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Citations de Adolphe d` Ennery (11)


M. Hébert arriva à l’auberge où l’attendait le
chevalier juste au moment où Marest et ses
agents venaient d’arrêter M. de Vaudrey et
Picard.
En se rendant à l’hôtellerie, le docteur Hébert
avait jugé la présence de Roger indispensable au
chevet de sa cliente.
Grâce à son intervention, l’employé de police
s’était rendu aux raisons formulées par le docteur,
qu’il savait fort avant dans l’intimité du comte de
Linières.
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Ne vas-tu pas te faire de la bile. Bah ! il ne faut pas pleurer avant d'être battu.
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Vers la fin du règne de Louis XV, à l’époque
où le successeur de Louis le Grand en était à se
défendre, et à se mal défendre, d’autoriser le
pacte de famine en se faisant lui-même
accapareur de grains, une grande misère désolait
la France.
L’hiver vint l’augmenter encore, un hiver
d’une violence rare dans nos climats, mais qui,
malheureusement, devait se reproduire quelques
années plus tard et amener les plus terribles
désastres.
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Quand Pierre eut refermé la porte du taudis, pour courir, affolé, chez le docteur Hébert, la Frochard entra dans une nouvelle phase de fureur.
La mégère était tombée, la tête portant sur l'escabeau; un cri de douleur s'était échappé de sa gorge. Cette chute sembla produire une réaction momentanée, car la Frochard s'écria :
- À moi !... Au secours !... À moi, Pierre !
Puis elle essaya de se lever. L'effort fut vain et la patiente retomba plus lourdement sur le carreau.
Là, elle s'escrima en de nouveaux efforts, se traînant, cherchant à s'accrocher des ongles à quelque chose qui pût lui fournir un appui qui l'aidât à se remettre sur ses jambes.
Elle rampait comme un reptile tout en hurlant, en exclamant des imprécations et des blasphèmes.
Bientôt, la violence de l'effort inutile qu'elle avait fait provoqua un nouvel anéantissement. La misérable demeura inerte, les bras étendus. On eût pu la croire morte.
C'était la période d'anéantissement après laquelle devait se produire un réveil accompagné de nouvelles agitations furieuses et d'horribles violences. La veuve du supplicié n'attendit pas longtemps ce réveil. Revenue de cette sorte de syncope qui la tenait, inerte, sur le sol, elle trouva tout à coup la force de se relever.
Et l'hallucination s'empara une fois encore de son cerveau.
Pour cette misérable atteinte de folie alcoolique, l'aveugle qu'elle martyrisait jadis était toujours dans le galetas où elle l'avait enfermée, la privant de nourriture jusqu'à ce qu'elle eût consenti à mendier.
Elle se disait, dégageant de lointaines pensées des ténèbres qui envahissaient son cerveau, que son Jacques allait venir et qu'il fallait préparer le souper.
Alors, en titubant, elle s'approcha de la table où se trouvait ce qu'autrefois elle appelait "son lustre" : un bout de chandelle puante fiché dans le goulot d'une bouteille.
Sa main agitée d'un tremblement fit le simulacre de dresser un couvert sur cette table où gisait, renversée, la bouteille qui avait contenu de l'eau-de-vie.
Puis tout à coup elle dressa l'oreille, comme si elle eût songé à celle qu'elle appelait "son rossignol".
Elle eut un cri de rage.
Et tendant son poing fermé vers la porte du grenier :
- Attends, gueuse ! hurla-t-elle... Attends !... J'vas t'faire pleurnicher, guenille !... Attends-moi, je t'apporte ton diner, canaille qui m'vole l'pain qu'j'y donne !...
Saisissant alors d'une main la bouteille vide, et de l'autre, la bouteille qui servait de chandelier, la Frochard se mit en marche pour atteindre l'escalier...
Mais elle chancelait. L'ivresse revenait plus violente que jamais. La mégére tournoyait, trébuchait, se heurtait...
Soudain, elle poussa un cri, et lácha les objets qu'elle tenait. La chandelle glissa au bas de ses jupes effilochées...
Une langue de feu lécha l'étoffe humide qui grésilla lentement, dégageant une fumée puante.
Puis le feu gagna le haut des jupes, communiquant l'incendie aux hardes.
La Frochard se trouva bientôt entourée de flammes.
Le feu commençait à lui mordre les chairs.
La douleur dissipant tout à coup l'ivresse, la misérable créature comprit, dans un retour subit de lucidité, l'effroyable danger qu'elle courait.
Elle poussait des cris de hyène et se démenait comme une possédée, appelant au secours...
Les flammes augmentaient, activées par les mouvements violents de l'affolée.
- Sauvez-moi !... Sauvez-moi !... suppliait la misérable en se tordant...
Ses mains cherchaient à arracher les hardes en feu et rencontraient la flamme qui les dévorait.
Les cheveux s'enflammant entourérent cette hideuse tête d'un bandeau lumineux...
La Frochard s'élança vers la porte qu'elle ouvrit...
La voici dans la rue... Elle pousse des cris terribles et court, spectre enflammé, appelant au secours...
Dans les masures dont les portes sont depuis longtemps fermées, on a entendu.
Mais qui voudrait s'occuper de la veuve du supplicié ?
Chacun hausse les épaules en disant :
- C'est encore cette gueuse qui est saoule !...
Et pendant ce temps, la misérable parcourt le quartier en hurlant.
Cette fois, elle est parvenue à attirer l'attention. Quelques portes se sont ouvertes. Mais en voyant l'horrible tableau de cette femme tout en feu, personne ne veut s'approcher... On la fuit comme un danger... On s'éloigne avec horreur de cette créature éperdue qui peut communiquer le feu à ceux qui chercheraient à lui porter secours...
Et les portes se referment.
Toute cette scène s'est passée rapidement.
La Frochard retourne sur ses pas...
La voici de nouveau dans son taudis. La douleur l'a terrassée. Elle roule sur le sol, en proie à d'épouvantables convulsions... Et les flammes qui n'ont plus de haillons à dévorer, s'attaquent maintenant aux chairs.
Ce n'est plus bientôt qu'une masse informe, hideuse, qui se roule avec d'effroyables contorsions...
Ce corps en feu est arrivé à proximité du grabat auquel il communique l'incendie.
Par la porte demeurée ouverte, le vent s'engouffre attisant le foyer incandescent...
Les flammes montent...
Au bout de quelques minutes, toute la masure est en feu...
Le corps de la Frochard achève de brûler au milieu de l'immense fournaise...
Et dans cette rue de Lourcine, les habitants demeurent indifférents à cet incendie qui fait rage sur une masure isolée.
Il semble qu'on soit satisfait, dans ce quartier, d'être, du même coup, débarrassé de l'antre et des fauves, car on ne doute pas que la Frochard et Pierre n'aient trouvé la mort dans l'incendie qui a détruit leur masure.
Quand les agents de police et les soldats du guet, attirés par la nouvelle que le feu s'était déclaré dans le quartier de la Bièvre, arrivèrent sur le lieu du sinistre, il ne restait plus que des amas de décombres fumants.
Le foyer de l'incendie était absolument circonscrit. Il n'y avait rien autre à faire qu'à laisser le feu s'épuiser et s'éteindre faute d'aliment. Après cette alerte, les habitants du quartier refermèrent leurs portes, sans accorder un regret à la Frochard.
