Encore une fois, vous vous trompez sur mon compte. Ma persévérance n'a pas du tout à voir avec la mort, mais seulement avec la vie. Je suis solidement accrochée à ce monde et je ne voudrais pas l'abandonner, cela me ferait beaucoup de chagrin. Je voudrais exister encore un peu, un jour de plus, au moins jusqu'à demain.
Quand je serai obligée de quitter ce monde, je le ferai avec des larmes dans les yeux.
"Donc, vous, lisez-moi quelque chose. Lisez-moi si vous voulez un morceau de Shakespeare, juste là, j'aimerais entendre un certain passage dans Othello. Connaissez-vous celui qui vient avant l'assassinat de Desdémone ? Quand cette malheureuse dit une seule phrase, en s'adressant à son mari pour la dernière fois: Kill me tomorrow, let me live tonight."
Je suis sûre que vous voulez encore me demander un tas de choses et je ne sais si les réponses que j'essaie de vous donner vous aideront à saisir un peu mieux. J'ai besoin de votre compréhension. Si seulement vous me compreniez un petit peu ! Cela serait au moins une sorte de consolation.
Il est temps d'ôter peu à peu les bandages de notre visage, d'enlever un à un les mots, le chemin est long jusqu'à la vraie nudité. Pour arriver enfin là où la poésie même ne sera plus indispensable.
Le monde est une montre arrêtée depuis des siècles et le temps, au contraire de ce qu'on croit communément, ne s'écoule pas sans violence. Il y faut un combat de tous les jours, il nous faut l'inventer continuellement, le tailler et le coudre sans cesse à nos mesures comme un costume que l'on nous a obligés à porter, le pousser vers l'avant de toutes nos forces.
Eh bien, que cette image de moi soit la dernière, je voudrais arriver avec cette seule image aux portes de l'éternité.
Vous savez, l'insomniaque et le cadavre ont des caractères communs. Ils dorment les yeux grands ouverts.
J'emporterai avec moi, les images de navires engloutis.
Le temps est notre grand maître et, aussi, un enfant mal élevé.