Tenir une idée, c’est la vraie richesse, et rare. Non pas une idée rare, mais tenir. Demandez à quelqu’un son opinion ; d’abord il regarde les autres. Le propre des opinions de respect, de marché, de calcul, c’est d’être empruntées ; empruntées par tous à tous, comme il apparut dans la célèbre crise de confiance ; chacun se règle sur autrui, ce qui communique enfin à tous une opinion qui n’est de personne. Misère. J’imite, je salue, je flatte, je m’accorde ; accord vide ; il y manque l’homme. L’idée n’a pas de racines ; elle n’exprime pas l’individuelle nature. Heureusement, nous sommes tous artistes un peu. Chacun, dès qu’on lui demande sérieusement ce qu’il pense, c’est son sentiment qu’il cherche. « Voilà mon sentiment » ; c’est le mot le plus fort, parce qu’il veut désigner l’idée qui naît de notre nature, et qui s’accorde avec nos plus secrets mouvements. Tels sont les éclairs du génie en tout homme ; mais rares. Comme on n’a point la méthode de l’artiste, on ne peut les retrouver ; on s’étonne de ne pas les retrouver ; on n’ose pas y croire ; plus exactement on n’ose pas y avoir cru. L’artiste qui se perd lui-même, c’est qu’il n’a pas osé se croire lui-même. Il a demandé aux autres ce qu’il pensait.