Quant au pauvre Pierre, à peine eut-on pour lui un mouvement de pitié.
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Charles d'Ouvelles avait subitement interrompu son discours, comme s'il eût perdu l'usage de la parole...
Sur son visage, se lisait une expression de terreur qu'il s'efforçait vainement de dissimuler. Ses yeux grands ouverts, effarés, roulaient dans leur orbite, témoins d'une insurmontable épouvante... Le gouverneur et la marquise, qui se trouvaient en face de l'officier avaient été les premiers frappés du changement qui se produisait en lui. Ils voulurent s'approcher de la table, et déjà le gouverneur avait prononcé ces mots :
- Qu'avez-vous donc, d'Ouvelles ?
Mais, sans articuler une parole, l'officier, de la main, fit signe au marquis de ne pas approcher.
Puis ses yeux fixes commandaient à l'assistance de se tenir immobile. Cette pantomime, bien que n'ayant duré qu'une seconde, avait jeté une grande inquiétude dans l'esprit de tous...
On se figurait M. d'Ouvelles atteint d'aliénation mentale, d'une façon foudroyante...
Déjà, le gouverneur voulait aviser, lorsque l'officier se décida enfin à parler...
D'une voix qu'il parvint à rendre entièrement calme, il prononça lentement les paroles suivantes :
- Pour votre salut, monsieur le gouverneur !... N'avancez pas vers moi !... Je ne voudrais pas jeter l'épouvante parmi vos invités, mais il ne m'est plus permis de taire ce qui arrive...
J'ai, en ce moment, enroulé autour de ma jambe, un de ces serpents dont le venin ne pardonne pas... Un "cobra-capello" !
Un frémissement d'horreur, à ces mots, parcourut l'assistance, et déja bon nombre d'invités cherchent à fuir...
Marianne qui tenait, elle aussi, sa place à la table du personnel, avait été la première à s'apercevoir du voile de pâleur qui s'était étendu sur les traits de l'officier.
Elle n'avait plus détaché ses regards de ce visage livide...
Et, lorsqu'elle avait vu le marquis approcher, elle s'était levée à son tour, prête à s'élancer pour porter secours à celui qu'elle aimait...
Mais, en entendant la déclaration que venait de faire le lieutenant, elle comprend que c'est la mort sans rémission pour le malheureux qu'elle voit encore plein de vie, et qui, dans quelques minutes peut-être, ne sera plus qu'un cadavre.
Elle se souvenait des détails si dramatiques de la mort de Scipion; elle se rappelait tout ce que M. Gaston de Saulny avait raconté du cobra-capello. Épouvantée comme tout le monde, mais plus que tous, atteinte au coeur par la certitude que le lieutenant va succomber, et que son corps s'agitera bientôt dans le splus effroiyables convulsions, folle de désespoir, elle demeure un instant fascinée par le regard que lui adressait l'officier (...)
Charles d'Ouvelles leva tout à coup les bras au ciel...
Son visage s'éclaira d'une lueur inattendue...
Ses traits se détendirent, et un espoir inexpliqué brilla dans ses yeux...
Puis, haletant d'émotion, il prononça ces mots :
- Un miracle semble s'accomplir !...
- Un miracle ? répondit-on.
- Oui. Je sens que le reptile se déroule !... Il descend !... Il glisse lentement... bien lentement... Le voilà sur mes pieds... il... il s'en éloi- gne !... Il est parti !... Parti !...
La surprise et la joie étaient générales.
À ce moment un incident nouveau se produisit, non moins terrible, non moins émouvant que celui qui venait d'avoir lieu. Tous les regards s'étaient dirigés vers un autre point du jardin.
Instinctivement, Charles d'Ouvelles se retourna...
Et un cri de reconnaissance et d'admiration vint expirer sur ses lèvres...
Marianne était là, derrière lui, à quelques pas, tenant dans les mains une grand jatte de lait...
L'exilée avait profité de la terreur générale pour se retirer, lentement d'abord, puis, lorsqu'elle s'était trouvée hors du parc, elle avait couru vers l'habitation...
Et elle était revenue, se glissant entre les groupes...
Elle était là, immobile comme une statue !...
Les yeux fixés sur le sol, elle paraissait attendre quelque chose...
À la vue de cette femme qui, seule, avait eu une inspiration au milieu de l'affolement général, tous demeurèrent haletants...
Qu'allait-il se passer ?...
L'exclamation de l'officier avait été comme un cri de délivrance !...
Le sang avait circulé plus librement dans les veines...
L'espoir était entré dans les cœurs !... Mais une anxiété nouvelle s'est emparée de tous les assistants...
Ainsi que nous venons de le dire, Marianne est là, la jatte dans les mains, les yeux fixés sur le sol...
Elle attend !...
Malgré sa volonté ferme de ne pas broncher, un imperceptible tremblement agite ses mains...
La scène a pris tout d'un coup un caractère de grandeur inouï dans sa simplicité...
Malgré l'horreur instinctive qu'elle éprouve à la vue du reptile qui se dirige vers elle, la jeune femme est demeurée stoïquement à la même place; son corps ne bronche pas.
Le reptile qui a paru sur le sol, rampe maintenant, comme attiré...
Et sa langue fourchue sort et pourlèche avec précipitation...
Marianne attend toujours...
Soudain, le cou du serpent s'allonge...
Le corps avance.
Puis, il se replie sur lui-même; et, d'un bond prodigieux, il décrit une courbe dans l'espace demeuré vide entre l'officier et la détenue...
Marianne a étouffé un cri de surprise et de terreur...
Avec une force de volonté incroyable, elle demeure rivée au sol pour ne pas fuir, éperdue...
Le cobra-capello se dirige vers elle...
En quelques ondulations, il va l'atteindre...
L'assistance est à bout de forces et d'émotion...
En dépit des recommandations du lieutenant, une déchirante exclamation s'élève, partant de toutes les poitrines à la fois...
C'est que le serpent s'est élancé sur Marianne...
Il a déjà atteint la ceinture et se dresse de nouveau...
Sa tête s'allonge le long du cou qu'il entoure de son corps comme d'un collier...
Et, avec une effroyable coquetterie, il semble se délecter en contorsions amoureuses...
Puis il se glisse le long du bras...
Il arrive enfin jusqu'à la jatte...
Le vase tenu à deux mains, deux mains tremblantes, deux mains crispées par le contact glacé du reptile, le vase a subi une oscillation...
La jatte vacille dans les mains de Marianne, comme si elle allait tomber avec fracas...
Si l'accident se produit, si le lait convoité se répand sur le sol, le serpent, terrible dans sa colère, se redressera furibond... Alors c'en sera fait de l'héroïque femme...
Marianne a compris...
Sous la pression du corps visqueux, elle trouva la force de raidir ses bras...
Ses doigts serrés en étau maintiennent le vase...
Et le reptile plonge sa tête et aspire le lait...
Alors, Marianne se baisse peu à peu, profitant de ce que le reptile a plongé sa tête et aspire gloutonnement le liquide crémeux...
Elle a pu se mettre sur les genoux...
Qu'attend-elle ? Que va-t-elle faire ?...
