J’écoute souvent, et toujours avec le même plaisir le Prélude à l’après-midi d’un faune, qui, chaque fois, me transporte au plus fort de l’été, dans une forêt païenne… Longtemps je me suis méfiée, je trouvais cela trop facile, trop parlant… Il me semblait que, du moment où je saisissais aussi bien les intentions descriptives de l’auteur, la musique perdait un peu de son prestige, de sa valeur de langage secret.
On s’habitue à tout, vous savez. Il y a même des moments où l’on trouve que ça manque d’intérêt : personne ne vous dit jamais rien de désagréable, on a pour ainsi dire jamais l’occasion de se fâcher… C’est une des raisons pour lesquelles je tiens à l’anonymat : pour que les réactions des gens qui m’approchent ne se trouvent pas faussées et conservent toute leur valeur…
Imaginez que vous ayez ralenti au lieu d’accélérer ! Je frémis à la pensée de ce qui aurait pu se produire ! Vous ne m’auriez évidemment pas remarqué et je passais tout bêtement, sans vous adresser la parole, poursuivant seul une promenade sans intérêt… Tandis que vous avez bondi à ma rencontre, comme si vous étiez follement impatiente de faire ma connaissance et que, maintenant, vous me regardez avec un sourire plein de sympathie et de grands yeux étonnés !
Un inconvénient aussi : la tentation des regrets. Ses désirs s’aiguisaient au côtoiement journalier de tous ces gens qui jonglaient d’une main désinvolte avec les millions. Le fait de s’installer couramment au volant de voitures telles que celle-ci lui faisait paraître plus saumâtre le grouillement du métro qu’il prenait chaque matin et chaque soir pour quitter ou regagner sa modeste chambre du Quartier latin.
— Les heures paraissent longues, Stéphane, quand on les a toujours vides devant soi. Surtout en cette saison où les soirées sont interminables, où le jour n’en finit pas de mourir. Regarde, on voit encore une traînée rose au fond du ciel.
— L’heure où les muses descendent sur terre pour retrouver leurs jeunes amants, musiciens ou poètes…
Impossible d’entretenir une conversation avec un estomac ! Jamais il n’avait aussi nettement éprouvé l’exactitude du proverbe : « Ventre affamé n’a pas d’oreilles. » Il est vrai que Julien avait également sommeil en d’autres circonstances : en particulier quand il n’avait plus faim, car il avait alors trop mangé.
Ce n’était pas le moment de donner prise aux malentendus, mais, au contraire, de maintenir leurs relations sous le couvert de l’amitié. Pour lui, rien de plus facile; il l’aimait bien, il l’aimait tendrement comme une petite sœur, comme une gentille camarade que l’on est heureux de sentir près de soi, mais dont l’absence ne vous fait pas souffrir.
Pour elle, l’amitié était un mensonge permanent, un masque qu’elle ajustait difficilement sur son visage et qui la gênait de plus en plus. Stéphane était son premier amour; Stéphane le savait, mais, ne pouvant se mettre à l’unisson, faisait semblant de l’ignorer.
L’obligation de gagner sa vie, d’une manière ou d’une autre, lui paraissait extrêmement ennuyeuse — en quoi il ne faisait preuve d’aucune originalité, l’immense majorité du genre humain se trouvant dans son cas.
Elle me rapportera peut-être un jour. Je sais qu’il n’est pas facile de réussir dans ce domaine, mais je dois essayer. Cette satanée musique, comme vous dites, j’en fais depuis l’âge de cinq ans, vous entendez, cinq ans ! Les derniers temps, je travaillais six et huit heures par jour, au point que, le soir, je pouvais à peine remuer les doigts. Mes parents ont tout fait pour que je devienne un grand musicien, et maintenant, au moment où je commence à prendre confiance en moi, vous voudriez que je laisse tout tomber pour un emploi quelconque ?
Le marquis est un peu pète-sec, mais tout le monde s’accorde à lui reconnaître des qualités de cœur. Quant à son fils, je le connais moins. On le prétend ombrageux, mais il faut se méfier des on-dit.