Pour approfondir nos analyses, il faut se rappeler que les agriculteurs sont une minorité venue d'une majorité. Une minorité d'hommes qui garde en outre la responsabilité d'une majorité du sol. Ainsi, on ne peut penser le monde agricole en soi indépendamment du fait que le monde rural a été majoritaire en France jusque dans les années trente ; ni non plus indépendamment du rôle structurant que la terre et ceux qui la travaillent tiennent dans notre imaginaire collectif. Ne rappelons que pour le principe l'affiche du candidat François Mitterand en 1981
Contrairement à un célibat urbain qui peut être choisi, ou, au moins, ne pas aller forcément de pair avec un isolement relationnel ou un sentiment de solitude, le célibat agricole est le plus souvent synonyme d'un grand mal-être.
Il y a une pauvreté agricole en France, dont toutes les études soulignent le caractère caché et difficilement repérable.
Alors, le grand passage entre la vieille civilisation rurale réorganisée par la III° République et le monde paysan comme un des producteurs nécessaires d'une société moderne est effectué. Illustrons simplement cette hypothèse par le fait que, malgré les problèmes surgis entre écologistes et agriculteurs, 66% d'entre eux trouvent positive la protection de l'environnement. Peu à peu, une vision commune du territoire se construit. Mais pour en penser la dynamique, il faut s'ouvrir à une pensée des diversités et ne pas croire que s'opère une progressive substitution entre modernité - sous-entendue écologique - et archaïsme - sous-entendu ruralo-paysan.
Face à des conditions de vie difficiles, le suicide des agriculteurs représente l'acte ultime d'effacement, révélateur des fragilités économiques certes, mais également morales et culturelles qui, affectent les mondes agricoles.
En suivant les analyses de Jérôme Jaffré, nous avons pointé les deux "hauts lieux" politiques et symboliques où cette dualité et la plus caractéristique : les Verts-urbains-femmes-diplômés d'une part, les Chasseurs-ruraux-hommes de l'autre. Sans doute pourrait-on ici se rappeler que ce sont souvent les jeunes filles qui, les premières, ont quitté les campagnes, soulignant ainsi que l'arrachement à la terre patriarcale est une ancienne question inséparable de la liberté que la ville a donnée aux femmes - et à la féminité comme marque d'une nature acceptée.
Cette montée en puissance de la figure de l'agriculteur à l'origine des pollutions des sols, de l'air, de l'eau est au cœur du trouble identitaire qui travaille aujourd'hui le monde agricole, confronté à des contradictions d'autant plus difficiles à assumer qu'il a rempli la feuille de route qui lui avait été assignée au début des années soixante : faire de la France une grande puissance agricole.
Pour répondre à ces questions, on a entrepris de mettre en perspective les logiques de la déstructuration/restructuration des sociétés rurales, et en particulier la manière dont l’accès au métier d’agriculteur a fait basculer l’état de paysan. Une mutation, plutôt qu’une destruction, qui a conduit certains sociologues à mettre en avant le thème de la « renaissance rurale », afin de signifier la persistance de la vitalité de ces collectivités par-delà la corrosion qui les affecte, et le fait que, à travers le maintien du travail familial en agriculture, le paysan survit – autrement – dans l’agriculteur. Ainsi, a émergé l’idée, la plupart du temps non formulée mais bien présente, d’une sorte d’invariance de la collectivité et de la famille rurales. C’est cette idée notamment qui doit aujourd’hui faire l’objet d’une profonde réévaluation.
a voie qu’a suivie la sociologie rurale française pour ne pas se laisser enfermer dans ce dilemme posé par les classiques a consisté à privilégier l’étude des collectivités rurales. Rejoignant sur ce point leurs homologues américains, les sociologues français ont développé une théorie des sociétés paysannes et mis l’accent, avant tout, sur le fait que c’est l’appartenance à une société paysanne qui constitue, comme tel, le paysan. Cette perspective a fait surgir deux questions. La première est celle du devenir de ces collectivités rurales lorsqu’elles sont confrontées au processus accéléré de la modernisation et à la perte de leur situation d’enclavement par rapport à la société globale ; la seconde est celle de la mutation de la condition des paysans lorsque les cadres de la société paysanne s’effondrent.
Penser l’agriculture de demain revient à sortir du schéma classique de l'installation familiale, à réfléchir en termes de création d'activités et d'outils économiques, mais également à anticiper le départ des plus âgés, voire de l'accompagner.