Soudain, lorsque le serpent a complètement disparu dans la jatte, Marianne, d'un rapide mouvement des bras, retourne le vase sous lequel le cobra-capello demeure prisonnier !...
D'un bond, Charles d'Ouvelles s'est avancé; il maintient le vase renversé.
Alors, de tous les points, l'on court à Marianne...
On l'enlace, on l'étreint !... Tous les bras veulent l'atteindre !... On l'entoure, on l'enlève !...
Le Gouverneur s'est avancé l'un des premiers...
Il écarta tout le monde, et, saisissant les deux mains de la détenue, il les presse dans les siennes !...
La marquise succombant à l'émotion ne trouve pas de mots pour peindre ce qu'elle éprouve...
Et de ses lèvres frissonnantes, pâles encore de l'impression qu'elle a ressentie, s'exhalent ces mots :
- Oh !... Mon enfant !... Mon enfant !... Quel courage ! Quelle sublime abnégation !
Les domestiques se sont précipités pour tuer le serpent retenu prisonnier sous sa jatte...
Charles d'Ouvelles le leur abandonne...
Et suffoquant d'émotion... Ivre d'amour, il a pris Marianne dans ses bras... Il la tient étroitement appuyée contre sa poitrine, il laisse échapper ces mots dans un élan irrésistible du cœur :
- Oh ! Merci !... Merci !... Je vous dois la vie !... Je veux désormais vous consacrer la mienne !...
Yvonne arrivait, à ce moment, appuyée au bras de son mari.
Allant au devant de la détenue, elle l'attira à elle, et l'embrassa sur les deux joues.
C'était la réhabilitation accordée à celle qui était arrivée dans la colonie comme une coupable...
À partir de ce moment, le châtiment cessait pour elle; l'expiation avait assez duré; l'heure sonnait pour cette malheureuse de se croire pardonnée !...
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On sait que Marianne était autorisée à suivre ses maîtres pendant les promenades dans le parc.
Elle écoutait, fort effrayée aussi de ces histoires, ayant eu, des son enfance, une répulsion instinctive pour les reptiles, même ces inoffensils petits lézards que, dans les campagnes, les loustics glissent dans le dos des jeune filles.
Marianne se souvenait d'avoir été en proie à une violente attaque de nerfs, le jour où sa camarade, la nièce de l'aubergiste, lui avait placé un de ces petits reptiles, mort, dans son panier à goûter.
En entendant parler d'un serpent à sonnettes qui avait abandonné la poursuite d'un chasseur pour aller têter une jument couchée dans la prairie voisine, Marianne se trouva vivement intéressée.
La chose ayant paru par trop fantaisiste, la marquise et Yvonne, malgré leur frayeur, avaient cru devoir protester de leur incrédulité par des éclats de rire à l'adresse du narrateur.
Mais le Gouverneur prit à témoin son futur gendre, en disant :
- Voyons, mon cher Saulny, vous qui avez parcouru les forêts vierges, dites à ces dames que je ne leur en impose pas.
- Bien au contraire, monsieur le marquis, vous restez au-dessous de la vérité ! Tenez, moi, par exemple, j'ai été aux prises avec un singulier couple...
- De serpents ? demanda Yvonne.
- De ces serpents noirs qu'on croirait absolument inoffensifs à les voir se balançant aux branches des corosoliers, dont ils creusent les fruits verts, pour s'en faire de petites chambres à coucher suspendues et balancées par la brise.
- Mais c'est très poétique ce que vous nous dites là ! fit, en souriant, la marquise.
- C'est surtout absolument vrai !
- Continuez donc, Gaston ! prononça le Gouverneur, qui flairait une anecdote intéressante.
Marianne écoutait de toutes ses oreilles, les yeux fixés sur le jeune homme qui parlait avec animation, comme s'il se fût trouvé encore en présence des reptiles qu'il avait combattus.
Gaston de Saulny continua :
- J'étais en chasse, poursuivant de branche en branche, une volée de perroquets gris...
- Oui, interrompit le marquis, les perroquets gris du Mexique, les plus faciles à apprivoiser et qui arrivent à parler presque aussi clairement que des personnes...
- Au point que l'on raconte que certain perroquet de cette espèce ayant réussi à s'échapper de sa cage aurait enseigné à parler à tous ses congénères vivant dans les forêts...
- Je connais la suite; des nègres stupéfaits les prirent pour des dieux et se prosternèrent sous l'arbre où se trouvaient les perroquets gris.
- Une légende ! fit la marquise.
- Mais revenons aux serpents noirs ! insista Yvonne.
- Ah oui ! Mes deux "cobras-capellos" : dans le pays. c'est ainsi qu'on les nomme. Figurez-vous donc que les deux reptiles s'étaient enroulés å une branchette, par le bout de la queue, et se balançaient en se regardant amoureusement !... Je ne les avais pas encore aperçus et je me trouvais précisément sous un gros magnolia sauvage au sommet duquel caquetaient mes perroquets... Dans nos forêts, il faut toujours s'attendre à des surprises plus ou moins agréables. Aussi je ne me hasardais pas souvent en chasse sans mon compagnon ordinaire.
- Un ami ? fit Mille Yvonne.
- Un nègre, mademoiselle !... Ce qui ne l'empêchait d'être plus dévoué que le meilleur des amis... (...)
Il semblait que le jeune Saulny prit plaisir à parler de son compagnon noir. (...)
- Oh ! Oh ! prononça Mille Yvonne, c'était là de l'amitié tout à fait fraternelle.
- De la part de Scipion, répliqua Gaston de Saulny, c'était un dévouement sans bornes, ainsi que vous allez en juger bientôt.
Il avait poussé un soupir et continua en ces termes, revenant à son récit de chasse :
- Scipion avait aperçu le couple de serpents avant moi, les nègres ont un instinct particulier pour reconnaître la présence de reptiles, même lorsque ceux-ci sont cachés à quelque distance. Bref, mon compagnon me dit tout bas :
- Maître... Des cobras... Ils sont deux !... C'est le mari et la femme... Faut prendre garde, maitre; Cobra n'aime pas être dérangé quand il promène avec femelle !...
Tout à coup, en levant la tête, mes yeux rencontrent les petits yeux vifs d'un des reptiles, dont je vis la langue fourchue paraître et disparaitre avec rapidité, comme si le serpent se fût pourléché, après un excellent repas...
Je le couchai en joue... mais, aussitôt, un sifflement se fait entendre et le second serpent, que je n'avais pas encore aperçu, s'élançait !
- Oh mon Dieu ! s'écrièrent en même temps la marquise, Yvonne et Marianne...
- Je m'étais baissé vivement... Le reptile passa par-dessus mon dos et alla se placer à quelques mètres, immobile, et comme étonné d'avoir manqué son élan !...
Mais je ne pris pas le temps de l'observer; connaissant sa façon de procéder, je l'attaquai d'un coup de la baguette de mon fusil qui lui brisa la colonne vertébrale; puis, de plusieurs autres coups, je le séparai en deux...
Les deux tronçons frétillaient convulsivement. C'était le måle... Je l'avais reconnu aux anneaux qui enroulaient d'un liseré noir vif la naissance du corps...
- Bon, fit le marquis, je vous vois maintenant aux prises avec la veuve...
