 à 2007. Il y travaille sous la direction de Dominique Valadié, Nada Strancar, Cécile Garcia Fogel, Christophe Rauck, Tilly, Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier.

Source : Esse que
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Citations et extraits (7) Ajouter une citation
«Est-ce que ma vie me plaît ? » Il ne s'était jamais posé cette simple question. Jusqu'ici, il n'avait jamais envisagé l'idée qu'une autre vie était possible ni même d'ailleurs songé à voyager — encore moins à déménager dans une autre ville. Contrairement à son paternel qui ne vivait que pour son travail, il n'a aucune ambition professionnelle. L'idée même d'un plan de carrière lui donne de l'urticaire. Son désir se limite à en faire le moins possible. Quand il avait décidé d'abandonner le lycée, sa mère avait insisté pour qu'il poursuive sa scolarité ; elle-même n'a pas son bac et la remise à niveau qu'elle venait d'accomplir pour sa formation avait été très éprouvante. Pour Sophie Jublovski, renoncer au diplôme signifiait s'enfermer dans une seule voie, se condamner à ne plus pouvoir choisir. Mais Marco s'était obstiné : «Y a rien à attendre des études, encore moins du travail. A quoi bon se casser la tête? Tu veux que je finisse obsédé comme le vieux, ou quoi ? Temps perdu pour temps perdu, autant se trouver une planque — et fissa ! »

Page 25, Rue de l'échiquier 2022.
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Les zapatistes ne désirent pas prendre le pouvoir. Ils réclament seulement justice, démocratie et liberté. Sous le passe-montagne du sous-commandant Marcos se trouvent le peuple chiapanèque et les opprimés du monde entier.

