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Citation de PATissot


Les Parias.

Il était au poste de commandement. Un homme suffisait pour faire le quart, dans l'immensité du vide, entre les soleils. Il régnait dans cet étroit espace une pénombre de caverne et l'on n'y entendait pour tout bruit que le ronronnement régulier et sans fin de la coque de l'engin. Ici et là, une lueur tamisée émanait d'un instrument de contrôle, tandis que l'éclat étrange des étoiles déformées brillait dans le hublot d'observation. Mais à part cela il n'y avait pas de lumière ; Kenri avait tout éteint.
Elle apparut à la porte et s'arrêta, sa robe faisant une tache blanche dans l'obscurité. A sa vue, il sentit sa gorge se nouer, et lorsqu'il s'inclina pour la saluer, la tête lui tourna. Elle s'approcha de lui dans un froissement d'étoffe léger et harmonieux Elle avait la longue démarche cadencée de quelqu'un qui a toujours connu la liberté et ses cheveux dénoués flottaient dans son dos comme une écharpe soyeuse.
" C'est la première fois que j'entre dans le poste de commandement d'un astronef, dit-elle. Je croyais l'endroit interdit aux passagers.
- Je vous ai invitée, Libre Dame, répondit-il d'une voix troublée.
- C'est gentil de votre part, Kenri Shaum. " Ses doigts caressèrent le bras du jeune homme. " Vous avez toujours été gentil pour moi.
- Comment pourrait-on ne pas l'être ? " demanda-t-il.
La lumière glissait sur ses joues et faisait briller les yeux qu'elle levait vers lui. Un sourire releva les coins de ses lèvres en un expression étangement timide.
" Merci, murmura-t-elle.
- Euh. . . Je. . . Eh bien. . . " Il fit un geste de la main pour désigner le hublot qui semblait suspendu au-dessus de leur tête. " Il est exactement dans l'axe de rotation de l'appareil, Libre Dame, dit-il. C'est pourquoi la vue est constante. Vous pouvez vous placer en n'importe quel endroit de cette cabine, vous ne constaterez aucun changement. C'est pour profiter de cet avantage qu'on a disposé en cercle les panneaux de commande et les tableaux de bord, tout au long des parois. " Sa propre voix lui semblait altérée et lointaine. " Et voici l'astrocalculateur. Celui-ci a grand besoin d'une revision pour le moment, c'est pourquoi vous pouvez voir tous ces livres et ces calculs sur ma table. . . "
Elle toucha délicatement de la main le dossier du siège de Kenri.
" C'est votre place, Kenri Shaum ? Il me semble vous voir assis là, en train de travailler avec cette concentration d'esprit qui vous crispe si curieusement les traits, comme si le problème à résoudre était votre ennemi personnel. Alors vous soupirez, vous passez votre main dans vos cheveux et vous vous renversez profondément en arrière pour réfléchir un instant. C'est bien cela ?
- Comment avez-vous deviné, Libre Dame ?
- Je le sais. J'ai beaucoup pensé à vous ces jours-ci. " Elle tourna la tête pour regarder par le hublot l'amas compact des étoiles au dur éclat bleuté.
Soudain elle serra les poings.
" Comme je voudrais ne pas me sentir si inutile et frivole auprès de vous ! dit-elle.
- Vous. . .
- Ici, au moins, la vie a un sens. " Elle se mit à parler vite, glissant sur les mots dans sa hâte d'exprimer sa pensée. " C'est vous qui faites vivre la Terre avec vos cargaisons. Vous travaillez, vous luttez, vous faites des projets pour quelque chose de. . . réel. Vous n'êtes pas préoccupé de savoir qui a été vu tel jour en compagnie de telle personne. Vous ne vous demandez pas ce que vous porterez à l'occasion de tel dîner ou ce que vous pourriez bien faire le soir venu parce que vous êtes agité et ne trouvez aucun plaisir à rester tranquillement à la maison. Vous faites vivre la Terre, je le répète, et en rêve aussi. Je vous envie, Kenri Shaum. Je souhaiterais être née chez les Kiths.
- Libre Dame. . . " L'émotion donnait à sa voix une sonorité rauque.
" Vains regrets. " Elle sourit et poursuivit sans s'attendrir sur elle-même : " Même si l'on me faisait une place dans un équipage, je ne pourrais jamais m'embarquer. Je n'ai ni l'instruction, ni la vigueur naturelle, ni l'endurance, ni. . . Non ! Chassons cette idée. " Des larmes luisaient dans ses yeux ardents. " Quand je serai de retour chez moi, sachant maintenant ce que sont les Kiths, essaierai-je seulement de vous venir en aide ? Travaillerai-je pour que votre peuple soit traité avec compréhension, avec sympathie ? Non. Je me rendrai compte qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer. Je n'aurai pas le courage nécessaire.
_ Vous perdriez votre temps, Libre Dame, dit-il. Personne au monde n'a le pouvoir de changer toute une civilisation. Ne vous tourmentez pas pour cela.
_ Je sais, répondit-elle. Vous avez raison, bien sûr. Je reconnais que vous avez toujours raison. Mais si c'était vous, je sais que vous essaieriez. "
Ils se regardèrent dans les yeux un long moment.
C'est alors qu'il l'embrassa pour la première fois.
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