- Et je pus me rendre compte de l'influence du chagrin sur la gent reptile !... La femme de mon cobra-capello siffla rageusement à son tour, et en trois bonds, eut rejoint le corps inanimé de ma victime, comme pour s'assurer du trépas de son compagnon.
Puis il sembla qu'elle voulût le venger sur-le-champ. En effet, le reptile se dressa sur sa queue et se tourna vers moi...
J'étais perdu !...
- C'était le cas d'avoir sous la main quelque jatte de lait... s'exclama le gouverneur.
- Du lait ? fit Yvonne.
- Oui, les serpents ne résistent jamais à la vue du lait dont ils sont absolument friands... Et ils abandonnent l'ennemi pour satisfaire leur gourmandise.
- Or, continua Gaston de Saulny, comme je n'avais pas de lait à ma disposition, pas même celui d'une jument se vautrant dans l'herbe, ajouta- t-il plaisamment, force fut d'avoir recours à un autre moyen pour me débarrasser de mon terrible adversaire. (...) Le péril était imminent.
- Parbleu ! Vous risquiez la mort...
- J'ai entendu dire, interrompit la marquise, que la morsure du serpent noir de la Louisiane est mortelle...
- Absolument, madame la marquise... La mort est instantanée, foudroyante, fit Gaston.
En ce moment, Yvonne se tournait vers Marianne, qui paraissait avoir éprouvé une grande terreur de ce qu'elle venait d'entendre raconter. Le narrateur reprit en dramatisant autant que possible son récit :
- La femelle me poursuivait; elle allait s'élancer; et, dans sa colère, il y avait lieu de croire qu'elle ne m'épargnerait pas... Que faire ?... Fuir était impossible, malgré toute la vitesse que j'aurais déployée, je ne pouvais échapper, car le cobra-capello, en quelques bonds, devait me rejoindre... J'étais, d'ailleurs, cloué sur place.
La baguette de mon fusil à la main, je me résignai à attendre le moment propice pour attaquer le reptile. Pour cela, il m'était interdit de marcher à l'ennemi... Il me fallait pour ainsi dire l'atteindre au vol, au moment où il s'élancerait...
À ce moment de la narration, il y eut un frémissement parmi les personnes présentes. (...)
- L'instant était suprême, reprit Gaston de Saulny... Je pensais à me faire de mon chapeau de paille un bouclier pour garantir mon visage... Et, résolument, je fis tête à mon adversaire...
À ce moment je poussai un cri terrible. Scipion s'était précipité au devant du cobra; il me faisait un rempart de son corps !... Le serpent siffla; d'un bond, il vint s'enrouler autour du bras de mon compagnon. Et sa tête aplatie frôla la chair...
Scipion tourna vers moi des regards affolés; et, instantanément, je le vis s'affaisser, se tordre dans d'épouvantables convulsions; puis son corps demeura rigide. Il était mort, foudroyé par le venin du cobra-capello...
Alors j'eus le temps de m'élancer, la baguette à la main; je frappai le serpent que je parvins à tuer sur le corps même de sa victime... Mon pauvre Scipion m'avait sauvé la vie, et était mort, victime de son affection et de son dévouement pour moi !...
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Au bout de quelques minutes, il se fit un bouillonnement à la surface de la lame...
La tête du requin émergea de l'écume... Tiré vigoureusement, le monstre semblait nager avec fureur, comme s'il eût voulu s'élancer sur le pont du navire...
- Au large, vous autres ! commanda le quartier-maitre.
Et aussitôt il y eut un mouvement rapide de recul parmi les femmes. Marianne, involontairement, s'était cramponnée au bras du lieutenant.
S'apercevant alors de ce mouvement, dont elle n'avait pas eu conscience, émotionnée comme elle l'était, elle s'empressa de s'éloigner de Charles d'Ouvelles.
Mais lui l'attira de nouveau en lui disant :
- N'ayez pas peur; il est mort.
Mais comme pour lui donner un démenti, la tête du requin, en arrivant au bordage eut un effroyable grincement des mâchoires.
Il fallait prendre, à ce moment-lå, des précautions indiquées, afin d'éviter les accidents; car, mis à sec, le requin devient furieux, son agonie est parfois terrible, épouvantable. (...)
Lorsqu'il parut au haut du bordage, une clameur de joie s'éleva et chacun se mit à applaudir.
Au bruit qui se faisait sur le pont, le médecin-major avait quitté sa cabine et accourait.
Lorsqu'il eut aperçu le requin, il s'avança en s'écriant :
- Ne l'abîmez pas !... Ne l'abîmez pas !... Je vais le disséquer proprement; et nous aurons là un magnifique spécimen.
- Mais, interrompit le commandant du bord, je me proposais d'offrir la tête de ce monstre-là au gouverneur de la Louisiane.
- Vous lui offrirez le squelette tout entier, mon ami...
Tous les vieux loups de mer qui se trouvaient parmi l'équipage accueillirent l'idée du médecin avec un grognement qui signifiait qu'on leur enlevait ainsi leur part de la prise.
Aussi le pêcheur, le quartier-maitre, et quelques matelots qui tenaient les cordes qui entouraient le poisson, se relâchèrent-ils des précautions observées jusque-là, croyant le monstre passé de vie à trépas.
Du reste, le requin demeurait dans la plus grande immobilité, et il y avait lieu de croire qu'il était bien mort.
On commençait déjà à s'approcher de lui sans terreur.
Les passagères, curieuses de voir la structure de cette formidable mâchoire, avançaient la tête...
Et c'étaient des exclamations de surprise et d'effroi.
Le médecin-major était allé chercher sa trousse pour procéder à la dissection.
Il revenait juste au moment où les marins avaient placé des baquets d'eau de mer et des éponges pour étancher le sang qui ne pouvait manquer d'inonder le pont, lorsque commencerait l'opération.
Tout à coup, le requin fit un bond prodigieux, portant ainsi la confusion et la terreur dans l'assistance.
Le monstre se réveillait, formidable.
Les femmes s'étaient enfuies en poussant des cris d'alarme...
Les matelots eux-mêmes, connaissant les habitudes du squale, avaient pris la précaution de se dissimuler, qui derrière les mâts, qui derrière la clairvoie de la dunette; d'autres derrière les cages à poules qui se trouvent sur le pont et où l'on conserve la volaille vivante pour la traversée.
Le lieutenant d'Ouvelles était demeuré à quelques pas du requin. Seul le contre-maître avait couru à la salle d'armes et décroché une hache d'abordage...
Il arrivait, brandissant son arme.
Et, lançant un regard ironique au docteur qui n'était rien moins que rassuré :
- C'est moi qui vais disséquer ce marsouin-là, s'écria-t-il.
Puis, fonçant sur le requin, la hache haute, il appliqua un coup terrible qui lui brisa l'épine dorsale, à l'endroit de la nuque. Et renouvelant cette formidable attaque, à l'endroit même de la blessure, il sépara la tête du reste du corps...
Les chairs du monstre eurent un frémissement d'agonie; et ce corps décapité sursauta sur le pont...
Mais un cri de stupeur et d'effroi s'échappa de toutes les poitrines, lorsqu'on vit cette tête, mâchoires ouvertes, s'élancer et incruster sa double rangée de dents dans le bois du grand mât.
