Ce qui est vrai de notre histoire politique l’est davantage de l’histoire des arts dans la partie de l’Amérique qu’on nommait autrefois la Nouvelle-France. Nous savons que, dès le milieu du XVIIe siècle, il y avait ici des peintres, des sculpteurs et des architectes de talent ; que l’École des arts et métiers de Saint-Joachim a formé ‘des artisans estimables; que la tradition française s’est perpétuée au Canada durant tout le XVIIIe siècle et qu’elle connut un regain d’activité vers 1820, après la vente de la collection Desjardins; que nos artistes du siècle dernier sont allés, pour la plupart, former leur goût auprès des maîtres européens; que de nos jours une école de peinture se forme. lentement à Montréal sous des influences diverses; que nos architectes et nos sculpteurs s’éveillent à l’art contemporain. Nous savons tout cela; et pourtant nous ne savons presque rien.
Car les détails nous échappent.
Pendant près de deux siècles, le peintre canadien de la province de Québec doit satisfaire à deux besoins majeurs: le tableau d'église et le portrait ; il y est astreint comme le sculpteur aux retables, aux chaires et aux bancs d'oeuvre, comme le menuisier aux meubles de maison, comme l’orfèvre aux vases d'église et de table. Je sais bien qu’on trouve des paysages dans certaines peintures religieuses ; mais ils y sont de l’ordre de l'accessoire. Je sais bien qu'on trouve des natures mortes dans des tableaux d'église et dans des portraits ; mais elles sont là pour équilibrer la composition ou pour soutenir la vraisemblance.
Dans la peinture canadienne, le portrait posthume se présente sous deux formes : le portrait peint et le moulage en cire. Le portrait peint se trouvait autrefois en grand nombre, et pour une raison facile à deviner : le mort ne bouge ni ne rouspète. Il remonte d’ailleurs beaucoup plus loin dans le temps qu’on ne le croit. D'où un certain nombre de tableaux plus ou moins macabres, mais vifs de facture ; souvent peu harmonieux, mais expressifs. Ce ne sont pas les plus mauvais tableaux de nos primitifs.
La Nouvelle-France du XVIIe siècle a compté nombre de peintres amateurs. Le premier, Champlain, nous a laissé des dessins rehaussés de gouache qui existent encore à Providence ; le Père Pierron, jésuite, ne faisait des tableaux que pour évangéliser, par la persuasion ou la frayeur, ses ouailles les Iroquois; les Pères Rasles et Laure ont orné de peintures leurs chapelles de mission; d’autres, le jésuite Chauchetière, le récollet Juconde Drué, les abbés Guyot et Leblond de Latour, ont peint quelques ouvrages plus précieux qu’on ne croit.
En choisissant le Sault-à-la-Biche comme site de la nouvelle église, l’évêque veut sans doute placer les édifices paroissiaux le plus possible au centre du territoire. Il veut aussi, semble-t-il, les soustraire aux vents violents qui soufflent sur le plateau et le balayent de tous côtés ; et l’on sait que le Sault-à-la-Biche, tout comme les fonds du Domaine où était érigée la première église, est à mi-chemin entre la falaise et le niveau des grandes eaux du Saint-Laurent — donc à l’abri des fortes brises.
Si actifs que soient les peintres canadiens de la première moitié du XVIIIe siècle, ils ne peuvent suffire à la tâche d’orner de leurs tableaux toutes les églises qui s’élèvent en terre canadienne, de Gaspé au lac Saint-Louis. D’ailleurs le pourraient-ils qu’une élite hésiterait à recourir à leur talent; car s’ils ont une certaine adresse manuelle, ils manquent en général de savoir et de virtuosité; ils sont souvent brouillés avec les lois de la composition et de l’anatomie.
C’étaient les photographes du temps, paysagistes en même temps que cartographes, occupés à relever les côtes et les havres, observateurs attentifs des moeurs des Sauvages et de la faune du pays. Ils ne dessinaient pas que les reliefs des terrains et les contours des rivages; ils animaient leurs compositions de petits personnages sommairement tracés; ils reproduisaient, souvent avec bonheur, les cabanes des Indiens, les animaux des forêts et les poissons.
Sainte-Anne-de-Beaupré n’est pas seulement un sanctuaire où chaque année les fidèles accourent pour soulager leurs tares physiques ou morales. C’est aussi un sanctuaire d’art. On y peut voir de la peinture, de la bonne et de la médiocre, d’autant plus intéressante qu’elle jette un peu de clarté sur nos origines artistiques.
Il importe ensuite de retrouver, non les formes d'antan — car il en est des formes comme des mœurs : quand elles renaissent, elles sont ou vides de sens ou infécondes—, mais le souffle spirituel qui leur a donné naissance. Aujourd'hui comme autrefois, l'architecture consiste à bâtir des édifices adaptés à leur destination, au genre de vie des êtres qui doivent les habiter, aux matériaux dont ils sont faits, au paysage où ils s'élèvent, au génie particulier de l'époque ; l'architecture est donc un art dialectique, résultat d'une sorte de conversation franche et honnête entre l'architecte, le client et la matière organisable.
Si l'on juge une civilisation à son architecture, on peut dire que rarement l'humanité s'est sentie si près de sa fin, tant elle met de hâte à s'abriter dans des huttes pimpantes mais peu solides, qui demain seront des ruines...