Ariane Le Fort présente COMPTES À REBOURS de Juan d'Oultremont (Onlit)
" Eva n'avait que deux ou trois ans de plus que moi, mais tout à coup elle me faisait penser à la mère telle qu'elle nous apparaît dans l'enfance: douce et impressionnante, secrète et sans besoin apparent , dotée d'un corps qui n'existe pas, ou du moins ne se mêle pas d'avoir des appétits à ce point ordinaires ."
C'était un baiser accompli qui m'emportait exactement là où il voulait m'emmener à la fois effervescent et délicieusement calme, un baiser confiant, conscient de sa force tranquille qui me portait sans résistance. Je n'avais pas la moindre envie que ça s'arrête, pas la moindre, lui non plus d'ailleurs, ce baiser nous plaisait terriblement à nous deux, ça ne faisait aucun doute, on s'embrassait avec une délicatesse et une attention absolues.
On ne tenait qu'à un fil, on n'avait pas d'enfant à élever, pas de maison à payer ensemble, pas de passé à préserver ni d'amis communs à se disputer, on n'avait pas grand-chose à sauver, voire rien, et ce rien pourtant pouvait voler en éclats,mais sans provoquer le moindre remous,ou si peu. C'était tellement facile à ce stade, peut-être était-ce encore plus simple d'en rester là plutôt que de poursuivre, ça demandait moins d'énergie.
- J'ai beaucoup d'argent. Mes parents sont morts quand j'étais enfant, ne me regarde pas comme ça, ça n'a plus d'importance. J'ai hérité et je dépense. Ça me permet de mourir demain.
C'était totalement inattendu. J'ai soudain éprouvé un sentiment de panique aussi subit qu'incontrôlable et j'ai vu, en un seul coup d'oeil brutal, ces quelques semaines choisies se métamorphoser en années, avec le même effroi que si, miniaturiste, on m'avait demandé de sur-le-champ me mettre à la fresque. Sans préparation d'aucun ordre. Sans même savoir si j'aurais assez de peinture pour la couvrir tout entière.
Et puis soudain je l'ai vu, au bout du couloir, très loin, je l'ai reconnu instantanément malgré les doutes de mon père sur mes capacités, et bien qu'il se trouvât encore au-delà des portes d'accès au hall j'ai tout de suite vu que tout était intact, l'homme qui m'enchantait, les réjouissances passées et les réjouissances futures. Et ma joie était telle que j'ai failli tomber.
Baraqué comme un lutteur de foire, le pianiste avait joué Schubert de la même façon qu'un bûcheron amoureux aurait caressé une petite fille, c'était délicat et puissant, sans fioritures, implacable et sans appel, et, en sortant de la salle,mon père avait paru aussi amorti que moi.
Rien n'était jamais important, tout passait, simplement. Tout glissait. Zou.
Rien n'était jamais grave. Milo ne s'appesantissait pas. Un grand rire, on passait à autre chose. Zou . Rien n'était grave jusqu'au moment où tout finissait par foirer.
Qui pourrait être plus mal placée que moi pour parler du kitsch ?
Comment une fille de pasteur suisse - lui-même bercé dans la haute bourgeoisie genevoise - pourrait-elle avoir la moindre idée de ce que c'est ? A l'aide !
Dans mon monde, tout est raide, des canapés jusqu'aux manières, tout est sobre et chic, mesuré, discret, élégant, austère. Rigide, en un mot !
(Dans le "Livret des 10 mots", Semaine de la langue française 2015)
Elle l’aimait fort aussi même si parfois elle souhaitait qu’il meure vite, qu’il n’attende pas dix ou quinze ans. Inutile de se taper la débâcle.