Cette gueule se referma sur le bois dur, et la contraction de l'agonie se produisant, la tête du requin demeura fixée au mât, sanglante, les yeux ouverts avec ses regards fixes...
Il y avait bien là de quoi terrifier toutes ces femmes, qui, jusque-là, n'avaient pu se faire aucune idée d'un monstre de cette espèce.
C'est à peine si quelques-unes d'entre elles avaient entendu prononcer le nom de ce squale vorace.
Marianne était de ce nombre.
Elle s'était, comme toutes les autres, réfugiée du côté de la dunette, et le hasard l'avait placée, cette fois encore, assez près de M. d'Ouvelles et du médecin.
Ce dernier était furieux de ce que le requin avait été décapité par le quartier-maître qui grommelait entre ses dents :
- "Requin qui se défend, grand vent !...
Requin qui perd la tête, tempête !
Requin qui reprend l'eau, chaloupe à l'eau !"
- Qu'est-ce qu'il dit là ? demanda Marianne au lieutenant.
Ce fut le médecin-major qui répondit:
- Ils ont comme ça, dans leur Basse-Bretagne, un tas de vieux proverbes et de légendes qui n'ont ni queue ni tête...
Mais la parole s'arrêta net sur les lèvres du sceptique docteur.
Le corps du requin, dans une dernière convulsion, venait de faire un bond prodigieux : il passa par-dessus le bastingage et disparut dans les flots, au milieu d'un jaillissement d'écume...
La stupeur était générale.
Le quartier-maître devint subitement påle.
En vrai Bas-Breton qu'il était, il se signa et, les yeux levés au ciel, il murmura :
- "Requin qui reprend l'eau, chaloupe à l'eau."
Cette fois, Marianne éprouva un tressaillement subit.
Elle regarda le lieutenant.
Celui-ci s'efforça de sourire et haussa les épaules.
L'incident de la tête du monstre continua de préoccuper l'assistance.
Cependant le commandant avait donné l'ordre de faire rentrer les captives dans l'entrepont. Puis il avait voulu faire disparaître cette hideuse tête qui s'obstinait à mordre le måt. Mais c'est en vain qu'on l'attaqua à coups de hache; les chairs volèrent en une bouillie éclaboussant les matelots; les os furent broyés; on eut beau frapper à tour de bras, on ne parvint pas à faire lâcher prise à ce qui restait de la hideuse mâchoire.
Force fut de laisser les dents incrustées dans le bois.
Pour les arracher, il eût fallu attaquer le mât lui-même à coups de hache. Les matelots étaient silencieux, car le quartier-maître avait toute leur confiance; et le vieux marin disait tout haut qu'il aurait donné toutes ses épargnes du voyage pour n'avoir pas rencontré ce maudit animal.
Et il répétait en secouant la tête :
- Triste présage !... Triste présage !
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- Eh bien, la mère ! Me voilà veuf !... J'ai "égaré" la Marianne !
- Qu'est-ce qu'elle est devenue ? interrogea la Frochard.
- Elle a voulu s'échapper de mes griffes, qu'elle a dit ! Et puis des bêtises... Redevenir honnête fille, enfin quoi, elle s'est fait coffrer... Par vertu !... L'imbécile !
- J'ai toujours pensé qu'elle finirait mal, répond la Frochard... Faut-y qu'elle ait de mauvais sentiments !... Elle qui aurait dû être fière d'être la femme d'un bel homme comme toi !
- Elle aime mieux coucher à La Salpètrière...
- Et peut-être bien finir par laisser ses os à la Guyane... Une si belle fille, à ce que tu me disais ! Mais, vois-tu, Jacques, quand on a la bosse de l'honnêteté, y a pas de remède, c'est un vice dans le sang !
- Enfin, la v'là retranchée, faut plus qu'on m'en parle !...
- Pardienne, mon chérubin, puisqu'elle est en cage... Faut t'remettre en chasse pour en trouver une autre !... N'en manque pas qui seront ben heureuses...
- J'te crois; mais la première qui me tombera sous la main... Je la dresserai solidement !... J'avais des faiblesses pour cette ingrate de Marianne; elle en a abusé... C'est bien fait pour moi; mais si je la tenais !...
Et d'un coup de poing, Jacques faillit démolir la table sur laquelle il s'était accoudé.
- Bon ! ricana la Frochard, v'là que tu vas réveiller ma pensionnaire.
- Qui ça, ta pensionnaire ? Qu'est-ce t'as encore ramassé dans la rue ? Un caniche perdu ? Faut le vendre tout de suite au tanneur. Il en fera de la peau de chevreau...
- La peau de mon caniche est blanche et rose, mon gars, et fine comme du satin...
Et indiquant le grenier :
- Ma pensionnaire est là !...
- Dans le grenier aux chiffes ?
- L'endroit n'est pas rupin, mais n'importe; elle a dû s'y trouver aussi bien que dans un palais, et elle y a dormi comme une princesse du sang...
Jacques s'était levé et allait se diriger vers l'escalier.
La Frochard le retint par le bras :
- Fais doucement, en cas qu'elle dorme encore... Mais tu peux risquer un œil, ça ne l'effarouchera pas. Elle ne te regardera pas, pour sûr.
- Pourquoi ça, la mère ? J'suis bon à contempler.
- Elle est aveugle, mon chérubin !
- Pour lors, j'ai tout le temps de la voir... Une aveugle, c'est pas mon affaire... V'là donc que maintenant tu vas fonder un hospice pour les incurables ? Avec l'bancroche et l'aveugle, n'y a plus que des infirmes dans la maison, ricana Jacques en allant se jeter dans le vieux fauteuil du supplicié.
- Eh ! prends donc garde, chérubin, tu vas chiffonner ma toilette des dimanches.
Et prenant le paquet qu'elle avait fait des hardes de Louise, elle le présenta à son fils, en disant :
- Ça sera le trousseau de celle qui remplacera la Marianne...
Puis, montrant les bijoux qu'elle avait enlevés à la jeune fille :
- V'là des affûtiaux qui valent leur pesant d'or et qui seront toujours bons...
- ... À vendre ! interrompit Jacques en soupesant les objets.
- T'as le goût du commerce, toi ! fit en riant la Frochard... Mais faut garder ces babioles. Nous allons gagner assez d'argent, maintenant, pour n'avoir pas besoin de nous défaire de nos joyaux. Je les aime, moi, les joyaux, ajouta-t-elle en plaçant, contre ses joues flétries, les boucles d'oreilles de Louise...
- Regarde un peu, mon Jacques, ça me va t'y bien ?
Mais une idée venait de surgir dans l'esprit du "chérubin".
- Si t'as une pensionnaire, dit-il, qu'est-ce que ça va nous rapporter ?...
- De quoi donner de jolies pièces blanches à mon Jacques, autant qu'il en voudra... Mais d'abord, faut que je t'explique.
Et la Frochard, s'étant assise sur la première marche de l'escalier, fit à son fils le récit de tout ce qui s'était passé depuis qu'elle l'avait quitté, la veille au soir, au cabaret...
- Mais c'est une vraie bonne fortune, ça, la mère !... Seulement si la
donzelle retrouvait... l'autre, sa sœur ?...