Page 34, Rue de l'échiquier 2022.
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Avant cette nuit, il n’avait jamais entendu parler d’une révolution au Mexique, encore moins de l’existence des zapatistes du Chiapas. Si on l’avait interrogé, il aurait répondu qu’Emiliano Zapata était le nom d’un cirque et Pancho Villa le titre d’un western.
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Marco de Rodez contemple son reflet dans le miroir de l’armoire. En faisant claquer sa langue, il imite le son des sabots dans la zone déserte – comme un appel dont il n’a eu qu’à suivre l’écho. Dans la nuit claire, les empreintes encore fraîches l’ont conduit jusqu’au vieil Antonin. Il se souvient avoir passé la nuit sur le causse, assis avec lui sur ce monticule, au milieu d’une doline envahie par la boue. Les retrouvailles avec la bergerie troglodytique, son corps gelé, ce village mexicain, sa résurrection en guérillero et Guadalupe, de tout cela, les raisons lui importent peu. Cette nuit, il est devenu un guérillero voyageur :
– Caballeros, déclare-t-il à son propre reflet, vivez en rêvant et rêvez en vivant !
Face au miroir, la jungle lui bat dans les tempes. Tout un vacarme d’insectes et de cris d’animaux emplit son corps. Un phénix végétal vient de naître dans ses entrailles. Il le sent grandir et respirer sous sa peau. Il jurerait que les mailles de laine noire du passe-montagne sont en train de s’imprimer dans sa chair, de se nouer entre elles, plus vivantes que des racines.
Il se regarde mourir au monde et songe à quel point la vie de Marco Jublovski a été insignifiante. Les événements qui ont marqué son existence défilent à présent devant lui, aussi dérisoires qu’une série de vieilles photographies. Tous ses souvenirs s’agglomèrent avant de disparaître dans un sifflement. Les colères de roquet qui le torturaient depuis des mois, toutes les passions tristes qui l’empêchaient d’agir s’évaporent, révélant un champ énergétique puissant. La digne rage vient enfin de poser ses lèvres noires sur les siennes. Elle lui a livré un secret : celui des chemins qui mènent aux légendes et aux chimères. Les larmes coulent sous son masque. Ce ne sont ni des larmes de nostalgie ni des larmes de joie, pense-t-il, mais des larmes pures. Dorénavant, il sera cet être sans visage, résolument engagé sur les sentiers de l’impossible.
Un silence peuplé de fantômes lui tombe dessus. Il observe son reflet dans le miroir et frissonne sous sa cagoule : la masse noire s’est mise à frétiller, comme si sa tête se changeait peu à peu en un monticule de terre grasse grouillant de vers.
– Oui ! proclame soudain une voix lointaine en lui. Le voici, el mundo : d’absurdes contorsions derrière un miroir. Une erreur de percepción, une histoire de muertos.
– Le vieil Antonin a dit : mourir au monde, répond Marco en se bouchant les oreilles. Non pas mort, deux fois vivant !
Cette soirée du jour de l’An représentait bien plus qu’une simple date. Une porte s’est ouverte. Le Chiapas s’est posé un court instant sur le Larzac. Marcos a dû rapporter aux siens et au monde les paroles du vieil Antonio, c’était au tour de Marco d’entendre celles du vieil Antonin. Ces rêves qui l’assaillaient depuis des moins n’étaient qu’un entraînement avant d’emprunter le sentier qui le mènerait à la place du marché de San Juan Chamula. Grâce au vieil Antonin, il est parvenu à creuser un trou de taupe, un tunnel entre deux réalités. À force de gratter la surface de ce côté du miroir, il s’est découvert une nouvelle peau : celle des sans-visage, des sans-nom et des non-nés. C’était donc à ce sacrifice qu’il se préparait. Le songe l’a peu à peu ramené à la vie, lui qui traînait son existence de fantôme.
– C’est une renaissance, poursuit-il sans quitter son reflet des yeux.
Il se dirige vers la fenêtre, l’ouvre puis contemple la zone industrielle et commerciale. Derrière les entrepôts et magasins, toute la tristesse du monde semble tapie, prête à bondir. Il prend une grande inspiration et hurle :
– Ya basta !
L’écho au loin lui rend plusieurs fois son cri. En réponse, le Grand Rodez s’auréole d’un halo de lumière fade. Marco pose son regard sur ces immenses parkings, ces cubes de tôle, ces micro-espaces de verdure qu’il s’apprête à reconquérir. Dans la journée il réunira les siens puis leur rapportera les paroles du vieil Antonin. Enfin, il suivra les conseils de celui qui l’a conduit « de la mort à la naissance » et veillera à ouvrir grand ses oreilles.
L’horloge du salon sonne les douze coups de midi. Il n’arrivera pas à dormir. L’air vicié de la chambre s’échappe par la fenêtre. Dehors la fraîcheur l’appelle. La zone sent les cactus, les agaves et les ahuehuetes ; au loin, il entend le concert des casseroles dans les cantinas. Il décide alors de nouer deux draps pour en faire une corde. Il les accroche solidement au rebord de la fenêtre puis descend en rappel – désormais il se promet de toujours sortir de sa chambre de cette manière : como un guerillero.
Lorsque son pied se pose sur la terre ferme, il respire enfin. Le volcan Popocatépetl ronronne dans sa poitrine.
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Tandis qu’il manipule sa cisaille à haie, la certitude que les mots du sous-commandant lui étaient tout particulièrement destinés ne quitte pas Marco. Ces communiqués militaires déguisés en contes – ou bien l’inverse – l’obsèdent. Ils produisent chez lui une réaction chimique. Comme si quelqu’un ou quelque chose tentait de lui transmettre un message codé, oui lui jetait un sort puissant depuis l’autre bout du monde. La parole zapatiste fait resurgir peu à peu dans son esprit des mots qu’il ne pouvait entendre il y a quelques semaines encore, sans grincer des dents ou carrément éclater de rire : espoir, terre, justice, démocratie, liberté. À l’école, l’odeur des livres neufs lui évoquait le réfectoire ou l’hôpital. Il n’a jamais compris non plus pourquoi, pendant les sorties scolaires au musée, dès qu’on causait d’art ou de culture, les voix se faisaient soudain doucereuses et un silence religieux s’installait dans l’assistance. À l’époque, il n’en démordait pas : les vivants se trouvaient ailleurs. Mais depuis sa rencontre avec Marcos, les livres ne lui font plus l’effet de mouchoirs pour vieillards aux longs sourcils. Ils ressemblent plutôt à des armes ou à des épaves couvertes de hiéroglyphes qu’il désire ardemment déchiffrer. En tournant les pages de Ya Basta !, il s’est rêvé pirate, pilleur de tombes et initié.
La veille, il a décidé de coucher ses impressions dans un journal de bord, avant de s’effondrer sur son bureau. Sophie a dû le réveiller en catastrophe pour qu’il file au travail. Un monde dont il ne soupçonnait pas l’existence vient de s’ouvrir à lui ; toute la journée, les histoires de Marcos défilent dans son esprit. Il les ressasse pour lui-même et parle tout seul sur sa tondeuse autoportée. Des voix se bousculent dans sa tête tandis que des paysages de jungles, peuplés de figures masquées, envahissent son imagination.
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Le souvenir du sous-commandant Marcos hante Marco, l’image de son quasi-homonyme s’est comme imprimée sur sa rétine. Avant cette nuit, il n’avait jamais entendu parler d’une révolution au Mexique, encore moins de l’existence des zapatistes du Chiapas. Si on l’avait interrogé, il aurait répondu que Emiliano Zapata était le nom d’un cirque et Pancho Villa le titre d’un western. Les histoires de luttes sociales ou politiques l’ennuient. Il a toujours vu en elles une mauvaise comédie, un jeu de dupe où le perdant ne cherche qu’à prendre la place du gagnant. Il n’ignore pas que l’Aveyron a été un haut lieu de maquis et de résistance. Il connaît vaguement les événements de Mai-68 et sait qu’une bande de « babs cool » a squatté le Larzac dans les années 1970 ; mais il a surtout entendu les élucubrations de son père à ce sujet. Feu Bartek éprouvait le plus profond mépris à leur égard. Pour lui, ces gens sur le Larzac n’étaient que des parasites, des fils de bourgeois qui s’encanaillaient sur les Causses et prenaient leur pied à se déguiser en miséreux. Quand il avait bu un verre de trop, son passe-temps favori consistait à vociférer de vieux chants polonais avec ses collègues du chantier, ou à insulter les communautés anarchistes et fouriéristes du coin.
Marco laisse son regard se perdre sur les massifs pourpres du causse Méjan et s’abandonne sur le cuir usé de la banquette arrière, comme bordé par le causse de Séverac et les monts du Lévézou. Un panneau routier indique « Palmas d’Aveyron », et il aperçoit au loin la forêt des Palanges. Les premiers stigmates des zones d’activité du Grand Rodez donnent au paysage des allures de simulacre.
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Au fond, il a toujours éprouvé cette sensation de reporter le premier jour de son existence – comme de faire secrètement des économies pour un jour se payer la plus belle chose qui soit.
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