Le maître anarchiste, Itsuo Tsuda Savoir vivre lutopie, de Manon Soavi
Il faut bien reconnaître, sans idéaliser les anciennes cultures, qu'elles avaient une cohérence qui donnait le cadre de l'expérience humaine. Bien sûr, elles pouvaient aussi étouffer les individus, mais elles donnaient un sens. L'Occident industrialisé, ayant écrasé depuis plusieurs siècles sa propre culture traditionnelle - remède des simples (plantes), sage-femmes, veillées, rythmes des saisons, cycle de la vie d'un individu - a perdu le sens de l'expérience humaine.
Il ne s’agit pas de rejeter toute évolution technologique mais de prendre en compte dans l’équation ce qu’on perd à chaque dépendance. Tsuda Senseï regrettait qu’on soit « inondé par ces camelotes scientifiques qui nous enlèvent toute chance d’exercer notre faculté de concentrer l’attention et de ressentir ».
Il n’y a pas d’autre maître que soi-même. S’il se sent vivre pleinement, chacun ne manquera pas de trouver sa formule à lui. »
En bon anthropologue qu'il choisit de devenir, I. T. s'est beaucoup intéressé au fait que la structure de la langue d'un peuple structure aussi sa manière de penser.
p.10 [...]
Pour l'anthropologue américaine Margaret Mead, "les anthropologues sont des empêcheurs de tourner en rond" qui ont largement contribué à "désincarcérer les corps". [...] Michel Leiris osa lui justifier l'esprit de ce métier pendant l'accession à l'indépendance des colonies en affirmant que "la vocation d'ethnologue pousse à défendre les peuples étudiés dont il se fait l'avocat désigné"
I.T, anthropologue accompli, explique dans son introduction la nécessité d'étudier l'ensemble des relations entre les éléments de la culture et de la cosmogonie d'un peuple pour le comprendre.
(p.12)
J’ai entrepris ce travail afin de libérer les individus de l’engrenage social, de leur faire comprendre qu’il n’y a pas d’autre maître que soi-même, et qu’un échec vaut parfois mieux qu’une réussite. S’il se sent vivre pleinement, chacun ne manquera pas de trouver sa formule à lui.
Au dojo, chacun est chez soi et chez les autres en même temps. C'est le lieu de l'individu et du collectif.
p.140.
Personne ne fait les choses pour le dojo, chacun les fait pour lui-même. Chacun en travaillant dans son propre intérêt s'harmonise avec les autres tant que le but partagé est mis en commun afin d'avoir un outil (le dojo) fonctionnel. En ce sens, il faut une organisation collective pour fonctionner.
p.140
IT expliquait ainsi son travail: "J'ai entrepris ce travail afin de libérer les individus de l'engrenage social, de leur faire comprendre qu'il n'y a pas d'autre maître que soi-même, et qu'un échec vaut parfois mieux qu'une réussite. Il ne m'appartient pas de préconiser une utopie sociale, ni l'évasion vers un paradis imaginaire, ni la destruction de tout ce qui existe. Le problème de l'Individu est tout autre. En tant qu'unité composante de la société, l'individu est aux prises avec la structure, qu'il le veuille ou non. L'acquisition d'un pouvoir peut-elle lui accorder la chance de l'épanouissement? A la longue, c'est seulement le mode de vie qui a changé. Mais tous les problèmes restent inchangés, notamment, la vie et la mort. Aucune formule n'est valable tant que l'Individu ne se sent pas vivre. S'il se sent vivre pleinement, il ne manquera pas de trouver sa formule à lui" [...] Les notions de Ki et de Wu-Wei (non-faire) ainsi que les pratiques corporelles de l'aïkido sont [...] des pratiques de soi qui jouent un rôle primordial dans ce cheminement.
p.20/21
La découverte de sa culture est avant tout la découverte de la culture du corps du Japon traditionnel, ..., le corps, ce grand oublié du monde occidental, [...] une culture fondée sur le Ki (chi en chinois), notion intraduisible par un seul mot car le sensibilisation à "la vie en toutes choses" que ce terme évoque concerne toutes les capacités, perceptions et activités humaines.
p.13
IT évite par conviction les honneurs et les institutions, préfère tracer son chemin hors de tout itinéraire prédéterminé. Il se définit comme un homme ordinaire, refuse d'être appelé maitre et répond à un journaliste qui lui demande si ses élève le mettent sur un piédestal: "j'essaie tout pour ne pas monter sur un piédestal, moi, je dis que je suis un homme comme les autres mais... ce qui m'intéresse, je le fais. Tandis qu'il y a beaucoup de gens qui ne font rien, qui discutent. Moi, je le fais: c'est tout. Et dans la mesure où ça vous plait, vous pouvez aussi le faire. Voila, c'est tout ce que je dis. Je ne dis pas je suis un maître machin. Non, ça, ça ne me dit rien. Je fais ce que j'ai envie de faire, c'est tout. Et puis, les autres, ça les intéresse, bien ça les regarde, j'ai pas à intervenir. Voyez, l'esprit est tout à fait différent"
p.27
"L'anarchisme est un mot interdit, un mot tabou, un mot qui fait peur même à ceux qui s'y reconnaissent. Et pourtant, cette vision du monde, bien loin des images de violence que les dominants répandent pour la discréditer, promeut la coopération, l'émancipation, le respect des êtres et du vivant"
p.25 in I.Attard Comment je suis devenue anarchiste
IT est parti de chez lui à 16 ans, refusant le droit d'aînesse (le rôle qu'on lui avait préparé) à la recherche de la liberté de pensée selon sa propre expression ce qui est en plein coeur des aspirations anarchistes: refus des rapports de pouvoir et recherche de la liberté.
p.29