- Faut pas qu'elle la retrouve !...
- Alors tu te charges de la faire piailler ?...
- Comme un vrai rossignol.
- Au fait, ça doit roucouler, une aveugle... Puisqu'on crève les yeux aux chardonnerets pour leur donner le goût de la musique !... Mais je suis éreinté, la mère, bonsoir ! Je vais dormir sur mes deux oreilles...
- C'est vrai, mon chérubin, tu dois être bien fatigué, tu t'es tant amusé c'te nuit !... Tiens, jette-toi sur mon lit... et dors ! Pendant ce temps-là, j'vais apprivoiser mon chardonneret...
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- Comment, ma mère, hasarda-t-il avec timidité, vous allez dépouiller celle pauvre fille ?... Vous allez prendre tous ses objets ?
- Pardié ! riposta la mégère... Faudrait-y pas que je nourrisse Mademoiselle gratis, et à rien faire ?
- Mais... C'est voler ! s'exclama Pierre.
- Tiens, t'es par trop bète, l'avorton. Est-ce que tu crois que je vais en faire une duchesse, de c'te p'tite ?!
Elle prit un temps, comme si elle eût voulu préparer un effet.
Puis froidement, les yeux fixés sur le visage bouleversé du rémouleur, elle ajouta :
- Faut qu'elle "travaille" dès demain !
Pierre demeura silencieux sous ce regard qui, pour lui, indiquait une résolution inébranlable, pendant que la Frochard continuait :
- Je vas lui préparer tout de suite son trousseau, car faudra déguerpir au petit jour.
Hélas ! Le rémouleur n'avait pas eu besoin d'entendre ces dernières paroles pour penser que le supplice de l'aveugle commencerait bientôt.
La mendiante ne lui laissa pas le temps de douter de ses intentions.
- Va me chercher le paquet de chiffes qu'est là-haut, dans le grenier... Tu le trouveras bien sans lumière, j'suppose, puisqu'y n'y en a qu'un.
Pierre ne bougeait pas de place.
Ce que voyant, la Frochard, les poings sur les hanches, fit un pas vers lui, en s'écriant :
- Faut-y que tu sois lâche et ſeignant pour ne pas éviter une fatigue de marcher toute une sainte journée, pour "gagner" quelques sous ! Bien, mauvais cœur, j'y vas moi-même !
Elle se dirigea, en jurant, vers l'escalier qu'elle fit craquer sous ses pas lourds.
Pierre s'élança pour la retenir par la jupe.
Il venait de réfléchir que la vieille femme ne s'inquiéterait guère de réveiller Louise en sursaut, si toutefois la pauvre fille, succombant à la fatigue, avait pu s'endormir.
Il se résignait à obéir.
Il était bien certain, lui, qu'il saurait marcher assez doucement pour ne pas interrompre le sommeil de sa protégée. Aussi eut-il, malgré son infirmité, des précautions de chat, pour gravir les marches sans faire crier le bois. Il ouvrit la porte, en la tenant soulevée, car il savait que les gonds rouillés grinçaient en tournant.
Et, lentement, il s'introduisit dans le grenier.
Il y faisait presque clair.
Un faible rayon de lune, filtrant entre les essentes disjointes de la toiture, venait se jouer sur la botte de paille et la misérable couverture qui composaient le grabat de Louise.
Pierre passa comme un fantôme devant ce grabat, sans oser tourner les regards vers la dormeuse...
Il retenait son haleine, de peur que la jeune fille pût se douter que quelqu'un eût osé s'introduire dans l'endroil où elle reposait... Le cœur du brave garçon battait bien fort, et sa main tremblait lorsqu'il saisit le paquet de baillons qu'il souleva sans bruit... Chargé de son fardeau, il voulut regagner la porte au plus tôt.
Mais il lui sembla que, maintenant, ses jambes allaient se dérober sous lui...
Il s'arrêta une seconde, pour se remettre...
Il était, sans s'en rendre comple, si ému, si troublé, qu'involontairement, ses regards se portérent sur la jeune fille...
Le visage de la dormeuse saillait, à peine éclairé, sur le sale de la couverture qui recouvrait tout le reste du corps... Pierre contempla ces traits qui, pendant le sommeil, avaient conservé l'expression d'une profonde tristesse... Ce visage reflétait toutes les émotions éprouvées, toutes les transes, que venait de subir la jeune fille...
Il sembla même à Pierre que la dormeuse sanglotait en rêvant..
La poitrine de Louise se soulevait sous l'effort d'une respiration saccadée, et l'on devinait que le corps était violemment agité, sous l'influence de quelque rêve douloureux.
- Pauvre fille ! pensa le rémouleur.
Une larme s'échappa de ses yeux, et il s'éloigna, en soupirant, du grabat de l'infortunée...
Tout à coup, au moment de refermer la porte derrière lui, il s'arrêta de nouveau pour écouter...
Il lui avait semblé entendre parler dans le grenier.
Il ne se trompait pas...
C'était Louise qui, dans son sommeil, murmurait :
- Henriette !... Me voici !... Pourquoi... m'as-tu... abandonnée ?... Henriette !... Sauve-moi !... Sauve-moi !...
- Qu'est-ce tu fais donc là, planté comme un pieu ? cria la Frochard en interpellant son fils... Est-ce qu'y faut que j'aille t'aider, feignant ?
Le rémouleur descendit l'escalier, toujours en ayant soin d'assourdir le bruit de ses gros souliers ferrés.
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Henriette endormie avait une beauté angélique.
Les émotions violentes qu'elle avait subies avaient répandu sur son visage un voile de mélancolie.
Ses paupières, un peu entr'ouvertes, laissaient voir l'œil sous la frange soyeuse des cils...
Les lèvres n'avaient pas perdu leur vif incarnat, malgré les souffrances morales qu'avait endurées la pauvre fille.
Il y avait enfin dans l'ensemble de cette physionomie un air de douceur et de placidité de l'âme qui attirait la sympathie.
Peut-être en apercevant cette jeune fille qu'un hasard mettait présence, le sceptique Roger se serait-il senti entraîné vers elle par ces irrésistibles élans qu'éprouvent les cœurs que la gangrène morale n'a pas encore complètement envahis.
Mais le chevalier, sans s'occuper de ce qui se passait à quelques pas de lui, continuait à boire, en causant avec son ami de Mailly.
Disons-le, Roger commençait à se lasser de rester simple spectateur de cette orgie, et il voulait, grâce au champagne, se mettre à l'unisson de cette société de fous... Puis, comme s'il eût subitement changé de résolution, il fit un mouvement pour se lever et partir.
- Où vas-tu donc ? lui demanda de Mailly.
- Je m'en vais, répondit froidement Roger.
- Eh bien, mon cher, ce n'est pas le moment, répondit le jeune marquis; car, si j'en juge par tout le mouvement qui se fait là-bas, ta jolie dormeuse doit être sur le point de se réveiller.
En effet, Florette venait de dire :
- Attention !... Elle s'agite... Elle porte la main à sa tête, elle va se réveiller.
- Si on lui faisait respirer ce flacon ? demanda Julie en présentant l'objet.
- C'est inutile, ma chère, la voici qui entr'ouvre les yeux...
