Découvrez la présentation du nouveau roman d'Anne Delaflotte Mehdevi, Trop humain !
Pour être dans le ton du dérèglement des temps, il fallait bien que les sculptures vous agrippent, que la peinture vous happe, que l'or brille, que la musique laisse filer les ornements même périlleux. Sinon quoi, personne n'aurait rien entendu, rien vu au milieu du fracas. ( "Le Théâtre de Slàvek", édit. Gaïa, 2018, p. 74)
S'ils savaient, tous ces gens qui l'entourent, galants, voisins, son père, sa mère, s'ils savaient qu'un Maure vit parmi eux, au coeur de la Cité, qu'il prépare des onguents dont les femmes s'enduisent avec délectation, des potions dont les grands seigneurs se gargarisent, et jusqu'à l'évêque qui dit que son coeur a arrêté de danser la gaillarde depuis qu'il prend le soir une certaine tisane à base d'aubépine.
Peur. Peur de l'autre. Peur de soi, de ne pas croire comme il faut croire, de ne pas haïr qui l'on doit. Peur de l'ennemi connu. Peur fascinée des mondes qu'on ne connait pas. (p. 150)
Elle pose un sarment sur la pierre et le broie, verse dessus un peu d’eau de pluie, broie encore, broie le noir aussi loin qu’elle a de temps avant elle, de force et de volonté. Plus elle broie, plus le noir sera bon.
"Des touches de chlorophylle maquillaient encore les couleurs ocre et fauve qui, feuille à feuille, transformaient la forêt .L'air humide, lourd de parfums encore verts, mêlés aux odeurs d'humus et d'automne, nous enveloppait.."
Où me suis- je jamais sentie chez moi , Est-ce qu'on se libère d'un lieu par l'habitude qu'on en a ? Est-on chez soi dès lors que la question ne se pose pas ? (p.116)
Marguerite vit à Paris sur le pont Notre-Dame.
Au temps de Marguerite, il est en bois, bordé de maisons qui s’élèvent haut en étages. Leur harmonie, la richesse des boutiques qui s’y succèdent émerveillent les chroniqueurs et les voyageurs de l’époque. On n’est pas n’importe qui quand on vit sur ce pont. On est des gens du livre, des libraires, des enlumineurs, parmi les plus en vue dans la profession.
Tchèque, j'étais le paysan de Sporck, Sporck était le paysan des princes. On est toujours le Tchèque de quelqu'un. (p. 182)
La fine pellicule de glace posée sur la boue noire craque sous ses pas comme des cheveux de caramel. [...] Les enfants coulent vers lui, glissent sur leurs rires comme sur des luges, le dépassent et gloussent encore plus fort en le frôlant.
Avec ou sans Karel, j'aurais eu l'idée de cette médiathèque de l'épistolaire, où l'on écoute disques et acteurs en chair et en os lire aux visiteurs les lettres des frères Van Gogh, de Sévigné, une médiathèque où les anonymes viennent déposer des cartes postales à la Sacha Guitry, des échanges de courriels façon Audiard, des textos de mère à son enfant, d'amant à sa maîtresse, mais aussi, les petits billets d'amour de mon grand-père à ma grand-mère, la copie des lettres de John à son frère. Et relier tout ça. (p.253)
16 août 1626- Dimanche
(....) D'où m'est venue l'étrange idée de marchander avec toi, de me taire à la condition que tu m'apprendrais à écrire ?
Mon silence pour une leçon.
Je n'ai jamais été envoyé à l'école, même pas à la "Petty".
Pourquoi un serviteur en aurait -il eu besoin ?
Est-ce que j'avais souffert de ne pas maîtriser cet art auparavant ?
Je ne me rappelle plus.
L'idée de ce marché m'est venue, comme les larmes
aux yeux, comme le rire au petit enfant.
Tu as sauté sur tes pieds et tu m'as embrassé.
Tu as tenu parole et j'ai gardé la mienne.
Quel réconfort d'écrire en anglais à défaut de pouvoir le parler ici.
Vois comme tu continues à bien m'aider, mon frère. (...)
John (p.117)