Hommage radiophonique à Delille, par Gabriel Reuillard, diffusé sur la RTF en 1963.
LE CAFÉ
Il est une liqueur, au poète plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu'adorait Voltaire ;
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur
Sans altérer la tête épanouit le coeur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.
Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ;
Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer,
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui dans l'onde,
Infuse à mon foyer ta poussière féconde,
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un oeil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt : du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi.
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,
Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens ; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée ;
Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.
Le bonheur le plus doux est celui qu'on partage.
Le sort fait les parents, le choix fait les amis.
À M. Danloux, Peintre.
Grâces à ces couleurs dont Zeuxis eût fait choix
Mon aimable Antigone existe donc deux fois ;
Dans un même tableau vit notre double image !
Reçois donc notre double hommage,
Hardi, correct, sage et brillant Danloux,
Qui sans rivaux, mais non pas sans jaloux,
De tous les goûts as conquis le suffrage.
Ainsi l'astre dont les rayons
Dirigent tes crayons,
Quand il a percé le nuage,
Par ses vives splendeurs plaît à tous les climats ;
Du Maure est adoré sur son brûlant rivage,
Dore les sommets de l'Atlas,
Du froid Caucase empourpre les frimas,
Pénètre dans la terre, étincelle sur l'onde,
Est l'âme, le foyer et le peintre du monde.
À cet art enchanteur qu'honore ton pinceau,
Et qu'enrichit encor ce chef-d'œuvre nouveau,
Mal à propos je servis de modèle,
Je le sais bien ; mais si j'en crois
Mes sentiments pour toi,
J'en puis servir à l'amitié fidèle.
Extrait Poésies fugitives (1807).
À La princesse Augusta De Brunswick
Proscrit, errant, sans foyer, sans patrie,
Cet enfant nouveau né d'une épouse chérie,
Même en nous consolant ajoutait à nos maux ;
Mais des infortunés la généreuse amie
Lui daigne ouvrir ses bras et son âme attendrie !
Sous des auspices aussi beaux,
Ah ! qu'il est doux d'arriver à la vie !
Tel ce bouton frais et vermeil,
Qui dans l'hiver n'osait éclore,
N'attendait pour s'ouvrir qu'un rayon du soleil
Ou qu'une larme de l'aurore.
Heureux enfant, du céleste flambeau
Apprends-nous donc enfin à bénir la lumière ;
Mêle ton doux sourire aux larmes de ta mère,
Et puisse, jusques au tombeau,
T'accompagner dans ta carrière,
Ce rayon de bonheur tombé sur ton berceau !
Extrait Poésies fugitives (1807).
Vers faits dans le jardin de Mme De P***
Dans ce réduit, où l'Amour en silence
Aime à rêver en cessant de jouir,
Heureux qui vient avec une espérance,
Et s'en retourne avec un souvenir.
Extrait Poésies fugitives (1807).
"Qui borne ses désirs est toujours assez riche." [ Jacques Delille ]
Vivre pour mes amis, mes livres et moi-même.
"Promettre, c'est donner; espérer, c'est jouir."
Les Jardins