Le chevalier s'était cependant décidé à prendre sa part du spectacle Mailly déclarait devoir être fort piquant.
Il se trouva auprès du marquis de Presles, qui ne se sentait pas de joie, à l'idée de la surprise qu'allait, dans quelques instants, éprouver la provinciale d'Évreux.
- Que va-t-elle dire, murmura-t-il à l'oreille de Roger, en se trouvant au milieu de nous ?
Le chevalier éclata d'un rire forcé, - le rire des fanfarons de vice.
- Ce qu'elle dira, mon cher de Presles, Ah ! Nous la connaissons par coeur cette sempiternelle histoire des filles enlevées... Que l'instant du réveil arrive, et celle-ci va chanter le refrain habituel : « Où suis-je ?... », « Pourquoi m'a-t-on conduite ici ?... » « Grand Dieu !... » « Ma mère ! Ma mère ! »... Puis viendra ce profond et vertueux désespoir qui commence dans des torrents de larmes et qui se noie ensuite dans des flots de champagne !
- Bien pensé et bien dit, fit de Presles.
Florette et Julie approuvaient du regard.
- Bon ! murmura cette dernière, nous allons bien voir si le chevalier est bon
prophète.
- Écartons-nous un peu pour ne pas l'effrayer !... recommanda Florette en étendant les bras pour élargir le cercle autour du banc...
Il y eut un moment de silence.
Malgré soi, on s'intéressait à cette jeune fille que personne ne connaissait.
Pendant quelques secondes, tous ces viveurs et ces filles demeurèrent diversement impressionnés, attendant ce qui allait se passer...
Le marquis, un peu en avant du groupe, triomphait assurément, car un joyeux sourire errait sur ses lèvres.
C'était son véritable coup de maître que cet enlèvement.
Il regardait tour à tour ses amis pour jouir de leur étonnement...
De Presles fit signe que personne ne rompît le silence...
Et son regard se dirigea sur le visage de l'endormie...
Henriette commençait à sortir de la torpeur profonde dans laquelle on l'avait plongée.
Elle ouvrait les yeux et les tenait fixes devant elle.
Que s'était-il passé ?
Avait-elle dormi ?...
Où était-elle ?
Elle ne savait plus... Elle ne reconnaissait rien.
Ces jardins, ces fleurs et toutes ces lumières...
Elle passait la main sur ses yeux, croyant rêver !
La malheureuse se redressa lentement...
Son regard se porta avec stupeur sur tout ce qui l'entourait.
Puis, d'un mouvement brusque, elle se leva, promenant sur tous ceux qui l'entouraient des yeux où se lisaient l'effarement, la terreur, le trouble inconscient encore !...
Accablée par l'effet du narcotique, il semble que sa langue soit paralysée, en même temps qu'elle ne parvient à se rendre compte ni de ce qu'elle voit, ni de ce qui lui est arrivé...
Ses lèvres s'agitent convulsivement...
Mais les mots ne peuvent sortir de sa bouche, pas une plainte, pas un cri pour témoigner de son effroi.
Et dans l'assistance personne ne songe à l'interpeller.
Tout ce monde, naguère encore si turbulent, semble maintenant comme cloué sur place...
Florette, plus émue qu'elle ne veut le paraître, se penche vers Roger,
et lui glisse à l'oreille ces mots :
- C'est qu'elle a vraiment l'air de sortir d'un profond sommeil.
Mais la jeune fille ne peut achever sa phrase...
Henriette a poussé une exclamation.
Et portant vivement la main à son front:
- Oh !... Mon Dieu !... Mon Dieu ! a-t-elle dit, est-ce que je suis folle ?...
Il y a dans sa voix une intonation si déchirante, que Florette saisit le bras de Roger, pour attirer son attention sur le visage de la jeune fille, où se peint le plus violent désespoir...
Et tout bas :
- Ce n'est pas tout à fait ce que vous aviez prédit, chevalier !...
- Non, répondit Roger, et... C'est singulier...
Il s'était rapproché pour voir de plus près les traits bouleversés de l'inconnue...
Henriette eut un mouvement de stupéfaction à la vue de tout ce monde qui l'entourait...
Elle se demandait encore par quelle série de circonstances elle se trouvait au milieu de ces femmes, de ces jeunes seigneurs, qui la regardaient immobiles, muets comme des statues...
Alors, sous le coup d'une agitation violente, comme si la raison lui revenait, elle s'élança, allant de l'un à l'autre, interrogeant du regard, cherchant, parmi tout ce monde, si elle reconnaîtrait quelqu'un...
Puis, effrayée du silence qui se faisait autour d'elle, elle voulut parler. La voix lui manquait.
Elle voulut s'enfuir, mais elle se vit au milieu d'un cercle d'individus qui lui barraient le passage...
Tout à coup la malheureuse poussa un cri terrible.
En se retournant, elle s'était trouvée face à face avec le marquis de Presles...
Alors la mémoire lui revint, et avec elle toute son énergie...
- Monsieur, dit-elle d'une voix brève, c'est par votre ordre que j'ai été enlevée, et... C'est chez vous que l'on m'a conduite.
Le marquis de Presles, avant de répondre, enveloppa l'assistance d'un regard, dans l'intention de préparer son effet.
Et s'approchaut de son interlocutrice, il lui dit :
- Calmez-vous. Mademoiselle, vous êtes en effet chez moi, comme vous venez de le dire...
- Chez vous ! balbutia la jeune fille avec un mouvement de répulsion.
- Vous me faites donc, Mademoiselle, l'honneur de me reconnaître, c'est moi qui...
Au son de cette voix qui avait des intonations railleuses, Henriette sentit son cœur bondir.
Elle voyait clairement la vérité dans toute son horreur...
Et s'animant :
- Vous !... C'est vous, s'écria-t-elle, qui m'avez parlé sur la route de...
- Oui, Mademoiselle, vous vous en souvenez donc !...
Et, l'œil en feu, le marquis continua en essayant de saisir la main d'Henriette :
- Oui, oui, c'est moi qui n'ai pu résister au désir de vous revoir, et qui ai voulu faire de vous... de vous que j'adore..., la reine de cette fête...
Henriette comprenait maintenant les violences dont elle avait été la victime.
Elle se souvenait des moindres détails de la lutte qu'elle avait eu à soutenir contre les misérables qui l'enlevaient... Ce baillon qui étouffait ses cris, alors qu'elle voulait répondre à l'appel désespéré de Louise... Elle se rappelait tout... jusqu'au moment où elle avait perdu connaissance...
Il y avait, à partir de cet instant, une lacune dans sa mémoire...
Combien s'était-il écoulé de temps depuis qu'on l'avait séparée de la pauvre aveugle ?
À cette pensée, Henriette éprouva un serrement de cœur qui la replongea dans la plus horrible perplexité...
Elle sentit l'angoisse lui étreindre la gorge et, folle de douleur, elle eút voulu pouvoir s'élancer au dehors, courir par les rues, en appelant sa sœur bien-aimée !...
Ignorante des crimes qui pouvaient se commettre, chaque jour, dans ce Paris livré aux débauchés et aux malfaiteurs, elle ne pouvait supposer qu'elle était irrémédiablement perdue... Elle pensa qu'elle n'aurait qu'à réclamer sa liberté pour qu'aussitôt les portes s'ouvrissent devant elle...
Alors, se redressant devant l'homme qui venait de l'outrager en lui parlant de son amour, elle trouva des accents indignés :
- Monsieur, fit-elle avec énergie, je veux retourner à l'endroit où l'on m'a prise... Où elle m'attend, elle, ma Louise, ma sœur, où elle m'appelle et se désespère ! Allons, Monsieur, dites que l'on m'y reconduise; il le faut, entendez-vous ? Il le faut ! Je le veux !...
En prononçant ces mots, Henriette avait relevé la tête, et, les regards pleins de flammes, elle semblait prendre toute cette société à témoin de l'infamie dont elle était victime.
Après avoir attendu vainement une réponse, elle se plaça résolument en face du marquis, toute prête à renouveler sa demande, sous une forme plus énergique encore... Elle n'avait plus peur maintenant.
Ce n'était plus le sentiment du danger qu'elle courait qui dominait en elle.
Henriette ne songeait qu'à l'infortunée dont on l'avait séparée, et qui se trouvait maintenant abandonnée, exposée à tous les périls...
Il lui fallait retrouver Louise à tout prix, quoi qu'elle dût faire pour cela...
Et s'exaltant à la pensée des dangers inouïs auxquels un misérable avait exposé la pauvre aveugle, elle se tenait la tête haute et le regard menaçant.
On ne riait plus dans la noble assistance.
- Ca se complique ! fit Julie.
- Mais, répondit Florette, je voudrais bien savoir ce qui va se passer,
qu'en penses-tu, mon petit chevalier ?...
Roger ne sourcilla pas...
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Placé au centre de la ville, le Pont-Neuf a toujours été la grande voie de communication entre les deux rives de la Seine; mais, vers la fin du siècle dernier, il était aussi, et depuis fort longtemps, un but de promenade et de plaisir pour tous les Parisiens, même des quartiers éloignés. C'était le rendez-vous des joueurs de gobelets, des charlatans, des diseuses de bonne aventure, des marchands d'oiseaux et des tondeurs de chiens.
C'était au Pont-Neuf qu'il fallait aller manger la vraie matelotte arrosée de petit blanc d'Auxerre ou de cidre de Normandie et, surtout, pour faire connaissance de ce mets délicieux : la pomme de terre frite, qui venait de faire son apparition et de révolutionner la cuisine bourgeoise.
Enfin c'était autour de la statue d'Henri IV que les ménétriers en vogue, tels que le fameux Savoyard, chantaient et vendaient ces refrains grivois et populaires qui, de là, gagnaient les ateliers, les cabarets et les barrières en passant par plus d'un salon, et que l'on avait baptisés : Ponts-neufs.
À de certaines heures, et surtout les dimanches et jours de fêtes, l'affluence était telle que la circulation devenait presque impossible. Les coureurs de guinguettes et de tripots, les ouvriers avec leurs femmes et leurs enfants, les grisettes et les étudiants, les grenadiers et les dames de la halle coudoyaient les bourgeois et les bourgeoises des quartiers riches, et jusqu'aux beaux messieurs de la Cour qui ne dédaignaient pas de se mêler à cette foule joyeuse où tout était permis. Inutile d'ajouter que, dans ce tohu-bohu, les mendiants et les filous trouvaient une besogne facile et que la police laissait tout faire, ne pouvant rien empêcher.
C'était vraiment un spectacle des plus curieux, mais qui ne durait que quelques heures.
Dès que le jour commençait à baisser, la masse des promeneurs se dispersait rapidement, chacun rentrait chez soi pour se mettre à table.
Et ce beau Pont-Neuf si animé, si bruyant, devenait tout à coup silencieux et presque désert. Les marchands fermaient boutique, les charlatans et les chanteurs pliaient bagage; on ne voyait plus que des passants affairés qui se croisaient sans mot dire, des ivrognes titubant sur les trottoirs, des fiacres, quelques voitures bourgeoises, des charrettes portant leurs provisions aux halles ou au marché à la volaille et, de temps en temps, des diligences emmenant leurs voyageurs hors de Paris, ou les y amenant comme allait le faire le coche d'Évreux dont les bureaux étaient installés à l'angle du quai et de la rue Dauphine. Mais avant d'assister à son arrivée, voyons un peu ce qui se passait aux alentours.
C'était un samedi et, ce jour-là, on attendait généralement un grand nombre de provinciaux. Aussi les cochers de fiacre se hâtaient-il de prendre place sur le quai, les commissionnaires et les décrotteurs s'installaient le plus près possible de la porte du bureau. Des querelles s'élevaient alors dont la fin était toujours la même, des calottes d'abord et, ensuite, un demi-setier chez le cabaretier du coin.
Quant aux mendiants... et Dieu sait quel en était le nombre ! les uns, assis sur les bornes ou couchés par terre, faisaient un somme en attendant la pratique; les autres continuaient à poursuivre leur monde et, parmi ceux- là, se trouvait une vieille femme qui n'arrêtait pas de tendre la main. Quelques sous attrapés lui semblaient toujours bons à glisser dans sa poche.
- En v'là une chançarde ! disait un vieux bossu en la montrant du doigt à une autre mendiante assise à côté de lui; si elle met de côté tout ce qui tombe dans ses vieilles pattes, elle doit avoir un fier bas dans sa paillasse.
- Elle ! Plus souvent !... Et le cabaret ? Et l'eau-de-vie ?... Et son grand bandit de fils ?... Un noceur de la pire espèce, qui ruinerait un fermier général.
- Elle s'entend joliment au commerce. Et qu'elle est bien nommée, la sorcière !
Le fait est qu'elle en avait toutes les allures. Une face maigre et ridée, un front plat et bas à moitié couvert par une épaisse chevelure grise que le peigne n'avait jamais démêlée, des yeux petits et méchants, un nez pointu, aux narines noircies par le tabac, et des lèvres repoussées en avant par cinq ou six dents déracinées, voilà pour la tête. Un dos voûté, des bras décharnés, des mains longues, osseuses, dont les doigts difformes ressemblaient à des griffres de singe, des pieds larges qui traînaient dans d'affreuses chaussures éculées, et pour recouvrir cet ensemble misérable, des hardes aussi sales que déguenillées, voilà, sans la moindre exagération, le portrait de la mendiante qui, depuis des années, exploitait le quartier du Pont-Neuf. Quand les autres mendiants lui reprochaient sa chance, elle leur riait au nez pour toute réponse et, tournant les talons, elle se disait à elle-même :
- Y en a pas comme toi, ma vieille Frochard, pour attendrir ces brigands de bourgeois.
Un vieux monsieur venait justement de sortir du bureau; elle s'empressa de lui tendre la main et, prenant sa voix pleurarde :
- Mon bon Monsieur, lui dit-elle, n'oubliez pas une malheureuse infirme qu'a sept enfants à nourrir.
- Allez au diable !
- Que le bon Dieu vous le rende, mon doux seigneur !
Et elle s'éloigna en faisant la grimace et en montrant le poing au "doux seigneur" qui avait tiré sa montre pour voir l'heure et qui regardait à droite, à gauche, comme quelqu'un à qui l'on a donné rendez-vous et qui se fait attendre.
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